Les aventuriers revinrent dans le court du temps s’écoulant à la normale, comme la rivière tumultueuse qu’elle avait toujours été. Ils discutèrent quelques temps sur la marche à suivre. Leur escapade dans le multivers leur avait donné quelques nouvelles perspectives. Dans un premier temps, ils reprirent leurs esprits et se mirent d’accord sur la démarche à suivre.
Le plus important était de sauver Baltazar, et ils avaient maintenant une piste claire : la personne à qui la perle rouge autour du cou de Baltazar appartenait se trouvait au troisième étage de la banque-cathédrale d’Abadar à Glenwyrm, derrière la porte à double battant directement en face des escaliers. Marduk alla voir Marcus et lui dit de retourner voir Éléanore au fort de Gel-Dalar après avoir pris un bon aperçu de la région au sommet du pic. Ils n’avaient pas encore pris le temps, avec tous les rebondissements depuis le blizzard, d’aller jeter un œil aux environs. Ils prirent le soin de demander à Marcus de ne pas mentionner le Palais de Glace ou l’existence de Dame Aloryck. Peut-être qu’elle serait une des personnes qui permettraient la présence, voire le retour, d’une dragonnière, mais il valait mieux être prudent dans un premier temps. Pendant ce temps, le groupe se rendrait à Orville pour enfin savoir à qui appartenait cette pierre et si, en espérant que non, il s’agissait d’une des Larmes d’Asmodéus. De là, ils pourraient ensuite se rendre au Col des Charognards à l’aide de nouvelles montures, peut-être même, s’ils trouvaient au moyen de téléportation, pour prêter main forte à l’Élue d’Iomédae.
Ils activèrent leurs anneaux, maintenant que Drark en avait forgé un pour Maï Xin, et ils furent absorbé dans le néant de l’éther pour réapparaître dans les sous-sols de la cathédrale d’Asmodéus. Ils ne perdirent pas de temps et se rendirent à la Place des Pèlerins, à l’entrée de la ville. Ils gravirent les marches quatre à quatre et se retrouvèrent devant la grande porte en chêne décorée de nombreuses gravures et dorures.
Baltazar, après une légère hésitation, décida de faire à sa manière : il ouvrit légèrement le battant en espérant qu’avec sa discrétion extraordinaire, cela ne se remarque pas. Il put entrevoir la silhouette familière de Dal’ris, assis sur un fauteuil rembourré au tissu rouge vif, et en face, se trouvait un homme au visage sévère, galbe, avec une mâchoire fine et saillante, habillé dans une longue tenue gris foncé, presque noire, ample mais tenant malgré bien au corps. La porte ne grinça pas, mais l’œil attentif de Dal’ris aperçut le léger mouvement dans sa vision périphérique.
« Je vous prie de m’excuser, monseigneur Nador… » dit l’archiprêtre en se levant prestement et se dirigeant vers l’entrée. Voyant qu’il était remarqué, Baltazar décida de ressortir une vieille stratégie qui avait déjà fait ses preuves avec le Père Grasset.
« Oh, excusez-moi, je pense que je me suis trompé d’endroit... »
Dal’ris se leva en marmonnant quelque juron dans sa barbe, puis il se déplaça jusqu’à la porte pour appeler des gardes et veiller à ce qu’on ne les dérange plus.
Les aventuriers avaient l’information qu’ils désiraient : la perle écarlate était bien une des Larmes d’Asmodéus, car elle appartenait à l’oncle de Marduk, avant que Baltazar ne la vole. Mais alors qu’ils discutaient sur ce qu’ils allaient faire ensuite, une pensée commença à effleurer l’esprit de Baltazar.
« Et si la pierre n’appartenait pas à Dal’ris, mais à Nador ? » dit-il à voix basse, comme pour lui-même.
Le groupe se retourna vers lui.
« Comment cela ? » lui demanda Drark.
« Si la Larme appartenait à Nador, cela voudrait dire que… » commença Marduk, sans vraiment savoir comment sa phrase allait se terminer.
« Nador… Nador… commença à murmurer Baltazar, en évoquant au fond de lui-même la manière dont Asmodéus avait répété un certain nom comme un écho profond. Mais… il s’agit des mêmes lettres utilisées pour écrire le nom Rando ! C’est un anagramme pour Rando ! » dit-il avec surprise, en essayant de contenir sa voix afin que personne ne remarque son explosion d’émotions intérieure. Pendant quelques instants, ils se turent pour reconstituer les informations et vérifier que cette théorie collait, puis Vidar rompit le silence.
« En effet, Nador, chef suprême des Ombres, a commandité le vol des Larmes d’Asmodéus. Techniquement, les Larmes lui appartiennent, bien que tu aies celle-ci en ta possession, quel que soit le concours de circonstance qui l’ai mise entre tes mains. »
« Il est peut-être ici pour récupérer l’autre. Il faut que tu sois sur tes gardes, Baltazar. » ajouta Maï Xin avec insistance.
« Cela vaut sûrement la peine d’essayer d’écouter leur conversation. Cela nous permettra d’en savoir plus sur les intentions de Nador, mais peut-être également sur celles de Dal’ris, je ne lui fais toujours pas confiance, personnellement. » proposa Drark. Après une petite pause, il ajouta :
« J’ai des bottes qui me permettent de grimper sans difficultés sur n’importe quelle surface, je peux essayer d’aller jeter un coup d’œil à leur fenêtre ? »
Les aventuriers acquiescèrent et se rendirent dehors. La banque-cathédrale était cependant exposée de tous les côtés et il y avait une certaine affluence dans les rues. Mis à part Marduk, qui n’avait aucune compétence pour cette affaire, ni aucune envie de participer, Vidar, Maï Xin et Baltazar, firent un petit numéro dans la rue pour attirer l’attention et essayer de donner le libre chemin à Drark pour grimper sur la surface du bâtiment et aller épier la conversation en les deux hommes politiques. Maï Xin était habitué à ce genre d’improvisation, car durant ses voyages il avait dû trouver des moyens de manger et de s’attirer la sympathie des gens. Marduk, lui non convaincu de l’idée et pas du tout attiré par la perspective de se donner en spectacle, resta les bras croisés, droit comme un « i », comme s’il faisait garde du corps. Dès que la petite troupe fut lancée, Drark commença a grimper sur la surface verticale de la banque.
Il progressait vite, mais il fallait bien avouer qu’en plein jour son escalade n’était pas des plus discrète. Alors qu’il n’était qu’à mi hauteur, un garde le remarqua, pas suffisamment absorbé par le spectacle de rue que le reste du groupe offrait aux badauds.
« Eh ! Vous là-bas, que faites-vous ? »
Drark se figea, comme un caméléon, espérant que la remarque ne lui était pas adressée.
« Descendez de là ! Vous n’avez pas le droit de grimper sur ce bâtiment ! Descendez, et au pas de course ! » continua la vigile de quartier.
« J’arrive, j’arrive ! » répondit le gobelin en s’empressant. Il était déjà content de ne pas s’être fait attraper par un chevalier infernal.
Une fois en bas, il se confondit en excuse, essayant de se faire passer plutôt pour une tête brûlée excentrique qu’un véritable voleur ou assassin. Le garde, bien que pas totalement convaincu, le laissa partir sans devoir faire de rapport aux autorités supérieures.
« Et que je ne vous y reprenne plus ! » dit-il en le laissant rejoindre sa nouvelle troupe de saltimbanques.
Décidément, ils n’entendraient pas ce qui était occupé à se dire dans cette conversation, malgré leur curiosité grandissante. Il demandèrent à un garde de transmettre le message suivant : ils demandaient une audience avec Dal’ris une fois qu’il aurait fini avec le surintendant. S’il n’avait pas d’objection, ils l’attendraient à son bureau dans la cathédrale d’Asmodéus, dans le Quartier de la Pioche et du Marteau.
Ils se résolurent à attendre la fin de l’entretien entre les deux meneurs politiques pour savoir ce qui avait été dit. De plus, Marduk DEVAIT parler à son oncle. La vision de sa Déesse lui trottait dans la tête. Il était impatient de lui parler afin de savoir si son oncle était prêt à prendre la route de la rédemption et de la reconstruction de lui-même, ou s’il n’était finalement que l’ombre de l’homme qu’il avait été, de l’humain qu’il aurait pu être. Ils attendirent dans le couloir menant au bureau de l’archiprêtre du Prince Noir, assis sur des bancs d’un bois somptueux ornés de dorures et de ferronneries.Une certaine nervosité gagnait petit à petit le champion de Sarenrae. Alors qu’ils attendaient le représentant d’Asmodéus, il chipotait avec ses doigts à tout ce qui lui passait sous la main. Il était silencieux, pensif, mais ses mains parlaient pour lui : il avait hâte de savoir, d’en finir, d’être fixé sur le sort de son oncle.
Après une attente qui lui parut interminable, Dal’ris fit irruption dans le couloir de son bureau. Il les invita à pénétrer dans son lieu de travail et d’archives. Une fois installés, Marduk brisa le silence avec un air suspicieux empreint d’une grande curiosité dans la voix.
« Alors, qu’est-ce qu’il voulait ? »
« L’accord qu’il me propose valait la peine d’être écouté, mais j’ai une certaine réticence à accepter. Il nous propose la sauvegarde de Glenwyrn, en nous fournissant en arme et en matière première pour défendre nos sol de manière efficace. Il nous propose de faire la guerre aux elfes afin de reprendre le dessus et une fois la victoire acquise, nous redonner une presque indépendance : une totale liberté sur la gestion culturelle et patrimonial de la cité, mais avec une allégeance politique et un tribut régulier que j’estime pas trop élevé... » commença l’archiprêtre.
« Mais quelque chose te chiffonne ? » reprit son neveu, les sourcils froncés. Il analysait avec attention les réactions et les expressions du visage de son oncle.
« J’ai peur qu’il ne s’agisse en réalité que de paroles et que, si des complications arrivent, ils nous envoient en première ligne pour épuiser les elfes, qu’il nous utilise comme premier rempart, comme bouclier pour préserver leurs propres forces. Étant donné les méthodes habituelles du royaume d’Onclair, je ne suis pas sûr qu’on puisse lui faire confiance… Mais ce sera au Conseil d’en décider. » conclut-il. Un léger silence se fit, comme si tout le monde s’attendait à ce que quelqu’un prenne la parole.
Marduk pris une grande inspiration.
« Dalris,
Tu es mon sang. Mon oncle. Et même si tout en moi crie de te condamner, même si les vivants et les morts que tu as trahis hurlent à la justice et la vengeance… Je suis venu t’offrir autre chose. Une dernière fois.
Tu dis que tu as tourné le dos à Khalid. Tu répètes que tu l’as trahi, que tu as aidé les armées de libération, que sans toi, le carnage aurait duré encore des mois et que le monarque fou aurait échappé à son destin funeste par des chemins secrets.
Mais ne fais pas l’erreur de croire que cela efface tout. On ne rachète pas des années de silence par un seul geste, posé au moment où la chute est inévitable. Tu n’as pas trahi Khalid pour les innocents. Tu l’as trahi pour toi.
Tu n’as pas arrêté Khalid. Tu t’es simplement éloigné de sa chute.
Et maintenant, tu dresses cette trahison comme un bouclier, comme si elle te blanchissait. Mais la rédemption ne se trouve pas dans les livres d’histoire. Elle ne se décrète pas - elle se mendie, dans les yeux de ceux qu’on a brisés. Et pour eux, tu es encore l’homme qui a laissé faire. La rédemption, Dalris, ce n’est pas un manteau qu’on enfile quand l’hiver vient. Ce n’est pas un geste tardif qu’on agite comme un talisman. C’est un chemin. Pieds nus, la tête haute, droit vers ceux qu’on a blessés. Et parfois, ce chemin se termine devant un tribunal.
Pourtant, malgré tout cela, je suis là. Pour te proposer une dernière fois la Rédemption.
Je ne suis ni un prêtre, ni un juge. Je suis un fils du Feu et de l’Aube, et ma déesse enseigne que la lumière ne refuse aucun chemin, même à ceux qui l’ont fui toute leur vie.
Il n’est pas trop tard pour restaurer ton honneur. Il n’est pas trop tard pour réparer, pour empêcher d’autres flammes, d’autres cris, d’autres victimes inutiles.
L’ennemi approche – pire encore, il est déjà dans nos murs. Les armées d’Onclair ne viennent pas simplement conquérir : elles viennent purifier. Anéantir. Ils ne feront pas de différence entre les elfes, les miens, les tiens. Ils ne verront qu’un dogme à propager et des sujets à soumettre ou à éradiquer. Si tu restes immobile, si tu laisses faire encore une fois, alors l’histoire te jugera comme elle a jugé Khalid — non pas pour ce que tu as fait, mais pour ce que tu n’as pas eu le courage de faire quand cela comptait.
Tu penses qu’il y a les forts et les faibles. Que les forts commandent et que les faibles obéissent, meurent, ou se taisent.
Mais tu te trompes. Ce sont ceux que tu crois faibles — les humbles, les justes, les tenaces — qui portent le monde. Ce sont eux qui cachent les enfants, qui refusent de haïr, qui tiennent la main des mourants. Ce sont eux que tu dois servir, maintenant.
Aide-nous à retarder Onclair. Sabote leur progression. Transmets ce que tu sais. Offre ton savoir et laisse nous nous occuper de Nador.
Aide Balthazar — oui, c’était un voleur, peut-être. Mais le voilà de retour, encore une fois. Et pendant que ton propre Dieu lui réclame ton âme, lui se présente à toi, non pas pour te voler, mais pour essayer de vous sauver tous les deux. Il n’est qu’un voleur, un faible à tes yeux, et pourtant, jusqu’à présent sa grandeur d’âme dépasse celle d’un grand prêtre.
Et surtout… présente-toi en Satrapie. Viens y être jugé. Pour répondre. Pour faire face. Pour assumer. Peut-être seras-tu condamné. Peut-être même exécuté.
Mais il y aura dans ta chute quelque chose de plus grand que ta fuite : il y aura un exemple.
Tu peux encore montrer à ceux qui te suivront qu’on peut choisir la vérité. Qu’on peut, même au bord du gouffre, refuser la lâcheté.
Tu dis que tu as tourné le dos à Khalid. Alors prouve-le. Agis différemment de lui, jusqu’au bout. Inspire-toi de ton propre père.
Et si tu choisis ce chemin… Je t’aiderai – et pour la première fois, tu ne seras pas seul. »
Un long silence suivit la tirade du parangon de la Fleur de l’Aube.
Dal’ris était pensif, il digérait ce que son neveu venait de dire. Son regard était plongé dans les yeux de Marduk. Il tentait de contenir ses émotions, mais quelques signes transparaissaient néanmoins. Après une dizaine de secondes, il finit par prendre la parole.
« J’accepte ton offre, Marduk. Sache que je ne suis pas nécessairement d’accord avec tout ce que tu viens de dire, j’ai ma propre vision de certains évènements mais je comprends la tienne. Je pense honnêtement que se battre maintenant, à l’aube d’un conflit qui va ravager la Redana, est une erreur. Je vous aiderai dans votre tentative inespérée de sauver la Redana et son indépendance. Je ferai ce qui est en mon pouvoir pour faire ce que tu me demandes. »
Puis il y eut un léger silence. Marduk n’était pas certain de sa sincérité, mais il avait néanmoins une réponse claire. Il devrait garder son oncle à l’œil mais il était dans leur camp, du moins pour le moment. Marduk fit un petit signe à Baltazar, la main tendue vers lui.
« Peux-tu alors lire le contrat de notre ami iruxi ? Il a eu une vision et il semblerait qu’il n’ait plus beaucoup de temps devant lui. Nous devons absolument trouver le moyen de le libérer de son contrat. Une fois que cela est fait, nous aurons l’esprit plus libre pour nous consacrer aux dangers de la guerre imminente. »
Baltazar fit une grimace à son ami, exprimant clairement que le champion en disait trop à son goût, mais ce dernier se disait qu’il aurait probablement encore plus d’informations une fois le contrat lu, et que cela n’avait pas d’importance s’ils trouvaient une solution.
Baltazar tendit son contrat, ce parchemin presque entièrement vierge, en bas duquel une signature écrite avec une encre de sang se trouvait.
Dal’ris prit le document dans ses mains, et un léger sourire apparut sur ses lèvres. Il était difficile à ce stade s’il s’agissait d’amusement, de satisfaction ou un autre sentiment, car ses yeux semblaient être dans un autre plan d’existence : ils brûlaient d’une ardeur puissante, et rapidement, ils brillaient tels les flammes d’un brasier en activité.
Puis d’une voix profonde, il lut à haute voix :
Je soussigné, Baltazar Daxl, m’engage corps et âme dans les termes du contrat suivant.
Je m’engage à, tuer les personnes suivantes : Aëlnis la méduse, servante de Norgorber, Xel-Tlac l’iruxi, prêtre du Culte du Serpent à Deux têtes et prédicateur de foutaises, Morgan Therul, héraut d’Asmodéus et main de fer du gant de l’église du Prince Noir, Dal’ris Rabadashur, Grand Prêtre d’Asmodéus et Haut Membre du Culte du Dieu Griffu de Glenwyrm, et Nador Mermialde, Surintendant du Royaume d’Onclair et Maître des Arts Sombres de Norgorber.
Je les tuerai de mes mains ou provoquerai leur mort pour abreuver la terre de leur sang, pour faire pleurer les larmes une nouvelle fois. J’ouvrirai les portes d’une nouvelle ère en exterminant la vermine et la corruption en Redana.
Je m’engage à utiliser cette seconde chance de vengeance, cette opportunité que mon contracteur Asmodéus, Portier des Enfers, m’offre.
En échange, je lui donne mes souvenirs et ma mémoire. Je conserverai mon identité, je conserverai mes habilités, mais je renonce à tous mes souvenirs en lien avec mes entreprises récentes, jusqu’à cette rencontre et la signature de ce contrat.
Si les termes du contrat ne sont pas remplis dans les nonante jours, je m’engage, moi, Baltazar Daxl, à renoncer à mon âme et à recevoir le don du Prince Noir.
Un long silence ce fut.
« Et est-ce que … ? » commença timidement Maï Xin.
« Je peux vous affirmer que ce contrat a été réalisé par Asmodéus lui-même. » continua Dal’ris, comme lisant dans les pensées du cinétiste.
Un autre silence lourd s’installa dans la pièce, comme si une présence invisible, repoussant l’air dans tous les sens, apportant une pression et une pesanteur, venait d’apparaître. Ils n’avaient donc pas affaire à n’importe qui, mais bien au Prince des Enfers, l’un des dieux les plus anciens, les plus puissants et les plus influents de toute la cosmologie de Golarion. Baltazar le savait, depuis longtemps, tout au fond de lui, mais la confirmation de ses suspicions lui donnait la sensation qu’il devenait un être de sang chaud.
« Certaines inscriptions, je dirais que cela doit être certaines clauses cachées ou des références à des articles de lois diaboliques, sont illisibles, même pour moi. » reprit finalement Dal’ris. Marduk l’observait attentivement afin de voir s’il mentait, mais il ne parvint pas à le déterminer.
« Et vous ne pouvez rien faire pour l’annuler ? » demanda Vidar.
« Malheureusement non, c’est un contrat bien trop puissant pour que je puisse altérer quoi que ce soit. Par contre… Je crois que je sais comment je pourrais vous aider. Pour un contrat de ce type, vous allez probablement avoir besoin d’aide directement des Enfers. Je vois ici, comme première possibilité, le fait de mieux vous renseigner sur les contrats. Où, me direz-vous ? Dans la huitième strate des enfers, dans le repère de Méphistophélès, le créateur des contrats infernaux. Si vous cherchez de quoi rompre la clause ou des manière de mieux naviguer autour des restrictions du contrat, c’est là qu’il faudrait aller. Vous pourriez également essayer d’avoir directement une audience avec Asmodéus, dans la dernière strate des enfers, mais alors préparez-vous à une négociation acharnée, car la renégociation d’un contrat revient toujours à un nouveau prix à payer. »
« Mais comment nous rendre là-bas ? » demanda alors Baltazar.
« Je peux vous préparer un portail pour demain matin. Vous pourrez choisir la direction au moment même. » répondit Dal’ris.
Après quelques secondes de réflexion, Marduk prit la parole.
« Je pense que c’est une opportunité qu’on ne devrait pas manquer. Il faut trouver une solution pour ce contrat et je ne vois pas vraiment d’autre piste... »
Les réactions du groupe furent partagées, mais les autres se turent, préférant ne pas discuter de cela devant son oncle. Ils en rediscuteraient plus tard, maintenant, il y avait toujours le problème de Nador.
« Qu’allez-vous faire avec Nador ?
« Maintenant que nous avons un accord sur la démarche à suivre avec Onclair, je vais discuter des termes et conditions avec le Conseil du Dieu Griffu. Nous avons d’ailleurs normalement des informations qui devraient nous parvenir d’ici ce soir. »
« Quand vous réunissez-vous ? » demanda alors Drark.
« Ce soir. Juste avant le coucher du soleil. » répondit Dal’ris.
Le groupe se concerta quelques secondes, puis se retourna vers le grand prêtre pour lui dire :
« Serait-il possible d’assister à la réunion de ce soir ? Nous avons peut-être une proposition à faire. »
« Très bien, je dirai aux gardes que vous êtes les bienvenus. »
Les aventuriers laissèrent alors Dal’ris et se dirigèrent vers l’extérieur. Une fois dehors, les non-dits sortirent.
« Je ne suis pas certain qu’aller aux Enfers soit la meilleure solution… » commença Baltazar, l’air pensif.
« Quelle autre solution peut-on envisager alors ? » répliqua Marduk.
En guise de réponse, l’iruxi passa un de ses longs doigts se terminant par une griffe sous la gorge. Puis il haussa la épaule, pour exprimer le fait qu’il s’agissait là d’une proposition. Maï Xin était également assez septique vis-à-vis de l’attitude du prêtre.
« Cela ne ressemblerait pas à un piège par hasard ? Ne serait-ce pas nous envoyer à l’abattoir que de nous téléporter dans un plan hostile remplis de diables, un endroit où personne n’irait de son plein gré et où le danger est partout ? Si je voulais me débarrasser de quelqu’un, je n’aurais pas meilleure solution. » ajouta l’elfe, avec un brin d’inquiétude dans la voix. Puis il ajouta :
« Après, je ne m’y suis jamais rendu, mais si je pouvais éviter d’y aller, je ne m’en porterais pas plus mal. Est-ce que nous avons des informations sur le fonctionnement des enfers, et plus particulièrement de la huitième strate ? »
Marduk répondit d’une voix calme.
« Les enfers ne sont pas exactement comme tu le décris, du moins pas partout. Les enfers sont des lieux en effet hostiles, mais également des lieux où règnent l’ordre et la lois. Chaque chose et chaque élément a un but et une place. La violence physique n’est tolérée que dans certaines conditions : torture, plaisir des maîtres, duels, et quelques autres situations. Contrairement aux Abysses, où règnent les démons et le chaos, les enfers ressemblent davantage à notre monde, avec une perversion exacerbée et omniprésente. Y vivre serait horrible, mais seulement y passer ne devrait pas être trop risqué… tant qu’on garde notre langue dans notre poche et qu’on ne réalise pas de contrats insensés. »
« Donc ton plan serait : on rentre, on trouve un moyen de sauver Vidar puis on sort ? » résuma Drark.
« En quelque sorte oui. » répondit le champion.
« Trop risqué pour moi. Et si le portail se referme derrière nous ? Comment peut-on en sortir, de ces enfers ? Je n’y connais rien, j’ai des grands doutes quant au bon déroulement de ce genre d’opération et cela me terrifie, pour tout avouer. » conclut Maï Xin pour lui même, en pensant tout haut.
« Ce serait quand même plus simple si je le fumais, non ? » dit Baltazar, déjà à moitié occupé à réfléchir de la manière dont il allait procéder pour exécuter le disciple d’Asmodéus.
« Moi je pense vraiment qu’on peut rallier Dal’ris à notre cause, nous avons des objectifs communs, et il sera plus utile vivant que mort. Je pense qu’il ne cherche pas à nous duper dans cette histoire, que si affrontement il y a, ce sera plus tard. Et si jamais il referme le portail, il signe son arrêt de mort car il nous aura alors révélé son vrai visage. Ensuite nous trouverons un moyen de revenir, cela ne devrait pas être impossible… pas vrai ? » dit-il à Vidar, qui était maintenant devenu un oracle avec une connexion puissante à la magie.
« C’est vrai qu’il existe différentes magies qui permettent le voyage entre les plans. Je pense que je devrais être assez puissant pour la maîtriser… cela vaut probablement que je me renseigne. » répondit-il à son ami barbu.
La discussion piétina encore quelque peu, sans que vraiment chacun ne change complètement son point de vue. Il fut décidé qu’ils aviseraient le lendemain matin, car ils avaient du pain sur la planche et qu’une chose était certaine pour eux : Nador ne passerait pas la nuit.
Ils se rendirent à la réunion du Conseil du Dieu Griffu, et entrèrent au moment où le rapport des éclaireurs du nord se faisait. Les nouvelles n’étaient pas bonnes : Éléanore et ses légions avaient été attaquées, Ils avaient tenu mais les pertes semblaient conséquentes. Il fut également dit que Vahalis, la sœur d’Éléanore, avait disapru. Tuée ou enlevée ? L’absence de traces laissait plus penser à un enlèvement et la championne d’Iomédae était prêtre à partir en croisade pour récupérer la seule famille qui lui restait. Elle avait l’intention de quitter le fort pour réaliser une attaque punitive et pour tenter de sauver son sang des griffes des ennemis. Les aventuriers eurent un pincement au cœur en entendant cela, car ils savaient l’impétuosité dont elle était capable. Il fut décidé, avec l’accord des grands prêtres, que les légions d’Iomédae, accompagnée de Erdalon, seraient envoyées pour prêter main forte à Éléanore et la raisonner. Les chevaliers infernaux partiraient le lendemain matin avant le lever du soleil.
Les aventuriers reçurent alors la parole.
« Nous avons une proposition à vous faire. Concernant le Surintendant Nador. » débuta alors Marduk.
Devant le silence entendu des conseillers, ils surent que Dal’ris les avaient déjà mis au courant au sujet du marché qu’il leur proposait.
« Nous savons qu’ils résident actuellement dans l’ambassade, dans le Quartier de la Pioche et du Marteau. » continua le kéleshite.
Un léger silence plana quelques secondes. Ils étaient toute ouïe. Vidar reprit alors la parole.
« Nous comptons aller rendre visite au Surintendant. Ce soir. »
Drark enchaîna ensuite :
« Et si par hasard, vous décidez, quoi que vous voyiez, ou entendiez, de ne pas intervenir … Vous pourriez être débarrassé du problème de Nador d’ici le lever du soleil. ».
Baltazar conclut simplement :
« Il suffit de renvoyer les gardes dans le coin, ou d’oublier d’affecter une patrouille dans ce coin-là. Si nous échouons, vous pourrez faire comme si de rien n’était. Si nous réussissons, c’est un ennemi puissant tombe. »
Le conseil se tut quelques secondes. Les regards qui s’échangèrent étaient cependant évocateurs.
« Avec les fidèles d’Iomédae qui doivent se préparer, je ne suis pas sûr qu’il est possible pour nous d’assurer la présence de patrouilles dans toutes les rues... » répondit finalement Thraduin, en guise de réponse, le regard lourd de sens. Ils avaient leur accord verbal avec le Conseil.
Ils attendirent alors que la nuit soit noire pour prendre d’assaut l’ambassade. Le soleil était déjà couché derrière les montagnes depuis des heures, mais en attendant que l’obscurité soit totale, ils purent observer la demeure. Il s’agissait d’une grande mansion construite en pierres, disposant d’un seul étage et d’une cour intérieure, agrémentée d’un jardin, donnant sur les falaise de la montagne de Glenwyrm. La cour et le jardin étaient tous deux entourés d’un mur de pierres offrant une certaine intimité aux occupants. En observant les allées et venues, ils purent constater que les lieux grouillaient d’agents, probablement des fidèles de Norgorber, à en juger de leurs longues tuniques noires, et de chevaliers en armures.
Après concertation et de nombreuses idées qui fusèrent dans tous les sens (« On s’infiltre par l’arrière ! », « On ferait pas exploser tout le bâtiment ? », « Et si on chargeait de manière frontale ? », …), ils finirent pas se décider sur la démarche à suivre : Baltazar, Drark et Maï Xin tenteraient une incursion par les toits, grâces aux talents de maîtrise de l’air du cinétiste. De leur côté, Marduk et Vidar, trop peu discret que pour les suivre dans cette épopée, feraient diversion.
Avant le début de l’opération, ils envoyèrent malgré tout un message à Jueïa qui vint accompagné de Tim.
« Pourriez-vous faire le guet pour nous ? Vérifier que les chevaliers infernaux ne s’en mêlent pas, et que si quelque chose tourne mal, nous épauler. » demanda alors Baltazar aux deux amis, qui répondirent par l’affirmative. Puis l’iruxi fit un petit signe au nain, lui indiquant de l’accompagner pour lui souffler quelques mots.
« Dis, Tim. Tu sais bien que Jueïa et moi, on a vécu pas mal de trucs ensemble. Pas vrai ? » commença le voleur.
« Oui, en effet, elle m’a raconté. » répondit Tim, sans vraiment savoir où Baltazar voulait en venir
.
« Et je tiens beaucoup à elle... » continua le ruffian.
« Et moi aussi, je t’assure ! Je veillerai à ce que rien ne lui arrive. » répliqua le contrebandier, se voulant rassurant. Mais Baltazar, ne savait pas trop comment sous-entendre, comment insinuer ce qu’il voulait dire, alors après quelques de silence embarrassant, il finit par dire :
« … Touche pas à ma meuf, ok ? »
Thorvak écarquilla les yeux, ne s’attendant pas tout à fait à cela. Il balbutia quelques instants, essayant d’éclairer la situation.
« Oh, c’était donc pour ça ! Je… euh ! Ne t’inquiète pas pour cela, Balti ! Sache qu’elle n’est pas mon genre, pas du tout mon genre ! Enfin, je veux dire, oui elle est belle et séduisante, mais sache qu’elle ne m’intéresse pas. Euh, je veux dire, dans ce sens-là. Jueïa est une femme très intéressante, intelligente, mais elle n’est pas mon type... »
Il marmonna encore quelques mots dans sa barbe, mais Baltazar plaça une main rassurante sur son épaule, lui faisant comprendre qu’il avait compris.
Puis ils se rassemblèrent pour débuter l’opération.
Grâce aux talents de Maï Xin, ils s’envolèrent dans les airs comme des oiseaux nocturnes et, silencieusement, ils se posèrent sur le toit de la demeure. Une fois qu’ils furent posés, ils attendirent et firent un petit signe à leurs compagnons. Vidar et Marduk entamèrent alors leur part du plan. Ils avancèrent vers la lourde porte de chêne, gardée par deux soldats en armure. Une fois à portée de voix, l’un des gardes lança :
« Qui va-là ? Que venez-vous faire à une heure aussi tardive ? »
Vidar répondit, mais d’une manière à laquelle Marduk ne s’attendait pas.
« Toi ! Conduis-nous à ton maître. Nous désirons avoir une audience avec le Seigneur Nador. »
Mais qui plus est, l’oracle accompagna ses paroles assertives de gestes, manipulant les flux de la magie qui transformèrent sa voix en une menace impérieuse, qui raidit d’un coup le corps du garde auquel il s’adressait. Il répondit alors d’une manière désarticulée, complètement incapble de résister au charme qui dominait sa volonté :
« À vos ordre. Suivez-moi. »
Son compagnon remarqua que quelque chose n’allait pas, et il comprit très vite que son camarade n’était pas maître de sa volonté, qu’il était soumis à une magie divine.
« Mais… que ? »
Marduk ne perdit pas une seconde, il fonça sur le second garde et le poussa avec violence en usant de son bouclier comme un bélier. L’homme vola dans les airs et s’écrasa sur le mur et retomba, tel une carcasse vide. Le choc avait été particulièrement violent, et du sang coulait du haut de son crâne, mais l’autre garde prenait déjà le chemin de la chambre du Surintendant. Ils le suivirent, et Marduk jeta un dernier regard en arrière, tiraillé entre le fait de s’assurer que l’homme n’allait pas se vider de son sang et la pensée qu’il s’agissait d’un serviteur de Norgorber et qu’il méritait ce sort.
Ils naviguèrent à travers les ombres, tandis que des silhouettes inquiétantes se déplaçaient dans les couloirs, les ignorant car ils étaient escortés du garde en faction. Ils montèrent à l’étage, et prirent la première à droite. Sur le toit, Maï Xin, Baltazar et Drark suivirent les bruits de pas pour se mettre à la hauteur de la sentinelle. Le garde s’arrêta alors devant une grande porte à doubles battants, puis toqua. Après quelques secondes, une voix leur répondit.
« Entrez. »
La porte s’ouvrit sur une chambre richement décorée, dans laquelle Nador les regarda d’un regard froid. Les seuls choses qu'ils parvenaient à voir dans la pénombre mystique qui enveloppait la pièce était cet homme, le bureau et la lueur d'une bougie.
C'était le moment que les aventuriers attendaient pour descendre du toi et sauter sur le rebord de la fenêtre. Ce fut ce qui déclencha le combat...
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