Session XLVII : Souper avec le diable
General Summary
La soirée prit fin et les aventuriers rentrèrent à leur nouveau quartier général : l’Auberge des Parias. Ils avaient hâte de revoir Baltazar et Jueïa qui se reposaient là car ces derniers avaient eu besoin de calme et de sérénité pour se remettre des évènements des jours précédents. La soirée avait été riche en émotion et ils devaient discuter avec les deux roublards pour élaborer la suite de leur plan.
Premièrement, il était important de savoir ce qu’ils allaient faire de la proposition de Dal’ris. Après une brève concertation, ils semblaient tous d’accord d’y aller, avec tout le monde au complet, mis à part Jueïa qui préférait éviter de se jeter dans la gueule du loup. S’ils se retrouvaient tous au cachot, il serait utile d’avoir une personne qui pourrait les faire sortir de là. Mais la grande question, qui prit longtemps à être réglée, fut la manière de s’y rendre. Fallait-il aller à la confrontation, préparer un plan d’attaque ou de sortie, anticiper des contre attaques et des coups fourrés ? Ils commencèrent à envisager la manière forte, que ce soit par les explosifs, les armes de siège ou simplement le corps à corps, ils discutèrent longuement sur les possibles affrontements et leurs dénouements. Un problème se posait dans ce type d’approche : s’ils attaquaient de manière frontale un membre du Conseil du Dieu Griffu, ils allaient avoir des centaines de chevaliers infernaux sur le dos, et ils feraient probablement du mal à de nombreux innocents pensant bien faire. Ils décidèrent alors d’avoir une approche plus pacifique, plus directe et plus simple. Ils iraient chez Dal’ris, en se tenant sur leurs gardes, mais sans tenter de démarche agressive.
Pour plus de sûreté, l’oracle décida de réaliser une divination afin de savoir si Dal’ris les attendrait sur le pied de guerre ou non. Il dirigea son esprit vers le futur et lança une incantation qui le plongea en transe. Après quelques secondes, qui lui parurent de longues minutes, une voix parla dans la brume spirituelle dans laquelle il errait :
« Il observera de ses yeux de serpent
Sage comme les doyens d’antan
Calme comme la tenaille du bourreau
Il attendra le premier porte-à-faux. »
Sage comme les doyens d’antan
Calme comme la tenaille du bourreau
Il attendra le premier porte-à-faux. »
Vidar sortit de son état second et garda quelques secondes les yeux fermés. Il les rouvrit et son regard était étincelant, alerte. Il posa sa main sur l’épaule de son compagnon iruxi et lui dit d’une voix grave :
« Dal’ris va tenter de te tuer à la première occasion, il faudra être très prudent. »
Un éclat de surprise sortit de la bouche de Baltazar et cela relança complètement la conversation sur la manière d’aborder la rencontre avec Dal’ris. Les aventuriers argumentèrent avec énergie jusque tard dans la nuit avec véhémence.
Le lendemain matin, ils se retrouvèrent au petit déjeuner, et firent le point sur leurs débats : rien n’avait changé depuis la dernière décision. Ils iraient avec l’esprit ouvert et des intentions pacifiques, mais prêts à dégainer si le besoin se faisait sentir.
Durant la journée, ils décidèrent d’aller rendre visite à Grektor. Celui-ci leur avait assuré qu’il aurait un entretien avec Thraduin en matinée et qu’ils auraient du soutien. De plus, le guide spirituel de la Cathédrale d’Acier avait encouragé Vidar à venir contempler l’oeuvre de son père, « La Quête du Ciel ».
Pour passer le temps, ils décidèrent d’aller voir à quoi ressemblait « L’Auberge de Xalistar » et ils ne furent pas déçus. Les lieux ressemblaient à une sorte de petit château avec des tours aux toits pointus, faisant penser à un amalgame entre des tours de magiciens et un manoir aux pierres blanches. Des drapeaux flottaient sur les piques au-dessus des tuiles bleu foncé. En entrant, ils furent accueilli par un renard de petite taille, assis sur le comptoir. Ils décidèrent d’attendre quelques minutes, car il semblait clair, vu les bruits dans l’établissement, que les propriétaires étaient occupés de ranger quelques affaires et qu’ils allaient arriver d’ici une minute. Baltazar, ne voyant pas trop l’intérêt de cette visite, commençait à changer d’avis à la vue de cet adorable canidé qui les regardait avec un air intelligent et curieux. Ils virent passer, sur la mezzanine à l’étage, un lit, surélevé par la télékinésie et un homme barbu aux long cheveux noirs de jais.
« Bonjour, voyageurs ! Bienvenue à l’Auberge de Xalistar. Mon nom est Udeo, que puis-je faire pour vous ? » demanda une personne à la peau foncée, habillé d’une tenue ample de couleur blanche et dorée. Il était sorti d’un des couloirs du rez-de-chaussée sur la gauche du comptoir.
Marduk s’avança vers lui avec un air chaleureux. C’était la première fois depuis Orville qu’il croisait une personne de son teint de peau. Dans l’ambiance chaude et magique de ces lieux, il retrouvait un peu l’atmosphère pleine de surprises de la cité de l’alchimie.
« Nous passions devant l’auberge, et ayant déjà entendu parler de votre établissement, nous étions curieux de voir à quoi cela ressemblait. Pourriez-vous, si vous avez le temps bien sûr, nous expliquer ce qu’il se passe ici ? » demanda le champion avec enthousiasme.
« Mais bien entendu ! Nous sommes encore un peu occupés à réaménager certaines chambres, mais je vais m’occuper de vous pendant qu’Aru s’occupe des dernières affaires. Pour résumer, nous sommes deux hommes intéressés par la magie et nous avons décidé de créer cette auberge pour faire stimuler notre imagination, mais également pour permettre aux personnes qui n’ont pas vraiment l’occasion de voyager de le faire par l’intermédiaire de chambres magiques ! Nous créons de toute pièce des paysages et des environnements qui déjoueront vos sens et vous donneront l’impression d’être dans une crypte Nidalienne, dans un arbre ou au-dessus des Pics des Épées ! Et puis, en fonction nous avons également des chambres à thèmes plus… spécifiques dirons-nous. Nous venons d’ouvrir la Chambre aux Cachots ! Et nous avons déjà eu des clients récemment, étrangement (ajouta-t-il avec une expression perplexe). Nous avons une chambre aux saveurs d’Osirion, nous avons également une jungle tropicale, tout ce que vous désirez est réalisable ! Cela nous donne parfois du fil à retordre, et quand nous aurons fini il faudra que j’aille remettre le sable qui a débordé et s’est retrouvé sur tout le palier en haut. »
Les aventuriers tentèrent d’imaginer les chambres, et leur imagination fut sollicitée pour se représenter tous les thèmes qu’ils auraient bien voulu avoir comme décoration de chambre. Le sarenrite fit un pas en avant alors, et demanda avec une certaine nostalgie dans la voix :
« Je m’appelle Marduk et comme vous l’avez peut-être remarqué, je suis kéleshite et je viens du Qadira. Cela fait plusieurs mois que j’ai quitté mon pays et ma terre me manque. Pensez-vous que je pourrais voir à quoi ressemble la chambre d’Osirion ? Ce n’est pas exactement de là que je viens, mais rien que d’avoir du sable chaud entre les orteils sera comme rentrer à la maison dans mon cœur. »
Udeo fit une petite mine mystérieuse et répliqua avec un ton enjoué, un peu comme s’il était le génie de la lampe qui pouvait exaucer tous les souhaits :
« Mais bien évidemment ! Le locataire est actuellement parti et tous ses biens et effets personnels sont cachés dans le décors. Aucun risque que vous ne sachiez de qui il s’agit. Venez ! »
Baltazar, Vidar et Drark firent un petit signe en indiquant qu’ils allaient attendre là, le temps que les deux reviennent. Marduk suivit Udeo à l’étage et lorsque le magicien ouvrit la porte le champion eut le souffle coupé. Le paysage semblait s’étendre à l’infini derrière l’embrasure de porte. Un désert ensoleillé, avec en plein milieu une petite oasis où la fraîcheur permettait de contraster avec la chaleur du paysage. À côté de cette oasis, un beau lit à baldaquin se trouvait, avec un léger voile afin de protéger des rayons du soleil tout en laissant passer le vent. Marduk, devant ce tableau, retira ses sandales et plongea ses pieds dans le sable chaud avec une expression de satisfaction intense. Udeo, de son côté, se mit à balayer le sable qui était en dehors de la chambre, à cause des multiples entrées et sorties des locataires et propriétaires.
« Quels sont vos prix pour une chambre ? » demanda le champion.
« Cela varie de quelques pièces d’or la nuit, à parfois plus de cinq cent en fonction de la complexité de la demande ! » lui répondit le magicien.
Pendant que Marduk et Udeo papotaient à l’étage, Drark, qui trouvaient ces tenanciers bien trop extravagants, bien trop sympathiques, et bien trop cupides avec leurs prix mirobolants, décida qu’il était plus prudent de savoir à qui exactement ils avaient à faire. Il fit un petit signe à ses compagnons pour montrer qu’il allait jeter un œil au registre de l’établissement. Cela lui permettrait de savoir qui étaient les résidents, ce qui pourrait leur donner davantage d’informations sur les relations des aubergistes et donc peut-être en savoir plus sur ceux qui avaient les moyens de se payer ce genre de service.
Cependant, sur le comptoir, le renard, avec ses yeux perçants et intelligents, observait le petit être à la peau grise qui affichait une mine désagréable. C’est à ce moment-là que l’iruxi fit un pas vers le comptoir. Il tendit alors sa main ouverte vers le petit animal qui lui rappelait de loin le poracha d’Orville. Baltazar, se laissa renifler par la bête, puis, ayant toujours adoré les animaux, il démarra quelques mouvements doux pour voir comment allait réagir le canidé. Ce dernier fut assez réceptif et semblait fort curieux de ce lézard haut de deux mètres aux gestes très délicats pour sa taille. Voyant que le renard était réactif, Baltazar entreprit de mimer les gestes qu’il avait déjà pu observer chez les loups et chiens. Rapidement, le renard entra dans son jeu et l’iruxi fit mine de l’attraper, de manière suffisamment lente afin que l’animal comprenne qu’il ne s’agissait que d’un jeu. Le canidé bondit sur l’étagère à côté, se positionna, prêt à sauter à nouveau, sa queue ondulant dans l’air pour maintenir son équilibre instable. Baltazar, maintenant complètement pris dans le jeu, grimpa sur le comptoir et, un sourire aux lèvres, se jeta sur le renard avec un peu plus de vigueur. Le renard sauta sur un lustre tandis que le lézard manqua de peu de se prendre le coin d’armoire dans la figure : la partie ne faisait pourtant que commencer.
Le gobelin, qui avait suivi l’action, se dit alors qu’il devait profiter de cette fenêtre pour tenter de mettre la main sur ce fameux registre. Il passa derrière le comptoir tandis que son camarade faisait des pirouettes dans les airs pour attraper le renard. C’était le chaos dans la paperasse administrative de l’auberge. Il y avait des lettres, des registres divers, des revues, des livres, et lorsqu’il trouva finalement celui qui l’intéressait, une voix se fit entendre dans le hall.
« Bonjour étrangers, que puis-je faire pour vous ? Je me nomme Aru, et voici ***** » dit-il en désignant le renard qui était maintenant dans une plante qui montait jusqu’au plafond.
Alors que Vidar se présentait avec Baltazar, Drark repassa de l’autre côté du comptoir d’un bond et fit semblant de rien.
Ils firent les présentations, et Drark eut l’impression désagréable que le magicien avait clairement vu dans son jeu. Une lueur dans le regard lui donna le sentiment que soit Aru avait vu ce qu’il s’était passé, soit il devinait les intentions un peu sournoise du gobelin.
« Nous avons entendu parler de votre établissement, et nous aimerions voir la chambre-geôle dont on nous a tant parlé. » continua Vidar dans la conversation.
Udeo redescendait à ce moment-là avec Marduk qui se sentait revitalisé suite à ce voyage dans l’Osirion. Ils firent une petite visite de cette chambre qui ressemblait, en effet, à s’y méprendre, à une cellule de prison, dans laquelle des instruments de torture se trouvaient. Il y avait cependant un élément qui dénotait : la présence d’un lit confortable, pendant au bout d’une chaîne dans une cage au milieu de la pièce. Les aventuriers se demandèrent quel genre d’esprit tordu voudrait dormir dans ce donjon humide et sombre, mais cela ne les regardaient pas.
Ils dirent au revoir aux aubergistes et se dirigèrent vers le Couvent de la Sororité du Silence. Ils avaient, suite à leur conversation avec Éléanore, eut vent du fait que l’une des moniales était la sœur d’une dragonnière. Elle devait probablement avoir une version des faits un peu différente de celle de l’opinion publique.
Ils se rendirent au couvent, où ils furent accueillis par une personne leur expliquant les règles des lieux : il était interdit de parler, mis à part dans le parloir. Le silence faisait partie de leur tradition et héritage. Elles avaient choisi de consacrer leur vie au savoir, à son apprentissage et leur mise en pratique pour aider la communautés. Il y avait parmi elles des sœurs qui faisaient de l’herboristerie, de l’alchimie, des concoctions à base de plante pour soigner les malades et blessés, d’autres était chroniqueuses et enregistraient les connaissances dans d’épais grimoires et réalisaient des copies afin de les archiver en lieux sûrs. Ils cherchèrent alors la sœur du nom d’Itha. Ils apprirent qu’elle était une des herboristes. Ils la cherchèrent d’abord dans les jardins, mais ne la voyant pas et l’heure de midi approchant, ils décidèrent de l’attendre au réfectoire. Ils purent remarquer qu’ils n’étaient pas les seuls invités en ces lieux. D’autres personnes, probablement des gens qui n’avaient soit rien à manger et qui venaient profiter de la charité, ou alors des personnages de plus haute condition qui avaient passé la matinée en ces lieux pour aider ou demander conseils se trouvaient là également. Ils attendirent de voir l’elfe aux longs cheveux lisses noirs et aux grands yeux bleus avec des reflets violets arriver. Elle alla chez les cuisinières pour se faire servir puis s’installa, seule à une table. Marduk n’hésita pas longtemps, prit une gamelle, alla se faire servir, et s’assit à côté de l’elfe en robe gris foncé et mauve. Drark emboîta rapidement le pas au sarenrite, suivi de Vidar, tandis que Baltazar montait la garde de plus loin.
Le silence étant de mise, Marduk, une fois le repas terminé, écrivit sur un petit bout de papier sa demande à Itha : « Serait-il possible de s’entretenir avec vous quelques minutes ? »
Un peu étonnée, elle hésita une seconde puis répondit sur le même papier de la retrouver au parloir après manger.
Après que les présentations furent faites, ils demandèrent alors quelle était sa version des faits sur la chute des dragonniers, et quels avaient été les dires de sa sœur pendant cet évènement tragique. D’abord méfiante, elle finit par se détendre et raconta avec émotion qu’elle n’avait pas eu beaucoup de temps avec elle durant cette tragédie, mais ce qui était certain pour elle, c’était qu’il s’agissait sûrement d’une conspiration. Elswyn était peut-être téméraire et n’avait pas beaucoup d’admirateurs, mais il n’était pas stupide au point d’attaquer un village sans raison. Il n’avait aucun intérêt à cela, et l’idée populaire de la cité que les dragons étaient des bêtes dangereuses était vraiment une déformation de la réalité à des fins politiques, car toute personne instruite savait que les dragons étaient des êtres plus intelligents que les humanoïdes, et qu’un massacre de village n’était pas cohérent avec leur capacités cognitives. Elle ajouta qu’elle n’avait pas beaucoup plus d’information, qu’elle n’avait pas pu voir les vestiges du village ou même parler à Elswyn, mais qu’elle avait pu parler à sa sœur avant la fin, et qu’elle jurait qu’elle n’était pas impliquée là-dedans et qu’il s’agissait probablement d’un coup monté.
Ils clôturèrent la conversation avec Itha, la remerciant pour ses paroles, et affirmant qu’ils feraient ce qu’ils pourraient pour redorer le nom de sa défunte sœur s’il le pouvaient. Ils prirent la direction de la Voie de la Pioche et du Marteau et se rendirent à la Cathédrale d’Acier.
Ils traversèrent le hall où toutes les discussions et rencontres courantes ont lieu, pour se rendre vers l’enceinte sacrée et l’église de Torag. Ils purent constater en chemin que les lieux, mis à part le hall, étaient divisés en trois parties : les forges, les habitations et la partie religieuse.
Une fois dans l’église de Torag, ils furent accueilli par Grektor qui leur expliqua que son entretien avec Thraduin s’était bien passé, et qu’ils seraient disposés à l’aider dans leur quête. Le premier cadeau qu’il fit à Vidar, et cela en lien avec la conversation de la veille, fut de montrer la mosaïque de la Quête du Ciel. Il s’agissait en effet d’une véritable œuvre d’art, donc les différentes pièces étaient tellement minuscules et bien sculptées que l’on pouvait croire à une peinture. Le tableau représentait les premiers nains sortant à l’air libre et voyant le ciel pour la première fois, dans les montagnes enneigées. Le ciel était alors chargé de nuage, mais une percée du soleil se faisait et des rayons divins éclairaient la magnifique vallée verdoyante. La source de cette lumière n’était cependant plus. La pièce qui devait se trouver à cet endroit, qui ressemblait à une sorte d’ovale avec des aspérités, avait été retirée. Les aventuriers eurent un regard interrogatif vers le nain et celui-ci expliqua en quelques mots :
« Il y avait à cet emplacement une pierre, une sorte de métal qui rayonnait de milles feux, mais qui fut perdue il y a longtemps. On ne sait pas si c’est un vol, une dégradation ou une perte, mais quoi qu’il en soit, cela fait partie d’un héritage perdu. Je pense que le jour où cette œuvre magistrale sera remise à neuf, tous les nains de Glenwyrm reverront leur espoir de revoir des jours heureux renaître.
Les aventuriers examinèrent l’encoche vide et après quelque conciliabule, ils émirent l’hypothèse qu’il s’agissait en réalité peut-être d’une écaille de dragon.
« Maintenant, concernant votre problème, sachez que nous ne sommes pas actuellement en mesure de vous fournir des nains ou de grandes richesses car la nature même de votre campagne est encore un peu trop vague, mais sachez que vous aurez notre soutien indéfectible et en preuve de cela, voici un marteau enchanté qui, nous l’espérons, vous portera chance. Il appartenait autrefois à un dragonnier du nom de *****. Il a la capacité d’être lancé et de toujours revenir dans la main du propriétaire. Un moyen efficace de chasser ses ennemis sans se mettre en danger. » finit-il par dire avec une petite expression amusée.
Vidar était satisfait. Il était vrai qu’il n’avait pas encore de nombreux détails sur son entreprise et donc l’aide ne pouvait être qu’en conséquence. Une fois qu’il en aurait davantage appris sur la position d’Ulgan et ses agissements, il reviendrait demander à ses frères de sang leur soutien. Lui et ses camarades prirent congé et se reposèrent un peu attendant l’heure de souper.
Lorsque le soleil se coucha et que le soir vint, les aventuriers prirent la direction des Portes de Kéloph. Ils furent accueillis par des chevaliers infernaux en armure qui les conduisirent vers les quartiers sous-terrains de l’archiprêtre Dal’ris.
Le salon dans lequel ils furent accueillis était impressionnant. L’entrée de la salle se faisait par une volée d’escalier pour mener à l’espace de réception en contrebas. Cela ressemblait à une grand nef dans laquelle une énorme table avait été installée au centre. Des piliers aux décorations gothiques se trouvaient de part et d’autre de la table. On pouvait voir de nombreuses gargouilles sur les chapiteaux de ces colonnes, menaçant les personnes dans la salle de leurs crocs pointus et griffes tranchantes.
Au fond de la salle, de massives portes faites de pierres noires servaient de mur. Peut-être étaient-ce cela, les Portes de Kéloph ? Si les racontars de la ville disaient vrai, elles menait à une des neufs strates des Enfers. Des symboles diaboliques étaient inscrits sur celles-ci mais aucun d’entre eux ne comprenait ce type de langage. La table avait été magnifiquement montée. Une belle étoffe rouge aux coutures dorées avait été placée en chemin de table, et de beaux chandeliers brûlaient, éclairant l’argenterie de manière scintillante. Le repas n’était pas encore servi mais la table débordait déjà de fruits, de pâtisseries sucrées-salées et d’autres amuse-bouches.
« Bienvenue dans mon humble demeure, Marduk ! Je suis heureux de pouvoir t’accueillir ici, toi et tes amis. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas eu le temps de discuter. Tu me présentes tes amis ? » dit l’archiprêtre en se levant, dès qu’il les vit entrer dans la salle. On pouvait voir que bien qu’il fasse comme si tout était normal et qu’il n’avait de l’attention que pour les nouveaux venus, il semblait bien saisir l’effet que la salle faisait sur ses invités, et semblait s’en réjouir. Une telle démonstration de richesse et de pouvoir n’était jamais que pour le plaisir d’être contemplé.
Marduk s’avança, serra la main de son oncle, puis fit les présentation.
« Voici Vidar, du clan Odeson et fils de Brokk. Voici Drark, membre de l’Université de la Transformation à Orville, apprenti en alchimie. Et voici Baltazar d’Itz-Loc. »
Dal’ris soutint un peu plus longtemps le regard de l’iruxi, on aurait dit qu’il essayait de le sonder.
« Asseyez-vous donc ! » dit-il, puis il tapa dans ses mains pour appeler les serviteurs.
« Vous prendrez bien un peu de vin ? Ou vous êtes plutôt à la bière ? » enchaîna-t-il avec enjouement. Deux domestiques sortirent de derrière les piliers pour venir les servir.
« Comment vont tes parents ? Cela fait trop longtemps que je n’ai pas de nouvelle de leur part. »
« Ils vont bien. Ils sont un peu inquiets concernant la famille à dire vrai. Justement, c’est un grâce ou à cause d’eux que je suis en Redana. Suite à au débâcle de la chute du Qadira, ils m’ont demandé de vérifier que les nôtres se portent bien. J’ai déjà pu croiser Mirzini, qui se porte… plutôt bien. Puis j’ai cherché Sa-zu. ». Marduk marqua une pause. Le silence indulgent de son oncle le poussa à continuer.
« Je voulais juste que tu saches que suite à ce qu’il s’est passé avec Khalid, il a essayé de se racheter. Durant son errance dans la Redana, il a entendu parler d’un sanctuaire qui était hanté par une liche. Il a donc décidé de purifier les lieux de cette corruption, et il a vaincu le magicien noir, plusieurs fois même. Car le mort-vivant est revenu de l’au-delà à plusieurs reprises, et grand-père n’ayant pas trouvé le moyen de le faire partir définitivement, a fini par succomber aux attaques du liche. Nous avons rencontré son esprit et l’avons libéré, assurant son repos éternel. C’est d’ailleurs grâce à lui que nous avons nous-mêmes réussi à tuer définitivement ce sorcier. »
Dal’ris fronça les sourcils, visiblement affecté par ce récit.
« Je lui avais proposé de venir me rejoindre, mais il a refusé. Je m’étais dit qu’il finirait par changer d’avis, une fois qu’il aurait plus de recul sur la situation. ». Il soupira.
« Enfin soit. Ce qui est fait est fait. »
« Exactement, mon oncle. Et j’aimerais un peu revenir sur ce qui a été fait. Tu sais peut-être que j’étais chargé du transfert des personnes à Mirben. Je n’étais pas au courant de ce qu’il se tramait à l’intérieur. Lorsque je suis entré dans le camp et que j’ai vu les charniers. De désespoir, je me suis tranché les veines, et ce n’est qu’à ce moment que Sarenrae est venu à mon secours. » enchaîna Marduk, la tristesse et la rage humidifiant ses yeux petit à petit.
« Mais toi, tu devais être au courant de cela, si proche de Khalid. J’aimerais en savoir davantage sur ce qu’il se passait au palais. J’ai déjà eu la version de grand-père, mais j’aimerais avoir ton point de vue. » dit Marduk avec un ton froid, reprenant un peu de contrôle sur ses sentiments.
« Nous étions au courant en effet. La politique est un sujet compliqué… et cela particulièrement quand à la tête du pays c’est un fou qui dirige. Nous, ses conseillés, avons tenté à de nombreuses reprises d’influencer ses décisions mais il était têtu. Nous avions besoin d’un bouc émissaire, d’une victime pour canaliser le mécontentement du peuple, et c’est tombé sur les abugatiens. »
« Et lors de la chute, comment cela s’est terminé ? »
« Les Ailes Noires ont défendu le palais jusqu’à ce que le combat soit clairement perdu. Lorsque les révolutionnaires et soldats sont arrivés, je leur ai indiqué le lieu où se terrait notre satrape, et cela m’a donné la diversion nécessaire à ma fuite. Je suis parti et je n’ai plus jamais regardé en arrière. »
Marduk regarda autour de lui.
« Tu ne sembles pas être mal tombé ici. On ne penserait pas qu’il s’agisse de la demeure d’un réfugier politique dont le royaume vient de tomber. Il y a des gens qui sont moins bien lotis. » ajouta le champion avec une petite pointe de sarcasme. Dal’ris accepta la remarque avec un petit sourire. Cela se voyait qu’il n’avait aucun remord ou aucune gêne à sa situation.
« Le destin fait parfois bien les choses. J’ai un peu voyagé dans la Redana, puis j’ai finalement atterri à Glenwyrm, où j’ai fait la rencontre de Rudri, ancien archiprêtre d’Asmodéus. Nous avons sympathisé et étant donné qu’il cherchait quelqu’un pour prendre sa place, je me suis intéressé au culte du Prince Noir. »
« Et cela fait longtemps que tu es aux rennes ici ? » fit Mardul, curieux. Le laps de temps n’était pas fort long et cela signifiait que son ascension avait dû être fulgurante.
« Quelques mois seulement. Il a quitté Glenwyrm pour aller vers l’ouest en me cédant sa place. Il voulait trouver un coin tranquille pour ses vieux jours. »
« Et tu t’es trouvé donc une soudaine vocation pour les doctrines du Seigneur des Enfers ? »
« À dire vrai, en me penchant sur sa manière de fonctionner, j’ai été étonné de voir à quel point la voie qu’il préconise réponds à mes besoins d’ordre et de contrôle. Tu sais comme moi que le monde laissé à lui-même tend vers le chaos et que de ce chaos naît la guerre et la désolation. Avec Asmodéus, il s’agit de régner avec une main de fer afin que les erreurs qui ont pu être commise avec Khalid ne se reproduisent plus. Je suis enfin à la tête d’une organisation où mes décisions sont écoutées, respectées, et où je peux m’assurer que tout est fait correctement. Je sais que j’ai encore beaucoup à apprendre sur la voie du Prince Noir, mais ayant déjà travaillé en tant que prêtre de Nethys, je sais comment les clergés fonctionnent. » répliqua Dal’ris.
Marduk garda quelques secondes le silence. Bien qu’il n’approuvait pas le chemin emprunté par son oncle car le culte d’Asmodéus approuvait l’oppression, l’esclavage et autres formes de contrôles forcés, usant de force et violence si besoin, mais il comprenait le cheminement de pensée qui avait mené Dal’ris à suivre cette voie. Un doute subsistait cependant, car la tirade de « ne pas répéter les erreurs du passé » était trop floue que pour pouvoir le satisfaire. Quelles erreurs précisément ? N’avait-il pas approuvé certaines décisions de Khalid ? Le traitait-il de fou maintenant par opportunisme ou par conviction profonde ?
Le repas arriva, et les aventuriers se mirent à manger et boire, discutant de mondanités avant que le prochain sujet épineux n’arrive sur la table. Ce fut finalement Baltazar qui brisa le silence.
« Dal’ris, je me demandais si vous me reconnaissiez par le plus grand des hasards ? » débuta l’iruxi, un peu abrupte dans sa phrase. Un silence suivit la question. Le prêtre plissa légèrement les yeux, cherchant visiblement dans sa mémoire.
« Je ne crois pas que nous nous sommes déjà rencontrés. Ou me tromperais-je ? » dit-il, avec un petit air perplexe, sûrement feinté selon Baltazar.
« Vous avez pourtant mis un contrat sur ma tête pour essayer de me faire tuer. » répondit l’homme-lézard d’un air froid.
« Vous faire tuer ? … Ah ! Ne seriez-vous pas impliqués dans le vol des Larmes d’Asmodéus ? » dit-il comme s’il retrouvait la mémoire.
« Parce que si c’est le cas, alors il me semble que c’était parfaitement justifié. » ajouta-t-il avec un petit sourire aux lèvres.
« J’étais impliqué, mais l’affaire est plus complexe que cela, car il se trouve que j’ai perdu la mémoire.Je ne sais plus exactement pourquoi j’étais investi dans cette affaire, ni de quoi il en retournait. Je suis à la recherche de mon passé et de réponses. » répondit Baltazar.
« Vous ne savez donc pas où elles se trouvent, j’en déduis. Sinon vous ne vous présenteriez pas chez moi de la sorte, à moins que vous ne soyez fou… ou stupide. » ajouta Dal’ris.
Baltazar n’aimait pas trop la pique qui lui était lancée, mais il décida de passer outre. Il n’était pas nécessairement en position de force. Ou du moins, c’est ce qu’il estimait à voir le calme et l’assurance du prêtre.
« Exactement. Nous les avons perdues avant la remise au commanditaire. Des personnes nous ont doublés, tué mon ami et se sont évanouies dans le silence. Mais cette petite clarification ne règle pas mon problème. Ma tête est toujours mise à prix et dès que vos sbires auront conscience de qui je suis, j’aurai toute la garde de chevaliers infernaux sur moi. »
Un silence lourd s’installa. Dal’ris calculait. Ses yeux étaient empreints d’une lueur froide.
« Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la gravité et l’insouciance de vos actes. Voler les Larmes d’Asmodéus, artefact ancestral et ô combien puissant et important pour notre culte, puis vous présenter comme une fleur dans mon palais. Cela ressemble presque à un moyen de me narguer. »
« Je suis amnésique, beaucoup de mes actes ne font probablement plus sens avec ma vie d’avant. » dit l’iruxi avec calme.
« Et c’est bien pour cela que je suis prêt à vous faire une faveur. Vous avez dit que vous aviez été dérobé des Larmes avant la remise à votre employeur. Vous savez donc qui les a prises. Retrouvez les Larmes et vous pourrez considérer votre amnistie comme accordée. Comme s’il ne s’était jamais rien passé. Par contre il est évident que je ne m’attends pas à ce que cette tâche vous prenne des années... » conclut Dal’ris.
« Nous avons donc un accord. »
L’archiprêtre fit un signe de tête d’approbation, et il se remit à manger. La soirée n’était pas encore finie et les aventuriers avaient déjà, à plusieurs reprises, sentit la goutte de sueur perler sur leurs fronts.
Date du Rapport
25 Oct 2024
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