Les aventuriers se retrouvèrent alors sur le parvis de la Bibliothèque d’Eria, avec autant de questions en suspens que de réponses. Ils prirent la décision d’aller fleurir la tombe d’Elswyn. Dame Aloryck leur avait suggéré de le faire, et n’ayant de grief personnel contre cet homme et éprouvant une certaine fascination pour cet ordre qui était passé de l’apogée au déclin en, semblerait-il, seulement l’espace de quelques années. Ils entrèrent d’abord dans le bois juste à côté de la bibliothèque, appelé le Bois des Chuchotements, et se mirent à chercher fleurs ou autres plantes à déposer sur la tombe de l’ancien Maître Dragonnier.
Drark observa les lieux et remarqua que les lieux étaient entretenus. Un herboriste ou une personne avec des compétences dans ce domaine devait prendre soin de ces lieux. Les plantes poussaient de manière libre et chaotique, mais il pouvait voir les signes de la main du ou des gardiens des lieux. Les plantes envahissantes avaient été coupées autour des végétaux importants, les plantes étaient taillées pour favoriser les repousses productives, c’était une sorte de jardin naturel en quelque sorte. Drark fut attiré par deux plantes en particulier. L’une était bleutée, virant du turquoise au mauve, passant par toutes les nuances de bleu, et semblait être extrêmement fragile. Si on se fiait uniquement à l’apparence, on aurait dit que la cueillir aurait suffit à la faire tomber en poussière, ou à faire tomber les longs pétales majestueux. Avec précaution, il en prit un exemplaire qu’il rangea dans ses fioles incassables. L’autre plante qui l’intrigua, était son opposée sur le plan visuel : une sorte de fougère avec de grandes feuilles jaunes orangées, un peu semblables à celle d’un érable. Il put se rendre compte de la vitalité de ce végétaux et comprit qu’elle devait avoir des propriétés alchimiques sûrement exploitable. Il en cueilli un exemplaire également.
Pendant ce temps, Marduk cherchait à faire un bouquet approprié à la mission qu’ils avaient choisi de remplir. Il gambada dans les sous-bois à la recherche de plantes pouvant s’inclure dans son arrangement floral. Après quelques minutes, il revint avec à la main assemblage de nombreuses fleures et plantes différentes, un sourire au lèvre, content du résultat.
Pour se rendre à la Citadelle de la Gardienne, ils traversèrent la Voie du Mithral, passèrent devant de nombreux bâtiments tels que la Chapelle de la Sororité du Silence, l’Auberge de Xalistar, mais également la Ferraille d’Argent, qui semblait être une forge elfique, puis devant le Fort des Empyréens sur une petite colline fortifiée.
« Empyréens ? C’est quoi ça ? » demanda Drark pour lui-même, à haute voix.
Vidar lui répondit :
« Il s’agit des seigneurs des plans divins du Bien. Les Abysses, les Enfers ont les seigneurs Démons ou les Archi-diables, le Nirvana, l’Élysée et le Paradis ont les seigneurs Empyréens. ».
Cela rassura quelque peu le gobelin.
Il arrivèrent à l’ancienne forteresse des dragonniers, et ils purent remarquer que bien que les lieux ne soient pas interdit, personne n’y entrait. Il y avait une sorte de zone de non-droit, la citadelle donnait l’impression d’être un no man’s land figé dans le temps. Il était clair que personne n’y entrait ou ne sortait, mis à part un petit chemin tracé sur le côté pour pouvoir accéder à la tour de guet fortifiée adjacente à la forteresse.
Observant les réactions des passants, ils pénétrèrent dans la Citadelle en passant à travers la muraille, éventrée à de nombreux endroits. Les bâtiments, autrefois hauts et majestueux, n’étaient plus que des vestiges d’un glorieux passé, laissé en vitrine derrière ces remparts percés par les catapultes et balistes de la cité. La nature avait déjà un peu reprit ses droits et les plantes repoussaient de manière invasive, essayant de recouvrir peu à peu cet héritage sous un manteau vert.
La forteresse était divisée en quatre lieux : un amphithéâtre, les quartiers résidentiels, la caserne et la tour. Ils passèrent devant l’agora sans trop prêter attention, cherchant les tombes parmi les décombres. C’était sûrement le lieu ou les discussion ouvertes devaient se dérouler, peut-être même le théâtre des débats sur les décisions importantes de l’ordre. Ils arrivèrent tout près des quartiers résidentiels et virent les tombes qu’ils cherchaient. Tout au long de la falaise, des petits monticules de terre étaient alignés, surmontés d’une petite pierre tombale en forme de croix ou de « T ». Ils furent surpris de la sobriété de leurs sépultures. Ils en conclurent que leur enterrement n’avait pas été approuvé et soutenu par la cité, mais que des personnes étaient venues pour malgré tout leur rendre hommage. Ils sillonnèrent entre les tombes pour trouver celle au nom d’Elswyn. Elle était plus au moins au centre de la rangée, pas plus grosse ou plus jolie qu’une autre, mais simplement à une place peut-être privilégiée.
« Je propose une petite prière en silence, que chacun ait une petite pensée pour le dernier Maître d’un Ordre autrefois glorieux. » proposa Marduk, en déposant le bouquet sur les dernières traces de celui qui sera retenu comme le traître.
Alors qu’ils étaient occupés à se recueillir, ils entendirent le son d’une cithare un peu plus loin. Ils revinrent sur leurs pas, vers l’amphithéâtre, et purent apercevoir une silhouette familière. Ils s’approchèrent prudemment de ce personnage qui leur tournait le dos et qui semblait fredonner une mélodie mélancolique en jouant de son instrument.
« Excusez-moi de vous interrompre, j’ai l’impression que nous nous sommes déjà rencontrés... » commença Marduk. Le barde se retourna lentement et ils purent découvrir le visage d’Alix, Alix de Cherquidan.
« Marduk ? Drark ?! Que vous faites-vous là ? Et où sont Baltazar et Narliza ? »
« J’allais vous poser la même question mon vieux ! Cela fait… un bail. Narliza a décidé de faire sa propre route, et Baltazar est toujours avec nous, mais il doit récupérer des derniers jours qui ont été éprouvants, il est donc à l’auberge où nous logeons, l’Auberge des Parias. »
« Et je pense que nous nous sommes jamais vus, maître nain. Je me nomme Alix de Cherquidant, un petit village située près de Merquil, là où j’ai réalisé mes études de barde, au Collège de la Plume d’Argent. »
« Enchanté de faire votre connaissance, Alix de Cherquidant. Je me nomme Vidar Odeson. Votre chanson était plaisante à l’oreille, j’espère un jour pouvoir en entendre la suite. »
« Peut-être… peut-être ! C’est d’ailleurs la raison de ma présence ici. J’ai une représentation à faire pour ce soir et je cherche l’inspiration. Voyez-vous, après notre séparation à Iliano, j’ai pris la direction de l’est tandis que vous partiez vers le nord. Je suis passé par Vinacle, puis j’ai remonté le fleuve du Tar et voyagé par delà des collines pour parfaire ma connaissance du folklore et des histoires de la Redana, et j’ai finalement atterri dans la Marche de Pierre. Sachant que le Collège de la Note Septentrionale était réputé, j’ai décidé de m’installer quelques temps à Glenwyrm, pour perfectionner l’art de la mélodie et de l’écriture. Ils ont une manière de voir la musique différente de dans le sud, mais je trouve cela très complémentaire. Ils ont un don pour les mots plein de sens et de ressentis, pour les mélodies simples et pourtant profondes, alors que dans le sud nous avons tendance à davantage remplir avec des fioritures tant instrumentales qu’au niveau des paroles. Je pense qu’un mélange des deux styles serait s’approcher de la perfection ! »
« Vous en avez vu du pays. Pour notre part, nous avons été jusqu’à Orville, en passant par Horizon. Nos pas nous ont mené jusqu’à Edimar, où nous avons traversé le Marais des Cendre vers l’Ouest pour faire un tour dans la Marche du Vent. Mais nos affaires nous ont reconduit vers Glenwyrm, et pour y arriver nous sommes passés par Taek. Et quelle est cette représentation dont vous parliez tout à l’heure ? » répondit Drark avec curiosité.
« Cela a dû en faire des aventures ! Vous me raconterez cela en détails quand nous aurons le temps. J’ai été remarqué au collège et on m’a proposé de réaliser la représentation prévue pour le repas du Conseil du Dieu Griffu ce soir, mais pour le moment je cale un peu sur la direction artistique. Je sens que je tiens quelque chose, mais il me manque des éléments pour transcender ma musique. » dit Alix, légèrement ennuyé.
« Nous pourrions peut-être vous aider. Nous ne sommes pas des artistes comme toi, mais nous avons des talents qui pourraient peut-être vous être utiles. J’ai moi-même un peu d’expérience dans l’écriture de poèmes, je pourrais vous faire des suggestions sur vos textes. » s’avança Marduk, comprenant qu’il s’agissait là d’une porte d’entrée potentielle pour voir de plus près le Conseil du Dieu Griffu.
Alix se gratta la tête.
« On peut en effet regarder cela ensemble, avoir un nouveau regard me permettra peut-être de passer au-dessus du problème. » dit-il avec un brin d’hésitation dans la voix.
« Si jamais tu as besoin d’effets pyrotechniques pour ta représentation, sache que je suis ton gobelin. J’ai de quoi brûler la moitié de la ville dans mon sac… évidemment, je peux faire dans le plus subtile… même si c’est pas mon domaine de prédilection. » ajouta Drark avec un grand sourire carnassier, plein d’entrain.
« Et si vous voulez, je peux utiliser mes talents de divination pour tenter de mieux cerner l’humeur du public et anticiper ce qu’ils apprécieront, cela pourrait garantir le succès de ta représentation. » continua l’oracle.
Le visage d’Alix s’illuminait de plus en plus à chaque intervention. Il commençait à voir la réussite au bout du tunnel dans lequel il se trouvait actuellement.
« Mais oui… ça pourrait clairement le faire ! Maître Vidar, devez-vous lire dans les lignes de ma main ou … ? » commença-t-il.
« Ce ne sera pas nécessaire, je dois juste bien visualiser la scène dans laquelle nous allons nous retrouver. » répondit Vidar. Puis il ferma la yeux, inspira profondément, puis expira en vidant complètement ses poumons. Il pouvait déjà sentir des frissons dans ses doigts tandis qu’il commençait son incantation.
« Hmmmm…
Que ce soit des rires ou des pleurs,
Que l'on parle d'ici ou d'ailleurs,
Que nos chants s'élèvent ou meurent
Il faut qu'on puisse égayer le malheur… »
Récita-t-il avec une air solennel, emprunt d’une gravité qui, même pour lui, ne lui ressemblait pas, tandis que ses yeux commençait à luire d’une lumière légèrement bleu-vert.
Il reprit ses esprits en secouant la tête.
« Je … je dirais qu’il s’agit là un message pour nous dire que l’ambiance sera plutôt aux messages d’espoir. Je pourrais me tromper dans l’interprétation mais mon sentiment me dit d’aller dans cette direction. » conclut l’oracle.
« Très bien, je vais alors écrire un poème dans cet voie-là, et puis vous pourrez le mettre en musique, Alix. » enchaîna le champion.
Il s’éloigna quelques minutes et se mit à griffonner sur un bout de papier, raturant fréquemment, barrant ce qui n’allait pas, réécrivant tout ce qui devait l’être. En attendant, Vidar et Drark discutaient du type de fioles alchimiques qu’ils devraient utiliser pour donner un spectacle dans le thème choisi. De son côté, Alix pinçait les cordes de sa cithare, fredonnant des mélodies qui pourraient convenir à une ambiance d’espoir. Après quelques dizaines de minutes, le disciple de Sarenrae revint avec un texte par lequel il était convaincu :
Au sommet des monts où le vent se lamente,
Se dresse la citadelle, grise et tremblante.
Gardienne autrefois de l’ordre des Dragons,
Elle sommeille en ruine, sous l’ombre des saisons.
Ses murs éclatés, de musc et de pierre,
Portent encore le poids d’une ancienne prière,
Chuchotée jadis par des voix disparues,
Des âmes d'anciens gardiens, dans la brume perdue.
Les dragons sont partis, leurs flammes évanouies,
La Gardienne a sombré sous les voiles de nuit.
Mais sous les pierres froides, des sépultures se cachent,
Repos illégal des héros qu’on relâche.
Ils gisent oubliés, leurs noms effacés,
Des martyrs de jadis, des lames brisées,
Et sous la lune pâle, leurs âmes enchaînées,
Gardent en silence la mémoire délaissée.
Les dragons sont partis, leurs flammes s’éteignant,
La Gardienne a sombré dans le givre et le temps.
Mais dans les ombres froides, murmure une voix :
« Rêve de l’éveil… et prends garde à ta foi ».
« Cela me semble super ! annonça Alix. Vous avez une sacré plume, ma foi. »
Il commença à mettre en chanson ce poème et vit que cela collait très bien avec ce qu’il avait commencé à composer musicalement.
« Je me demande si c’est pas un peu osé, le fait de louer les Dragonniers de cette manière, vu le passé de la cité. Mais cela correspond très bien à un message d’espoir… pour ceux qui y croyaient pour y croient encore. » conclut-il.
C’était un pari à prendre, mais les aventuriers avaient le sentiment que cela pouvait peut-être semer des graines qui pousseraient en de puissants en majestueux arbres qui seraient peut-être les fondations de quelque chose de plus grand.
« Je vais encore m’entraîner un peu. Si cela ne vous dérange pas, j’aimerais avoir un peu de temps dans l’amphithéâtre seul pour pouvoir répéter les enchaînements. » finit par dire le barde.
Les aventuriers le laissèrent seul, et retournèrent pour errer dans les ruines des bâtiments. Ils se dirigèrent vers les quartiers résidentiels, ancienne bâtisse majestueuse et riche en sculptures. Il restait encore un mur à moitié debout, tandis que tout le reste s’était effondré suite à probablement des tirs de catapultes ou balistes. Cela les emplissait d’un sentiment de nostalgie et de tristesse. La trahison d’Elswyn avait mené le peuple de Glenwyrm à s’entre tuer, et à massacrer les dragons. Ils tombèrent sur une bannière, probablement placée en tant que tapisserie, sur laquelle Iomédae était représentée, brandissant une épée illuminée vers le ciel. Il s’agissait d’une représentation de Seritial, l’arme légendaire d’Iomédae, destinée à vaincre les serviteurs de Zon Kuthon et le dragon Kazavon, un grand dracosire de l’ombre. Ils la ramassèrent la conservant comme un précieux artefact des temps anciens. Ils continuèrent leurs investigations dans ce qui servait de fort, de caserne. Sous les gravas, ils purent trouver un anciens écus d’apparat. Ils ne purent déterminer quelles étaient les armoiries précises, mais ils le prirent en souvenir. Ils conclurent leurs recherches par la tour des mages, ou du moins ce qui semblait l’être. À l’intérieur, ils purent trouver ce qui restait d’un registre des dragonniers. Ils purent constater qu’en tout et pour tout, il y avait un peu plus d’une soixantaine de dragonniers. Cependant, en observant bien les dates de vie et mort, d’admission dans l’ordre, il ne devait y avoir qu’environ vingt dragonniers de manière simultanée. Vingt était déjà beaucoup, et la force de cet ordre devait avoir été incroyable. Les vaincre n’avait pas dû être une mince affaire. Qui avait pu faire tomber cette force à l’époque ? De plus, ils purent trouver quelques noms et renseignements. L’elfe Celyra était la fondatrice de l’ordre avec Agrod, un nain. Elswyn était un humain. Un nom avait été barré, celui d’un dragon qui était associé à Urund, un dragonnier. Il semblait commencer par un « K » et un « R » était présent dans son nom, mais ils ne purent complètement lire à travers l’encre.
Finalement, ayant fait le tour, ils se dirigèrent vers la cathédrale d’Asmodéus, aussi appelée les Portes de Kéloph.
Ils firent le tour de la ville pour atteindre la Voie de la Pioche et du Marteau, le quartier construit autour de la route des mines. C’était dans ces lieux que l’on pouvait retrouver la communauté naine presque dans son entièreté. Les aventuriers pouvaient voir les petites maisons sur le flanc de la montagne pour accueillir les dawis qui n’avaient pas eu la place dans la Cathédrale d’Acier, la petite cité naine sous la montagne. Dès que l’on s’éloignait des contreforts, les bâtiments avaient une architecture davantage humaine. De nombreux édifices tels que la prison, le tribunal ou la massive et gothique cathédrale d’Asmodeus surplombaient les habitations du quartier.
En arrivant devant les Portes de Kéloph, ils eurent un léger frisson qui parcourut leur échine. Le bâtiment avait quelque chose de lugubre : des gargouilles étaient présentes un peu partout, surveillant avec froideur le peuple passant sous leurs yeux tandis que sur les gravures sur les murs ou les massives portes représentaient les différentes strates des Enfers, avec leurs lots de punition, d’expiation, de souffrance et d’horreurs. Si cela avait pour but d’intimider le peuple, les aventuriers auraient parié que cela marchait au moins un peu. Les sculptures étaient taillées avec des pointes et cela semblait évident que pour escalader ce genre d’édifice sans se blesser, il fallait être un expert.
Ils entrèrent et furent surpris de voir que la cathédrale était fortement remplie. Le culte du Prince Noir avait apparemment la cote en ce moment à Glenwyrm. Nombreux ceux qui étaient convaincus qu’il apportait la stabilité dans la cité, ou ceux qui craignaient d’être puni s’ils ne lui portaient pas un peu d’attention. Le rez-de-chaussée était assez classique, mais le plafond n’était pas aussi haut que la taille totale du bâtiment. En observant attentivement, ils purent constater que des escaliers partant du chemin de ronde à l’étage menaient à des pièces au-dessus de la voûte de la cathédrale. C’étaient là qu’ils se rendaient leur expliqua Alix. Au-delà de ces escaliers, se trouvaient des appartements privés dans lesquels les réunions du Conseil du Dieu Griffu se déroulaient. Avant, c’était dans la Cathédrale de l’Héritière, celle d’Iomédae, que cela se passait. Ils purent également constater que des escaliers menaient vers des étages inférieurs. Connaissant Asmodeus, les aventuriers ne préféraient pas savoir ce qu’ils pourraient y trouver.
Ils montèrent donc dans les appartements supérieurs, après avoir passé le contrôle des gardes où Alix leur expliqua que Vidar, Marduk et Drark faisaient partie de ses compagnons pour la représentation du soir. Ils arrivèrent dans des petits appartement qui étaient situé non loin de la salle du conseil, ouverte et en contrebas, où les grands prêtres étaient en train de discuter du compte rendu de l’expédition d’Éléanore. Alix conduit les aventuriers vers un petit salon ouvert où ils purent se reposer et fignoler les derniers détails concernant leur prestation. L’oracle proposa donc de rajouter un sortilège de vol pour permettre une entrée plus thématique du barde. Rien de tel qu’un peu de voltige pour parler de dragons affirma-t-il.
Mais tandis qu’ils discutaient de la représentation, ils purent entre les voix des membres du conseil résonner et des bribes de conversation leur parvinrent.
« …. je suis vraiment étonné, j’avais l’impression que tu aurais eu plus de clairvoyance. Il est certain que ces géants nous auraient été plus utiles vivants que morts. »
« Mais, je ... »
« Ne discute pas, nous sommes tous d’accord ici pour dire qu’il s’agissait là d’une mauvaise décision. Je pensais d’ailleurs que la clémence faisait partie des préceptes de ta déesse, mais peut-être me tromperais-je ? »
« Je m’excuse, je suppose que j’ai agi de manière trop cavalière. »
« … à dire vrai, c’est surtout que nous sommes déçus, ... »
Le volume des voix redescendit après cet éclat d’énergie qui leur était parvenu. Apparemment, le conseil n’était pas satisfait de la ligne de conduite de la championne. Ce n’était soit pas assez réfléchi, soit pas suffisamment en accord avec leur vision des choses. Quelques minutes plus tard, ils furent appelés pour dire que le début de la soirée n’allait plus trop tarder, la réunion du Conseil avait pris fin et les serviteurs installaient les tables.
Les artistes improvisés se préparèrent. Drark commença a envelopper les lieux de brume, particulièrement le balcon surplombant la salle, et l’endroit où Alix allait se réceptionner, afin d’installer une ambiance mystique et mystérieuse alors que les premiers sons de cithares se faisaient entendre, résonnant de manière onirique aux oreilles des auditeurs.
Alix apparut dans la brume et commença à réciter le poème écrit par Marduk. Sa voix était empreinte d’une douceur mélancolique, reflétant le tragique des évènements. Alors qu’il marchait adroitement sur la barrière de pierre du balcon, il se mit face au conseil, et fit un pas vers l’avant. C’était le moment où Vidar savait qu’il devait lancer son sort de vol, et c’est avec surprise que le public vit le barde marcher dans les airs pendant quelques secondes, lentement, pour finalement faire une pirouette, mimant la trajectoire d’une dragon. Malgré le sortilège, l’absence de répétition pour ce mouvement fit qu’Alix faillit mal se réceptionner, mais le champion était là pour l’aider à l’atterrissage, et le rattrapa sans trop se dévoiler dans la brume. Tandis que la mélodie évoluait et faisait référence à l’âge d’or des dragonniers, des flammes prenaient vie dans l’épais brouillard qui enveloppait la salle, et de concert, la mélodie prenait des tournures plus inspirantes, apportant des touches d’espoir dans cet océan d’incertitude. On pouvait sentir l’émotion monter dans les cœurs de l’assemblée, tandis que l’atmosphère mystique portait l’imagination à voir des choses qui ne se trouvaient pas dans la pièce, telle que les hautes tours de la Citadelle de la Gardienne, autour desquelles des majestueuses créatures à écailles flottaient malgré leur poids et leur puissance incomparable... jusqu'à ce que Vidar se tranforme en dragon. À ce moment, des bouches bées se firent apercevoir tandis que la silhouette du dragon se dessinait, arpentant à quatre pattes la pièce, masqué par la brume. Là où ses pas le menait, les flammes au sol le précédaient. Et puis il se releva, déployant ses ailes dans cette ambiance magique et magistrale. Sentant la tension monter, et la fin de la chanson arriver, l'oracle s'envola dans la pièce, passant au-dessus du barde pour aller se placer devant Éléanore d'Argatil, jusqu'à s'incliner devant elle.
Lorsque le morceau prit fin, et qu’Alix termina son récital, la tension était à son comble car le public, c’est-à-dire les serviteurs, les gardes et les conseillers, tous cherchaient du regard les réactions des archiprêtres du dieu Griffu. Le barde avait eu du cran d’aborder de manière si ouverte et nostalgique l’époque des dragonniers, alors que l’Ordre du Dieu Griffu avait combattu et remplacer ceux-ci.
Après quelques secondes de silence, qui pouvaient être interprétées comme une vérification que la prestation ne continuerait pas, des applaudissements se firent entendre et toute la salle suivit avec énergie. Alix n’était pas certain que le message avait été le plus adapté à l’audience, mais la prestation avait été magnifique et cela suffisait pour l’instant à gagner les faveurs du conseil.
La soirée débuta alors et les les plats arrivèrent sur les tables, ainsi que le vin et la bière qui firent leur apparition sous les tonnerres d’applaudissement.
« Je vais un peu faire le tour et continuer à jouer, allez vous installer pour manger. Je dois encore me faire voir un peu et sonder la salle sur notre prestation. Il est important qu’ils retiennent mon joli petit visage. » fit Alix aux aventuriers, avec un petit sourire en coin.
Le groupe mangea alors, observant les différentes tables, particulièrement celle des archiprêtres. Marduk se demandait si Dal’ris l’avait déjà reconnu, mais ce fut à ce moment qu’ils furent abordés par Éléanore.
« Mes amis, quel plaisir de vous revoir ici ! Je ne savais pas que vous étiez des artistes. Que faites-vous ici ? » dit-elle avec enjouement.
« À vrai dire, ce n’était pas tout à fait prévu, mais Alix de Cherquidant, le barde qui a réalisé la prestation, est une de nos connaissances, et il nous a demandé notre aide pour cette soirée. Nous avons accepté avec plaisir. »
« Cela me fait beaucoup de bien d’avoir des visages sympathiques dans cette soirée trop mondaine à mon goût. Je n’ai jamais fort apprécié le décorum et les formalités autour du Culte. Si j’avais pu choisir entre passer ma soirée avec ma sœur au calme et ceci, mon choix aurait été vite fait, dit-elle avec un petit air de regret dans la voix. Et puis… vous avez peut-être entendu mais je n’ai pas vraiment fait l’unanimité sur mes récentes décisions. J’ai eu droit à de sévères remontrances et de lourds reproches sur ma ligne de conduite. » continua-t-elle en se pinçant les lèvres. Les aventuriers sentaient qu’elle avait du mal à encaisser les paroles qui lui avaient été adressées. Marduk se retint de lui dire qu’il l’avait pourtant prévenue, sentant que cela rendrait probablement la situation encore plus inconfortable pour elle.
« Je pense que je me suis laissée emporter quand j’ai réalisé que ma sœur était passée à deux doigts de la mort. Je vous remercie encore pour votre intervention. » ajouta-t-elle avec un sourire de gratitude. Puis elle marqua une petite pause et regarda la salle qui mangeait avec appétit en envie, contrastant totalement avec les états d’âme de la paladine. Finalement, elle conclut la conversation avec une dernière phrase :
« Je ne sais pas ce que je ferais sans elle. »
Puis elle alla se rasseoir à sa table où son état major l’attendait pour manger.
Les aventuriers profitèrent de la nourriture à disposition et firent pitance comme il se devait, mais il y avait encore quelques personnes à qui ils désiraient parler. Vidar se leva après avoir honoré son repas, et il se dirigea vers la table du conseil. Plus particulièrement, il voulait discuter avec les membres de son ascendance qui se trouvaient dans la salle, afin d’avoir des informations sur la Cathédrale d’Acier et savoir quel serait le soutien de sa communauté dans sa quête personnelle. Il vit un homme habillé avec une grand costume majestueux, avec la barbe longue, signe de sagesse chez les siens, et il s’approcha pour lui adresser la parole.
« Veuillez m’excuser, monseigneur, mais si vous avez quelques minutes à m’accorder... » débuta l’oracle avec respect. Le nain à qui il venait d’adresser la parole se retourna et Vidar put constater qu’il avait devant lui un aveugle. Ses yeux étaient sombres et voilés, comme un charbon recouvert de cendres.
« Mais je vous en prie, c’est toujours un plaisir d’accueillir un membre de notre grande nation. À qui ai-je l’honneur ? » répondit le vieil homme.
« Je me nomme Vidar, fils de Brokk et arrière petit-fils de Tuisto du clan Odeson. Je viens ici à la cherche d’aide, car ma quête personnelle, celle de chasser et tuer un orc du nom d’Ulgan, m’a amené dans ces montagnes. Après un affront indicible, il me faut absolument redorer la gloire de mes aïeuls. J’espère que vous saurez comprendre la volonté d’un nain qui ne veut rien d’autre que d’honorer la mémoire de ses ancêtres. Je sais que c’est probablement une demande peu commune et cavalière, mais toute aide, que ce soit matérielle, en armes ou nains, même la plus minime, serait la bienvenue. »
Vidar conclut en inclinant légèrement la tête vers le bas, en signe de respect. Et bien que le nain en face de lui fut aveugle, il avait bien compris que les gestes autour de lui ne lui échappaient pas. Il sentait les choses. Un léger sourire chaleureux éclaira alors le visage du chef nain.
« Par les barbes des cinq rois, le fils de Brokk ! Sache que tu es ici en terre d’amitié. Nous avons accueilli ton père durant de longues années et il est clair que si tu es fait du même bois que ton géniteur, ta place est parmi nous aussi longtemps que tu le souhaiteras. Je me nomme Grektor Bar-Galak, et je suis le conseilleur du Thraduin, le grand prêtre de Torag et membre du Culte du Dieu Griffu. Je vais regarder ce que je peux faire, mais sache que je ne peux rien te promettre car ce n’est plus moi qui prend les décisions. Je suis davantage un guide spirituel et un soutien vers qui on se tourne en cas de besoin. »
« De par votre stature et votre aura, j’ai cru que vous étiez à la tête de l’Église de Torag... » expliqua Vidar avec confusion.
« Vous n’aviez pas tout à fait tort, j’ai autrefois occupé cette place. Cependant, il s’agissait un temps où il m’était encore permis de voir la lumière du jour. Mais j’ai fauté, et Torag m’a puni. » dit-il puis il marqua une pause, perdu dans ses pensées. Puis il reprit :
« Quoi qu’il en soit, je suis content de vous avoir rencontré Vidar Odeson. Je vais demander à Thraduin si une aide serait possible. Honnêtement, je pense qu’il sera disposé à vous tendre la main pour vous épauler dans votre aventure personnelle. Venez en début d’après-midi à l’église de Torag. J’ai un rendez-vous avec lui le matin. Cela me permettra également de vous montrer l’une des plus belles œuvres de votre père : La Grande Mosaïque de la Quête du Ciel. »
Vidar ressenti un élan d’excitation. Son père n’avait pas l’habitude de s’étendre sur sa vie personnelle ou ses œuvres, trop humble pour vraiment se vanter. Parfois, Vidar avait pu observer la fierté intérieure qui brûlait comme une flamme vive dans les yeux de son paternel, mais ce n’était presque jamais avec des mots qu’il exprimait ses sentiments.
« Ce serait avec plaisir. Merci beaucoup Grektor Bar-Galak, ce fut une joie un honneur de vous rencontrer. » conclut l’oracle en laissant le nain tranquille.
Marduk décida alors d’aller saluer son oncle. Il lui semblait qu’après l’avoir observé pendant une bonne partie de la soirée, il devait finalement briser la glace. Il se leva, se dirigea directement vers la table des archiprêtres.
« Bonsoir oncle Dal’ris. » commença le champion avec un léger sourire en coin.
« Bonsoir Marduk. » répondit-il avec un ton calculé. Il semblait étonné, mais pas tant que cela. Marduk continua.
« Cela fait longtemps, depuis la chute de la satrapie du Qadira. Combien de temps exactement ? »
« Plusieurs mois au moins. La chute remonte à trois mois et cela faisait encore plus de temps que l’on ne s’était pas croisé. Toi en service à la frontière et moi aux côtés de Kalid le Fou. » répondit Dal’ris.
« En effet. Je vois que tu as retrouvé une place de choix ici, en Redana. » enchaîna le sarenrite.
« J’aurais pu en effet trouver refuge en des lieux moins plaisants, je le reconnais. » répliqua le prêtre. Une tension planait dans l’air. Dal’ris reprit la parole :
« Mais… que fais-tu exactement ici ? »
Marduk réfléchit rapidement, remettant ses idées en place. Il ne voulait pas l’affronter ici et maintenant, et préféra une approche moins frontale. Il devait d’abord laisser ses chances à son oncle, et surtout, il se devait de lui livrer une information. Pendant qu’il rassemblait ses pensées, une femme mûre, au longs cheveux noirs lisses et à la peau pâle vint souffler un message dans l’oreille de Dal’ris. Marduk sembla apercevoir les narines de celle-ci bouger, comme si elle reniflait les alentours. Elle partit, et le champion reprit la conversation.
« Je viens t’annoncer que ton père, Sazu... est mort. »
« Oh. » Une ombre passa sur le visage du prêtre d’Asmodéus. Il était clair que même si les relations avaient toujours été assez dures entre lui et son père, il était visiblement attristé d’entre cette nouvelle.
« C’est attentionné de ta part de me l’avoir annoncé. Mais je suppose que tu n’as pas fait tout ce chemin juste pour me dire cela. Si vous êtes disponibles, vous pouvez venir manger chez moi demain soir. Cela nous permettra de davantage discuter, dans un contexte plus privé. Et n’hésite pas à inviter tes compagnons. Tous tes compagnons. J’ai d’ailleurs l’impression qu’ils ne sont pas tous présents ce soir... » dit-il avec un air mystérieux.
« Avec plaisir, mon oncle. »
Marduk jura en son fort intérieur, certain que la femme avait des informations sur eux et qu’il ne savait pas à quel point Dal’ris avait joué la surprise ou pas tout à l’heure...
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