Session LX : La fin du Cycle

General Summary

Drark attendait devant la porte de son maître. Finalement, Maï Xin s’était ravisé et n’avait pas accompagné les autres au Poracha. Il avait décidé d’accompagner le gobelin pour aller remettre les composants alchimiques à l’ysoki. On pouvait entendre des bruits de crépitements et de bouillonnement de l’autre côté de la porte en bois. Ce n’était pas conseillé de réaliser des expériences avec seulement une porte de bois pour isoler la pièce, mais les expériences dangereuses n’étaient de toute façon pas conseillées dans les bureaux. Des laboratoires plus sécurisés se trouvaient dans les sous-sols de l’Université, c’était d’ailleurs là qu’ils avaient rencontré l’empoisonneur nagaji.

Une fois les bruits suspects éteints, le gobelin toqua à la porte de manière énergique.

« Entrez ! », entendirent-ils, provenant du fond de la pièce.

Les deux compagnons entrèrent, et ils vécurent une seconde fois la scène qui fut perdue dans les limbes de la Trame du Temps. Drark présenta ses différentes matières récoltées, puis expliqua les propriétés incroyables des clochettes. Cette fois-ci, l’explosion fut plus impressionnante que le pétard mouillé de la première fois. L’explosion était encore loin d’être représentative du plein potentiel de la plante, mais c’était déjà plus convaincant que dans la réalité alternative qu’ils avaient pu explorer.

« Mais, il faut savoir que cette plante pousse dans des lieux… dans lesquels se trouvent des corps en décomposition. Drark fit une petite grimace avec sa bouche en haussant les épaules. Cela posera peut-être un problème avec l’éthique de la cité. »

Skim se gratta le menton.

« C’est vrai qu’en la matière, nous autres alchimistes avons tendance à être plus ouvert d’esprit. Nous voyons chaque personne comme un ensemble de molécules en mouvement, en constante évolution et réorganisation. Il sera peut-être plus compliqué de convaincre la plèbe qu’il ne s’agit pas d’une atteinte à une âme, à une certaine intégrité intellectuelle ou spirituelle... »

Il réfléchissait maintenant en se lissant la moustache.

« Je vais en parler à Merlando, je suis certain qu’il trouvera une solution. Il doit bien y avoir un moyen de soit faire cela hors de la vue des passants si nous ne parvenons pas à convaincre l’opinion publique… Oui, il trouvera bien une solution. » répéta-t-il, pensif. Puis, il reprit la parole.

« C’est une excellente nouvelle que tu me ramènes ces éléments alchimiques. Je ne pense pas t’en avoir déjà parlé, mais nous sommes actuellement sur un projet, que je pourrais qualifier de grandiose, en collaboration avec l’Église de Brigh et Thessera, la grande Prêtresse et membre du Conseil des Sept. Elle et ses prêtres ont déjà pas mal avancé sur le projet. Si cela te tente, tu peux m’accompagner, je dois m’y rendre juste après. Je pourrai leur annoncer que nous avons peut-être trouvé des combustibles qui seraient adéquats. »

« Ah dire vrai, je n’ai pas encore réellement eu l’occasion de tester les composants que je vous ai amenés. J’ai pu constater par moi-même les effets de l’électricité sur la clochette, mais pour ce qui est de la plante issue du Marais des Cendres ou le champignon provenant des cavernes dans la Marche du Vent, je n’ai pas encore de confirmation de leur utilité. » précisa le gobelin.

« Oui, oui, nous verrons bien évidemment. Allons-y maintenant. » dit l’ysoki après avoir récupéré les petites fioles dans lesquelles les substances dont Drark avait parlé se trouvaient.

« Une dernière chose, maître Skim. Serait-il possible d’aller discuter avec le Directeur de l’Université tout à l’heure ? J’ai quelques informations importantes à lui communiquer. » dit Drark tandis que l’homme-rat fermait à double tour la porte de son bureau qui sentait encore le soufre, une fois que tout le monde fut sortit.

« Hmm ? Oui, sans problème. Je dois le voir après ma visite à l’Église de Brigh de toute façon, vous n’aurez qu’à m’accompagner. »

Ils quittèrent l’université, traversèrent la place et descendirent en bas de la Montagne Dorée. Une fois en bas, ils entrèrent dans le Quartier de la Couleuvre. Ce quartier était un des plus modernes de la cité d’Orville, et on pouvait voir les traces de l’évangélisation de Brigh dans l’architecture des bâtiments, sur les enseignes des échoppes ou dans les vêtements des passants. Que ce soit des engrenages utilisés comme médaillons, des montres à goussets ou des esthétiques apparentées à la mécaniques, il était clair que cette partie de la ville avait adopté le progrès et vivait dans cette mouvance.

Ils arrivèrent dans l’église dont la grosse tour à la découpe grossièrement stylisée arborait une énorme horloge mécanique possédant trois grosses aiguilles tournant à des vélocités différentes. L’intérieur du sanctuaire ressemblait davantage à une usine qu’à une église. Des machines actives, tantôt en mouvement grâce à la force mécanique des engins présents, tantôt en action grâce à l’énergie divine fournie par les prêtres qui entonnaient des incantations, réalisait divers travaux. La plus grosse, celle qui attira l’attention de Maï Xin et Drark, réalisait un travail d’élévations de plaques, permettant de monter des charges ou des personnes, telle un ascenseur tournant en continu, dont les plaques, suspendues à un mécanisme de roue, étaient chargées de pièces métalliques ou de prêtres. Cette énorme roue faisait la transition entre le rez-de-chaussée et les sous-sols de l’église.

Skim s’avança alors et fit signe aux deux compagnons de le suivre, puis il fit un petit saut sur une des plateforme en mouvement. Cela se voyait qu’il avait l’habitude de venir et qu’il faisait entièrement confiance à ce système mécanique. Drark et Maï Xin lui emboîtèrent le pas et sautèrent sur la plaque métallique en mouvement.

Quelques secondes plus tard, ils se trouvèrent dans les sous-sols, illuminé par des bâton de lumière, outil alchimique que le gobelin connaissait bien. Ils descendirent au moins un, et prirent un petit couloir qui menait à une grande pièce s’enfonçant plus profondément, au même niveau que le moins deux et le moins trois. Dans cette grande cuvette que formait la pièce, coque de navire était disposée, maintenue par des cordes, des poteaux de bois et des étaux. Les planches du ponts étant en partie pas encore placées, il était possible d’apercevoir les mécanismes présents dans les cales : de grosses roues et engrenages tournaient, manipulant des pistons et autres machineries pour faire bouger des ailerons, des éléments d’un ballon pour le moment inexistant.

Skim s’avança vers le prêtre qui semblait être en charge de la coordination des travaux tout en expliquant à ses deux invités :

« Nous sommes responsables, avec l’Université, de la partie alchimique, évidemment. Nous travaillons donc sur des réactifs qui peuvent dégager de la chaleur, de la pression, afin de pouvoir actionner des pistons qui eux-mêmes seront reliés à des systèmes de direction du vaisseau. Mais nous avons commencé également à travailler sur des systèmes de secours en cas de problème avec le ballon. »

Ils arrivèrent à proximité du prêtre humain, âgé d’une quarantaine d’année. Skim s’adressa alors à celui-ci :

« Mais vous expliquerez cela sûrement mieux que moi, mon cher Darian. Je vous présente Drark, mon apprenti, et Maï Xin, l’un de ses amis. Il maîtrise les éléments de l’air, il sera peut-être de conseils avisés. »

Darian salua les visiteurs d’un petit geste de tête, puis reprit les explications de l’ysoki.

« En effet, l’Université s’est proposée pour essayer d’élaborer des systèmes d’urgence. Voyez-vous, la partie compliquée dans l’affaire n’est pas de faire voler l’engin, pour tout vous avouer, il est déjà capable de voler. L’entreprise plus hasardeuse, est de le maintenir dans les airs en cas de conditions difficiles : lors d’un orage, lors d’un combat ou d’une erreur de manœuvre, les éléments qui maintiennent le navire dans les airs sont vite endommagés. Nous essayons de les rendre les plus solides et les plus stables possibles, mais certains matériaux sont plus fragiles que d’autres… le pire étant la texture du ballon. Nous avons déjà développé un système qui nous permet de mettre des ballons à l’intérieur du ballon principal, et lorsqu’un trou est formé, nous utilisons un composant alchimique créé par notre ami ici présent afin de gonfler en quelques instants un second ballon qui, en se formant, fermera le trou créé. »

Skim reprit la parole, pendant que le prêtre était occupé de rassembler ses pensées.

« J’avais également réfléchi à un système de bombe alchimique que l’on pourrait faire exploser directement sur la surface trouée, et dont le contenant, liquide dans un premier temps, se durcirait… au contact de l’air ? Ou du tissu du ballon ? Je n’ai malheureusement pas encore trouvé la formule adéquate. Je ne sais pas même si cela est possible. Vous n’auriez pas des formules pour ce type de liquide, mon cher Drark ? »

Le gobelin se gratta la tête et répondit :

« Je ne crois pas. Je vais y réfléchir. Dans ma collection j’ai des formules qui permettent la création de solutions aux propriétés pas très éloignées de ce que vous venez de décrire. Il faudrait que j’essaye. Avec un peu de temps et un bon laboratoire, je pourrais peut-être trouvé cette recette. »

« N’hésitez pas à utiliser le mien. Je sais que vous êtes habitués à votre laboratoire portatif car vous êtes un gobelin de grands chemins, mais si le cœur vous en dit, venez réaliser vos expérience à l’université. ».

Ils discutèrent encore de quelques détails techniques, assouvissant la curiosité grandissante de Maï Xin. Il n’avait jamais vu de machine volante aussi grosse… qu’un dragon adulte ?
 

Pendant ce temps, Baltazar, Marduk et Vidar arrivèrent au Poracha. Il était encore tôt, mais ils trouvèrent déjà quelques clients, soit venus prendre un café avant de se mettre au travail, soit venus boire une bière, n’ayant probablement rien d’autre de prévu de la journée.

L’accueil fut du même acabit que d’habitude. Fijit leva les bras en les accueillant, puis il sortit toutes les bouteilles disponibles, qu’il étala sur le comptoir pour qu’ils puissent faire leur choix, et Vidar prit une boisson forte. Il n’allait pas se laisser mourir de soif, qu’il s’agisse du matin ou du soir. Une fois l’excitation des retrouvailles passées, Baltazar alla discuter avec le poracha, placé cette fois-ci sur le haut d’un fauteuil bien moelleux que les rayons du soleil matinal réchauffait. Alyana, qui s’occupait de faire le matin, alla dire en cuisine de préparer un petit casse-croûte à la cuisinière, une néphilim à la peau rougeoyante.

« Nous sommes venus parler à Mirzini. » commença Marduk, car il fallait bien aborder un moment ou un autre les sujets sérieux.

« Et Madame de la Volupté. » enchaîna Vidar après avoir reposé son verre, la moustache pleine de mousse.

« Mirzini est occupée au Masque Pourpre, elle doit être occupée à ranger la salle pour permettre la seconde représentation d’avoir lieu. Madame de la Volupté, elle, ne devrait pas tarder. » répondit le gnome.

Il ne mentit pas car, quelques minutes plus tard, l’élégante elfe descendit de ses appartements personnels, toujours bien habillée, toujours aussi charmante. Vidar, le cœur palpitant, déposa son verre et se dirigea vers elle.

« Madame de la Volupté, quelle joie de vous revoir ! Je sais que cela ne fait pas longtemps que nous nous sommes croisés, mais cela m’a paru être une éternité. » dit-il, plein d’émotions, se dirigeant vers elle. Il lui fait signe de s’asseoir confortablement.

« Maître Vidar, je vous en prie. Quel flatteur vous faites ! Dit-elle en rigolant et rougissant et réajustant ses longs cheveux d’un noir de jais. Je vous dirais bien d’arrêter mais il se trouve que je partage votre sentiment : que cela m’a semblé bien long ! ». Mélopée était de ces personnes qui feignaient vouloir refuser les compliments, mais qui étaient en réalité avide de ceux-ci, tant qu’ils venaient de personnes appréciées. Dans le cas contraire, elle utilisait néanmoins la même stratégie, mais avec une affection feinte et un degré de maîtrise calculé, laissant croire qu’elle était touchée alors que le grand jeu de la manipulation avait bien commencé. Marduk les laissa seuls à la table, il savait qu’il aurait l’occasion d’échanger bientôt sur les sujets qui le concernait.

« Comment vous portez-vous ? Je dois bien avouer que vous ne quittez pas mes pensées, jour comme nuit. » répondit l’oracle.

« C’est très gentil à vous de vous soucier de mon bien-être. À dire vrai, j’ai également pensé à vous. C’est fâcheux que nous n’ayons pas l’occasion de se voir plus souvent. Le monde ne s’arrête malheureusement pas de tourner : vous avez l’honneur de votre clan à restaurer, et moi je dois veiller sur la cité, sur les miens. » dit-elle avec regret. Ses joues étaient toujours légèrement rosées, comme pincées par les paroles de son interlocuteur.

« Je ne pourrais mieux dire. J’ai toujours été mû et dirigé par mon devoir envers mon clan, envers les miens. Mais en ce moment, j’aimerais pouvoir mettre tout en pause, faire une parenthèse, pour être à vos côtés plus souvent. » continua-t-il, après un long soupir. Il savait cependant que son devoir n’était plus la seule raison de sa détermination.

« Mais vous ne pourriez pas. C’est dans votre nature, c’est dans votre caractère, et c’est pour ces raisons que les personnes autour de vous apprécient… vous admirent. » compléta-t-elle, les yeux brillants, légèrement penchée vers lui au-dessus de la table, réduisant l’espace qui les séparaient.

« Mais ce que je peux faire, ce que vous pouvez faire, c’est m’accorder une faveur. »

Puis il la regarda droit dans les yeux, d’un regard intense, du regard de quelqu’un qui savait ne pouvait pas prédire l’avenir au point de savoir qu’il allait s’en sortir vivant. Le regard qui savait que dans ces moments, le meilleur des talismans de protection n’était pas un bouclier ou une magie ancienne, mais la promesse faite à un être aimé de revenir vivant. Il ouvrit la bouche et parla avec une voix profonde chaleureuse, presque exaltée :

« M’accorderiez-vous votre main ? »

Le rouge monta aux joues de l’elfe. Elle se redressa et cligna des yeux plusieurs fois, la surprise et l’émotion lui faisant monter des larmes de joies et de stupéfaction. Puis elle reprit ses esprits et répondit :

« Oui ! »

Les aventuriers, non loin de là, comprirent ce qu’il se passa à la réaction de la gérante des lieux. Marduk commanda une tournée pour les quelques clients présents dans l’établissement et l’euphorie commença à gagner les lieux.

L’oracle enlaça alors Madame de la Volupté dans ses bras et la fête débuta, dès le matin. Ils auraient bien attendu le soir, mais ils savaient qu’ils n’avaient plus le luxe d’attendre. L’urgence de la situation se resserrait comme un étau, et on pouvait sentir une sorte de calme précédant la tempête, une sorte de dernier bol d’air avant l’apocalypse. La bière commença à couler à flot et les passants dans la rue furent hélés et la fête commença a se propager parmi les convives improvisés.

Pendant ce temps, Drark et Maï Xin, en compagnie de Skim, arrivèrent dans le bureau de Merlando. Après avoir passé les présentations et le rapport de l’état d’avancement des dirigeables, Drark aborda alors l’élément qui les avaient menés ici.

« Merlando, nous sommes venu ici, avec mon ami Maï Xin, afin de discuter avec toi de la situation politique d’Orville. Nous venons de Glenwyrm, et je peux t’assurer que les nouvelles ne sont pas bonnes. »

« De Glenwyrm ? Mais cela se trouve à des centaines de lieues d’ici, en quoi sommes-nous menacés par quelque chose de si lointain ? » dit-il, curieux d’en savoir plus. Il sentait que des informations de taille allaient suivre.

« L’Empire Zithaï est passé à l’action, et Glenwyrm n’est pas la seule cité à être touchée. Leur plan n’est pas simplement de prendre le nord, mais bien de s’appuyer dessus pour alimenter le reste de la guerre, grâce aux nombreuses ressources présentes dans cette région. » répliqua l’elfe.

« Le conflit a déjà commencé plus à l’est, la Marche du Vent est tombée. » compléta Drark.

Le directeur de l’université se redressa sur sa chaise.

« Comment ? » dit-il avec effroi.

« Il ne reste plus que la cité nomade des orcs qui a pu éviter de se faire prendre, et les Chevaucheurs du Vent qui restent indépendants. » ajouta le kinésiste.

« Nous avions donc bien fait de les renvoyer d’ici. Même si au final ce n’était pas eux qui étaient derrière l’assassinat d’Ombroise, ils l’auraient probablement fait s’ils avait pu saisir cette occasion. » dit Merlando, en fronçant les sourcils.

« Je pense surtout que le Royaume d’Onclair voulait que nous nous retournions contre les elfes pour préparer le terrain, attiser la colère des hommes d’Orville pour nous convaincre de se joindre à eux dans cette guerre. » ajouta l’elfe.

« Mais en réalité, les intentions des hommes d’Onclair est tout aussi maléfiques. Ils ont assassiné notre alchimiste le plus renommé, et ils sont occupés à mettre la pression, à faire du chantage dans la Marche de Pierre afin d’utiliser Glenwyrm comme chair à canon pour ensuite les asservir. Je ne pense pas que cela aurait été différent ici. » compléta le gobelin.

Le directeur de l’université se rassit, déprimé par les nouvelles qui lui parvenaient. Puis après un long soupir, il reprit sa contenance et demanda :

« Je suppose que vous ne venez pas simplement avec des mauvaises nouvelles, vous avez sûrement réfléchi à des pistes de solution ? »

Maï Xin et Drark s’échangèrent un regard, puis le gobelin, plus proche de Merlando, prit la parole :

« Nous pensons que le meilleur moyen de nous en sortir est d’unir la Redana. La servitude, qu’elle soit sous le joug des elfes ou des hommes, sera la pire des solutions. Il marqua une pause, puis reprit. Ce qu’il faut, c’est faire un front commun et unir nos efforts afin de saper les forces, déjouer les plans de nos adversaires en utilisant nos forces respectives là où elles sont le plus utiles. Mon ami ici présent, Maï Xin, a la possibilité de communiquer avec n’importe qui en Redana, pour peu qu’il l’ait rencontré. Nous comptons entre autre sur cela pour coordonner nos manœuvres. Glenwyrm a déjà entamé la résistance, et nous les avons aidé en tuant le surintendant et grand prêtre de Norgorber, Nador. »

Une pause fut marquée, laissant la possibilité au directeur d’assimiler les informations. Il prit alors la parole, comme pour lui-même.

« Les hostilités sont donc déjà ouvertes. »

« Elles l’étaient même avant, le royaume d’Onclair avait mis la main sur une grande quantités de mines, situées à l’ouest dans la Marche, si nos informations sont bonnes. » reprit alors Drark.

« Pour le moment, les Onclairiens n’ont pas encore entrepris d’actions hostiles, mais nous avons pu constater que cela n’était qu’une question de temps. En fouillant les documents que Nador possédait, il parlait de plans terrifiants, utilisant des artefacts pour invoquer un avatar de la mort et assurer le meurtre des grands dirigeants des Marches de Redana ou de Zithaï. » compléta Maï Xin.

« Et du côté des elfes, à quoi peut-on s’attendre ? » demanda Merlando.

« Ils ont actuellement fait alliance avec des orcs et des démons vénérant Rovagug, qui assaillent actuellement le nord pendant que les elfes envahissent la Marche du Vent. Mais... il faut savoir que les elfes sont en possession de dragon. » finit par ajouter le kinésiste.

« Des dragons ?! » reprit l’alchimiste, écarquillant les yeux.

« Oui. Heureusement, il s’agit principalement de jeunes dragons car ils n’ont éclos seulement il y a quelques siècles, mais cela reste néanmoins des menaces qu’il ne faut pas sous-estimer. » répondit l’elfe.

« Très bien. On va vraiment avoir besoin de ces clochettes dont tu nous as parlé, Drark. Je vais voir avec Monsieur Spireane s’il a des endroits où il peut faire pousser cela. Comme vous me l’avez décrit, c’est un réactif risqué, mais je pense qu’on va avoir besoin de prendre des risques. N’ayant pas la même position qu’Ombroise, je ne vais pas demander l’accord du Conseil des Sept. Je vais considérer qu’il s’agit d’un cas de force majeure et prendre cette initiative. Les procédures, les discussions ou un refus potentiel serait catastrophique. Je ne sais même pas si nous aurons le temps d’en faire pousser avant l’arrivée des envahisseurs. » dit-il en faisant le point.

« En parlant du Conseil des Sept, reprit le gobelin, nous aimerions que vous utilisiez votre influence pour soutenir le projet d’unification de la Redana. Je ne sais pas si nous aurons le temps d’aller plaider cette cause par nous-mêmes, mais nous avons déjà répandu le mot auprès de tous les alliés que nous avons dans la ville. Si vous suivez ce mouvement, cela donnera une véritable crédibilité un vrai poids à cette pensée. »

Merlando réfléchit quelques secondes, puis acquiesça en disant :

« Très bien, je vais soutenir l’idée des Marches Indépendantes, en espérant qu’ils ne craignent pas davantage la guerre que la servilité. Nous verrons bien. »

Skim, Drark et Maï Xin prirent congé et ces deux derniers rejoignirent alors leurs amis au Poracha. La fête battait son plein et de nombreux en-cas avaient été improvisés par la cuisine ou achetés dans les commerces non loin pour nourrir tous les invités surprises.

Le vin et la bière coulaient à flot, la musique rythmait les mouvements joyeux des convives, et les aventuriers oublièrent, l’espace de quelques heures, ce qui les attendait après. Marduk avait fini les préparatifs, et il demanda le silence pour démarrer la célébration.

« Nous sommes tous réunis aujourd’hui, proches comme distants, amis ou amants, pour célébrer l’union de deux des nôtres. Aujourd’hui, nous marions la grâce des elfes avec le loyauté des nains, le chant du rossignol avec celui de la forge, la tresse et la barbe. C’est l’union de deux mondes, mais surtout, de deux aventures. Aussi incertain que soit l’avenir, ce qui est sûr, c’est que ces deux âmes ont décidé de se lier, pour le meilleur et pour le pire. Nous ne savons pas ce qui se passera demain, mais aujourd’hui est un jour cadeau, et c’est pour cela que nous le nommons « présent ». »

Il marqua une petite pause. Il savait qu’il valait mieux être concis dans ce genre de situation, alors il conclut en s’adressant à toute l’assemblée :

« Levons nos verres à Mélopée et Vidar, et que leur coupe ne soit jamais vide ! »

Un hourra d’approbation suivit la déclaration du sarenrite et ils levèrent leur verre pendant quelques instants, pour le vider d’une traite directement après.

Mélopée et Vidar étaient au milieu de la cohue, comme dans une sorte de cocon formé par leur récent engagement. L’elfe passa ses mains derrière sa tête, et les plongea dans sa chevelure bouclée. Elle détacha un collier qui pendait à son cou, et le tendit à Vidar. Il s’agissait d’une petite chaîne de mithral au bout de laquelle se trouvait un anneau d’or. Le nain porta l’anneau à hauteur de ses yeux, et put apercevoir les motifs présents sur le bijou. Une chouette et un cerf. Il haussa légèrement les sourcils et demanda :

« Le cerf… mais ne serait-ce pas le blason de... »

« La dynastie Aëthir oui. Mon père n’en faisait pas partie, à proprement parler. Mais il a reçu le titre de chevalier de la reine après lui avoir rendu service. Il s’agissait de la Reine à l’époque, la mère de Mûldir, d’Anwon et de Miad. La chouette représente la famille de ma mère. » répondit-elle, en passant en même temps son index délicat sur les motifs de l’anneau.

Vidar prit quelques secondes pour assimiler l’information, puis il passa sa main à la ceinture, et en sortit une dague dans son fourreau. Elle possédait les traits carrés et parfois considérés comme grossier de la manufacture naine. Mais un connaisseur aurait directement remarqué qu’il s’agissait d’un artisanat de la plus haute qualité, typique des armes fabriquées pour signifier l’appartenance à un clan. Également, elle ne dit mot, mais ses yeux laissaient transparaître qu’elle avait parfaitement compris l’importance de ce cadeau, de ce geste.

Puis ils se mirent à rire tous les deux et la fête continua.

La fête continua encore pendant quelques temps, puis les aventuriers dirent au revoir au Poracha car ils n’avaient plus beaucoup de temps. Ils leur restait moins de quarante-huit heures pour tuer Dal’ris. Il se rassemblèrent dans une ruelle pour mettre leurs idées au clair.

« Bon, récapitulons. Quel est notre plan ? » commença Maï Xin.

« Honnêtement, j’ai encore des doutes, dit alors l’iruxi, mais on ne doit plus traîner. Ces protubérances sur ma tête commencent à m’inquiéter. »

« On va mettre fin aux agissements de Dal’ris. Il a beau avoir sembler montrer des beaux sentiments, il n’a fait que gagner du temps. Et là, du temps, nous n’en avons plus. Soit nous le finissons, soit s’en est fini de Baltazar. » ajouta Marduk.

« Donc on se téléporte à nouveau à Glenwyrm et on lui règle son compte ? » suggéra Vidar.

« Et le poison ? » demanda alors Maï Xin.

« Attention, il s’agit d’un poison qui nécessite une exposition prolongée : cela signifie qu’il faut qu’il le mange, ou qu’on puisse l’appliquer sur son corps. » précisa l’alchimiste. Il s’agissait des poisons les plus puissants, mais ils ne convenaient pas pour empoisonner des lames.

« On pourrait le mettre dans sa nourriture alors. » dit Marduk.

« Mais là il doit se méfier de nous. Nous sommes revenus des Enfers et nous n’avons pas du tout discuter avec lui. Si nous parvenons à avoir une audience avec lui, ce serait étonnant, mais un repas paisible, comme si de rien n’était, c’est impossible. » répliqua Baltazar, plongé dans ses pensées, occupé à chercher une solution qui conviendrait.

« Il suffit de le forcer à l’avaler. Cela demande un peu de dextérité et de précision, mais si quelqu’un le maintient en place, je suis sûr qu’on pourrait lui faire ingérer un morceau de nourriture empoisonnée, un peu de cet extrait de Lotus Noir. » dit alors Vidar.

« Je pourrais en effet le maintenir en place, pendant que toi, tu lui ferait avaler la dose. » ajouta le champion, comme pensant à haute voix. Baltazar hocha de la tête, le regard dans le vague. Il n’aimait pas l’idée, mais il savait que c’était faisable. Il aurait aimé prendre plus le temps de réfléchir à un plan à sa manière : mélange subtil de discrétion, suivi d’intimidation et frappe puissante si nécessaire. Mais il était clair que l’horloge tournait et que le temps commençait à manquer. Il hésitait, car ses amis et essayaient d’aider et bien qu’il n’aimait pas les suggestions, elles étaient mieux que rien, et elles étaient théoriquement réalisables.

« Et pour Sarenrae ? Pas de regret ? » demanda alors Drark au champion.

« Elle m’a donné son accord. Elle doit savoir qu’ici le mal est ancré. Je crois que jamais je ne parviendrai à ramener mon oncle à la raison en si peu de temps, et Asmodéus est sans pitié ici : ce sera soit Dal’ris, soit Baltazar… et mon choix est fait. Il a beau être de la famille, la liste de ses crimes est longue que tous les poèmes dédiés à la Fleur de l’Aube. »

Il fit une pause, puis ajouta.

« Donc oui, je regrette que la situation en soit arrivée là, mais nous ne pouvons pas revenir dans le passé. Enfin, pas vraiment. » ajouta-t-il en regardant Vidar.

« Bon, le plan est donc fixé : on se téléporte, on le trouve et on met fin à ses jours. S’il a faim on peut s’en sortir plus facilement, sinon on devra … l’encourager à manger. Si on peut dire cela comme cela. » conclut alors le nain.

« Ce qui m’inquiète, c’est que s’il est malin, il n’a qu’à se cacher durant les deux jours qui viennent et il sera alors certain que j’y passerai... » commença à dire Baltazar.

 « Mais étant la seul personne aux rennes de la cité actuellement, il est difficile pour lui de quitter la ville comme cela, surtout quand la guerre est à leur porte. Il sera probablement accompagné d’une lourde escorte, mais je ne pense pas qu’il quittera la cité. » fit remarquer le champion de Sarenrae, essayant de rassurer son ami. Drark fit alors le compte des différents acteurs politiques impliqués actuellement.

« Malar est en prison et brisé psychologiquement, Eldaron est parti aider Éléanore dans les Chaînes de l’Épine, Thraduin est à l’ouest pour prendre le royaume d’Onclair de vitesse, et il ne reste que la grande prêtresse d’Irori, dont je ne me rappelle même pas le nom tellement elle est effacée dans la politique de la ville. »

« Yevara Djistred. » corrigea Baltazar.

« Oui, bon. Je ne suis pas certain qu’on peut la compter dedans. » répliqua le gobelin.

« Donc on se téléporte à Glenwyrm, on essaye de trouver un angle d’attaque et lorsqu’on a une opportunité, on lui tombe dessus. C’est bien cela ? » résuma Maï Xin.

L’iruxi resta quelques secondes dans ses pensées en essayant de trouver une meilleure solution, mais peut-être qu’aucune solution n’allait être satisfaisante ? Il ne savait plus trop. Peut-être n’avaient-ils que trop attendu et qu’il n’était plus temps de faire dans la finesse. À contrecœur, Baltazar hocha de la tête pour approuver cette déclaration.

« Avant de partir, j’aimerais quand même échanger avec ma cousine. », déclara Marduk.

« Je sais que le temps presse, mais je lui dois bien ça ».

Les autres acquiescèrent silencieusement.

Le champion alla chercher deux verres remplis d’un vin pourpre et épais, et alla trouver Mirzini.

Elle était non loin, vêtue d’une robe à corset dont la fente laissait entrapercevoir une partie de sa jambe dorée, dans un reflet de son arrogance sans vulgarité.

Marduk la pris à part et lui tendit un des verres.

« Nous devons parler. C’est décidé, je vais tuer Dal’ris. »

Mirzini sourit légèrement, contrairement à ce que le champion avait anticipé.

« Enfin. Tu en auras mis du temps. »

« Oui, j’étais persuadé que des meilleurs augures se présentaient pour lui. J’y ai cru, tu sais. Je lui ai parlé de rédemption, comme à toi, de rentrer au pays pour se faire juger, et pourquoi pas tenter de réparer ce qui a été fait. Il y avait été sensible, je pense. Mais, aveuglé par la foi ou le pouvoir, je crains que ça ne soit plus possible, surtout si nous voulons que Balthazar survive. »

« C’est un chien, Marduk. Il était au-delà de toute rédemption possible depuis bien longtemps. Regarde ce qu’il a fait, ce qu’il m’a fait. J’étais devenue une arme, une faux qu’on sort quand le blé est devenu trop haut. J’ai fait ce que j’ai fait, avec devoir et application, mais je n’étais plus sa fille depuis longtemps.»

Il eut un silence gêné. Il était vrai que Marduk avait finalement assez peu discuté de tout ça avec sa cousine, il avait, d’une certaine manière, oublié l’aspect humain de leur relation.

« Mais ma proposition tient toujours, Mirzini. Le pardon se demande à ceux qu’on a blessé. Une fois tout ça derrière nous, nous pouvons rentrer au pays. Nous faire juger, tenter de réparer l’irréparable. Reconstruire, si les sentences sont en notre faveur. Et d’ici là, utiliser nos compétences pour défendre cette terre d’accueil. La guerre est à nos portes, comme tu sais. Tu pourrais nous ramener des informations fiables et sauver des innocents. »

« Tu vois, je suis un outil pour toi aussi ! » le ton de sa voix commençait à monter.

« C’est faux. Puis il fit une pause, attendant une réplique sanglante qui n’arriva pas, alors il continua. Au contraire, je ne veux pas renier qui tu es, ce que tu sais faire, ni même te changer. Cette fois, en revanche, tu as le choix de décider de quel côté tu veux être. »

Mirzini s’énerva un peu plus :

« Marduk, j’ai fait pendre des familles entières. J’ai assassiné dans des ruelles, dans des temples, dans des lits. Pour le roi. Pour mon père. Par habitude. Tu veux que je me tienne devant un tribunal et que je dise “je suis désolée” ? »

Marduk secoua lentement la tête.

« Non. Je veux que tu t’y tiennes droite. Que tu dises : “J’ai fait ce que j’ai fait, mais je ne suis plus cette femme-là.” »

Elle resta figée. Et pour la première fois, il vit ses épaules fléchir.

Pas de faiblesse, ni de soumission. Juste une faille, minuscule, dans le masque d’une ancienne tueuse.

« Tu es dangereux, Marduk, murmura-t-elle. Tu fais croire qu’on peut être sauvé. »

« Je ne te promets rien. Mais je marcherai avec toi jusqu’à ce que tu décides de faire demi-tour, ou d’aller jusqu’au bout. »

Elle hocha la tête. Une seule fois. Puis ramassa sa coupe, redressa le menton, et s’éloigna sans un mot de plus.

Mais à quelques mètres à peine, elle se retourna :

« Tue-le bien. Pas seulement pour Balthazar : pour moi aussi. »

Marduk rejoint alors ses compagnons, et ils se téléportèrent.

Une fois dans la petite chambre, ils se rendirent compte qu’en fait le cercle de téléportation n’avait pas été effacé. Peut-être s’agissait-il un oubli de Dal’ris ? À la réflexion, il ne pouvait pas savoir qu’ils étaient à Orville et que, par conséquent, il ne pouvait pas savoir à quel moment il aurait été opportun de détruire le cercle. Cela semblait malgré tout une erreur de sa part. Permettre à une personne supposée la tuer pénétrer directement dans sa demeure n’était pas vraiment une bonne manière de se garder en sécurité.

Mais en même temps, depuis la conversation avec Marduk, le grand prêtre faisait tout pour aider les aventuriers et essayer de prouver sa bonne volonté. Était-ce sincère ou un moyen de les faire douter et gagner du temps ? Impossible d’en avoir le cœur net, mais ce qui était sûr, c’était que leur décision était prise, maintenant.

Ils écoutèrent alors attentivement afin d’essayer de détecter une agitation particulière. Mais tout semblait calme : des bruits de pas au loin, de échos de voix encore plus lointaine, portées par la résonance du son sur les pierres froides.

Baltazar prit alors la tête, se faufilant dans les couloirs comme un rat dans un labyrinthe. Il ne savait pas exactement où chercher, mais il se dirigeait en suivant son instinct. Dal’ris pouvait se trouver dans la cathédrale, dans son bureau ou une autre salle qu’il fréquentait habituellement, ou dans la cité, alors il faudrait chercher davantage. Mais Baltazar misait sur le fait qu’il serait sûrement ici, là où il se sentait le plus en sécurité, et c’était probablement ici que le quartier général du Culte du Dieu Griffu avait été placé, suite aux différents évènements récents. D’ailleurs, la représentation d’Alix à laquelle ils avaient participé, s’était déroulée dans la partie supérieure de la cathédrale.

Après quelques dizaines de minutes à arpenter les couloirs, à éviter les gardes et à vérifier les traces de présence du grand prêtre, ils s’approchèrent de la salle de réception, l’endroit où ils avaient rencontré pour la première fois, de manière officielle, l’oncle de Marduk. En se rappelant de cet échange tendu, où peu de mots avaient été dits, pour beaucoup de signification, la volonté de Baltazar se raffermit.

Puis il entendit des paroles. Plusieurs personnes se trouvaient dans la salle. L’iruxi fit signe à ses compagnons de se faire attention, et il s’approcha davantage. Il reconnut la voix de Dal’ris, et de sa servante, la femme au visage émacié, aux longs doigts fins, à la peau pâle et aux longs cheveux noirs lisses comme des fils de toile d’araignée passés dans la suie. Ils s’approchèrent silencieusement, mais lorsqu’ils arrivèrent non loin de la porte, une tête passa dans l’entrebâillement et dit :

« Qui va là ? »

C’était un chevalier qui montait la garde à l’entrée de la pièce, et qui avait entendu le groupe s’aventurer pour écouter l’échange entre Dal’ris et sa suivante.

« Arrêtez-vous et identifiez-vous ! » dit le garde en pointant une lance sur Baltazar. Ce dernier jura intérieurement, l’effet de surprise écrasé dans l’œuf.

« Qui est-ce ? » dit alors une voix à l’intérieur.

« Un homme-lézard accompagné de quatre autres personnes. » répondit le garde .

« Ah. Alors vous êtes venus, entendirent-ils à l’intérieur de la pièce. Montre-les moi. »

Les aventuriers hésitèrent un instant, puis, ils s’avancèrent jusqu’à l’entrée de la pièce. Ils se trouvaient au-dessus des marches qui menaient à la pièce en contrebas. La grande table, toujours aussi magnifiquement décorée, les séparait. Dal’ris se trouvait de l’autre côté, près du mur noir au fond de la pièce, sur un petit promontoire ou devait probablement être posées des offrandes à certaines fêtes religieuses. Sa servante était à côté de lui, et deux chevaliers montaient la garde à l’entrée de la pièce.

« N’avancez pas davantage, dit-il tandis que les gardes tenaient en respect les aventuriers. Je n’ai pas besoin que vous veniez me susurrer à l’oreille votre réponse. Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez à la bibliothèque d’Echimvor ? Qu’est-ce qui vous amène ici ? »

Une temps de pause fut marqué. Les aventuriers se regardèrent. Le visage de Baltazar était fermé. On pouvait lire sur le visage des aventuriers qu’ils calculaient. Ils cherchaient une ouverture, hésitaient sur la démarche à suivre suite à cette tentative d’approche discrète échouée. Finalement, Marduk prit la parole :

« Tu sais très bien pourquoi nous sommes là. Je pense d’ailleurs que tu savais, au fond de toi, qu’il n’y avait pas d’issue à ce contrat. Nous avons cherché, nous avons évalué les possibilités, mais tout nous ramène à toi. Nous avons suivi la piste, tels des limiers après une proie que tu savais inaccessible. »

« Et la rédemption dans tout cela ? N’y ai-je plus droit ? Mon propre neveu me semble bien prompt à m’envoyer dans l’au-delà pour sauver la peau d’un voleur sans scrupule. » répondit Dal’ris en insistant bien sur les derniers mots.

« Comme tu sais, nous n’avons plus le temps pour cela. Le contrat se termine demain et puis il sera trop tard pour… ce voleur sans scrupule comme tu dis. Si j’avais plus de temps, je t’aurais montré la voie de la raison, la voie de la rédemption et du pardon, mais il est trop tard. Tu as usé de belles paroles, mais je ne vois toujours de réelles actions qui justifient que je t’épargne et que je laisse mourir mon ami. Tu as eu l’occasion de sauver ton âme, et c’est vers Asmodéus que tu t’es tourné. Un dieu qui n’hésite pas à pousser des âmes en peine à massacrer pour le plaisir. Je ne comprends même pas pourquoi le Prince Noir chercherait à tuer ses propres serviteurs. Les voies des dieux sont vraiment impénétrables. »

« Le faible doit mourir face au fort. Si je meurs face à Baltazar, c’est que je ne suis de toute façon pas un serviteur qui vaille la peine d’être sauvé. Mais cela ne m’étonne pas que cette logique vous échappe, vous qui servez des dieux qui ne comprennent pas que l’univers possède un ordre, des lois naturelles qui régissent le cosmos et la place des éléments dans l’univers. Le loup mange l’agneau, et cela fait partie du cycle des vivants. »

« Mais nous ne sommes pas des animaux. Rien ne nous oblige à suivre ce cycle. » répondit Marduk. Il marqua une pause, puis reprit.

« Aujourd’hui, je brise le cycle. »

Et leva son bouclier en signe d’ouverture de combat.

La servante et les gardes se mirent à brûler. Leur peau se consuma sous la chaleur des flammes intérieures, et leur vrai visage fut révélé. La peau d’un des gardes vira au bleu, se couvrant d’écailles, et de grandes épines, longues comme des lames d’épées, jaillirent de sa peau. Une longue queue poussa et il rugit, son visage devenu complètement diabolique, le visage d’un hamatula, un diable barbelé. La peau de l’autre garde s’assombrit jusqu’à devenir d’un gris crépusculaire, comme des cendres dans la nuit, et de grandes ailes poussèrent dans son dos tandis que de grandes cornes sortaient de son front. Il s’agissait d’un mungola, un diable exécuteur. Les jambes de la servante de Dal’ris avaient disparu, laissant place à une jungle de tentacules qui servaient aussi bien à se déplacer qu’à attraper ce qui se trouvait autour, tels une poulpe infernale. Sa peau était devenue d’un rose rougeoyant, la peau d’une gylou, une diablesse servante.

Ayant anticipé la fin du discours de son neveu, Dal’ris Rabadashur fut le premier à réagir. Il prononça les mots d’une vieille incantation, un chant ancien qui résonna dans la pièce comme une longue complainte pleine de tristesse et de désespoir. La mélodie déchirante était tellement puissante, prenante, que cela posa directement de le ton du combat, hantant les aventuriers qui essayaient d’ignorer ce qu’ils entendaient. Mais c’était dans la tête de Baltazar que cette chanson prenait vraiment son sens, car elle lui était dédiée. Les yeux plein de larmes, l’iruxi avait du mal à se concentrer car le sentiment de deuil non résolu de ses compagnons lui remonta dans la gorge. Il avait envie de crier, pleurer et s’en aller, d’ici, de partout, et trouver un endroit où il pourrait pleurer jusqu’à ce qu’il en tombe de fatigue. Mais il se retint. Il était là, après tous ces efforts, pour mettre un terme à ce tourment.

Vidar alors cria, essayant d’interférer dans le cantique funèbre, mais il ne parvint qu’à décontenancer la munagola, qui prit la fuite. Puis l’oracle usa de ses pouvoirs issus de Nordrem, et détraqua le cours de la trame temporelle pour pouvoir agir avant quiconque. Il usa de sa propre magie pour invoquer un armageddon divin, frappant les deux diables inférieurs. Une sphère d’énergie nécrotique se forma et se mit à aspirer la vie autour d’elle, drainant le flux de vitalité des deux créatures. L’hamatula ne vit pas venir la sphère qui apparut dans son dos, et sa flamme de vie fut presque soufflée totalement. Il tituba, et sa peau se creusa, perdant de son bleu azur pour devenir grisâtre et terne, comme s’il avait pris quelques siècles d’un coup. La munagola fut plus réactive, et elle prit la fuite vers le coin opposé de la pièce, derrière les colonnes, sauvegardant une partie de son énergie vitale.

Baltazar, aveuglé par le désespoir, chargea alors devant, esquivant un coup de queue de l’hamatula affaibli, et fonça vers Dal’ris. Mais arrivé au bout de la table, à quelques mètres du promontoire sur lequel le prêtre dominait la salle, la gylou s’interposa, bloquant le passage. Le ruffian sortit sa lance et frappa la créature diabolique, engageant le combat. Mais celle-ci était vicieuse, et elle se laissa atteindre pour mieux agripper l’iruxi, entortillant ses tentacules visqueuses autour des bras, du cou et des jambes de Baltazar. La seconde d’après, ils avaient disparu pour se rematérialiser… à seulement quelques mètres de là, au fond de la pièce dans le dos de Dal’ris. Et les aventuriers virent alors la main de leur ami, tenue par les tentacules de la diablesse, être poussée vers le mur de marbre noir, pour finalement être aplatie sur la surface sombre et mystérieuse. Un fin rai de lumière s’échappa alors du centre de la pierre, un rayon flamboyant, rouge comme le feu des Enfers. On aurait dit que quelqu’un avait coupé la pierre en deux avec un sabre aiguisé. Ce rayon, d’abord aussi fin qu’un fil de soie, prit rapidement de l’épaisseur tandis que Baltazar criait de douleur. Il pouvait sentir qu’on lui drainait sa force, comme si une sangsue s’était collée à son cœur et buvait le sang qui alimentait ses battements.

Voyant que la situation était directement devenue périlleuse, Marduk s’élança à la rescousse de Baltazar. Il passa à côté du diable, sans même prendre la peine d’esquiver. Son armure lourde prit un choc, mais le champion ne semblait même pas atteint, car son attention était portée sur son ami qui souffrait visiblement. Arrivé à hauteur de Dal’ris, il se jeta sur lui, essayant de lui attraper ses mains pour l’empêcher de lancer d’autres incantations.

Drark, de son côté, se dit qu’il fallait agir rapidement, mettre Dal’ris hors d’état de nuire le plus vite possible. Il s’avança alors et décocha une bombe qu’il lança sur l’archiprêtre. Des grandes gerbes de flammes jaillirent, mais il semblait que le champion d’Asmodeus n’était pas si sensibles à la chaleur.

Maï Xin, voyant la situation, donna un coup violent à l’hamatula qui s’effondra au sol, puis, animé par la force du vent, fonça vers le prêtre pour aider Drark dans ses efforts. Il lança une frappe orageuse, qui vint fouetter le prêtre qui encaissa le choc, tandis que la frappe se dirigeait vers la gylou, qui parvint cependant à esquiver avec agilité.

De l’émanation lumineuse de la porte de marbre, une forme se dessina alors. Plus massive, plus menaçante et surtout plus terrifiante que les autres diables de la pièce. Un feu spontané jaillit de cette forme vaporeuse rouge, et un cornugon apparut. Des renforts des Enfers arrivaient pour sauver l’archiprêtre. Combien de contrats avait-il passé pour se protéger de l’iruxi vengeur ?

Dal’ris lança alors une seconde incantation, et la gravité sembla alors changer pour les aventuriers autours. Marduk reconnut cette sensation : il s’agissait de la même émotion, le même trouble que lorsqu’il avait rencontré Sarenrae. Mais il n’était pas le seul à sentir cela, et il ne s’agissait pas de Sarenrae.

Drark, Baltazar, Maï Xin et Marduk s’échangèrent un regard terrifié. Ils ne parvenaient pas à contrôler entièrement leur corps. Ils ressentaient cette présence divine, écrasante, comme si Asmodéus en personne venait d’être convoqué dans la pièce. Et cette puissance émanait de Dal’ris. Un mélange de crainte et de haine naquit en eux, car ils se regardèrent se prosterner devant cette figure qu’ils étaient venus tuer.

Baltazar parvint malgré tout, dans un effort de rage, à se dépêtrer des tentacules de la gylou. Mais ralenti par le sortilège de Dal’ris, il ne put s’échapper longtemps, la diablesse le força à nouveau à poser sa main sur la pierre. Le rayon se fit plus intense, à mesure que la faille se faisait plus grosse, et Baltazar hurla de douleur et de rage. Il ne pouvait rien faire contre cette créature, pas sans l’aide de ses compagnons. Mais il n’avait plus la force de parler, d’articuler, d’appeler à l’aide. La vie le quittait et il ne savait plus quoi faire pour l’en empêcher. Puis il vit ce qui se cachait derrière la porte de marbre ébène. Une forme humaoïde, grande, énorme même. Elle avait la tête qui pendait vers l’avant, et les bras qui semblaient attachés par de lourdes chaînes dans les coins supérieurs. Deux grandes cornes surplombait son front, et ses ailes massives étaient cloués à même la pierre du fond de la cavité.

Ils n’en avaient jamais vu, mais ils reconnurent alors la description que Echimvor leur avait faite : il s’agissait d’un Nessari. Diable de la Fosse, seigneur infernal, probablement celui qui avait ouvert les portes de Kéloph il y a des siècles de cela.

Ils comprirent alors le plan de Dal’ris. Il n’avait pas fui la cité, il n’avait choisi d’éviter l’affrontement car il voulait se servir de l’iruxi comme catalyseur pour rouvrir le portail vers les Enfers. Dans sa version de l’histoire, Baltazar serait la cinquième personne à nourrir les Larmes d’Asmodéus, et non lui. Les portes allaient donc s’ouvrir quoi qu’il advienne, mais qui en tirerait les lauriers ? Les deux choisis du Prince Noir étaient donc occupés à s’affronter pour savoir qui serait couronné champion des Enfers ou martyre, qui serait le fort ou le faible, le vivant ou le mort.

La mungola revint alors à la charge, et fonça sur Drark, qui en avait profité pour faire exploser une bombe acide qui éclata directement dans le visage de Dal’ris. Ce dernier hurla, et on pouvait voir que son visage se déformait sous le coup de la douleur, mais également de la substance alchimique qui lui brûlait la peau. Le liquide coula alors, se répandant sous l’armure du prêtre qui se débattait pour se défaire de l’emprise de son neveu. Il y parvint avec beaucoup d’effort, mais il pensa que s’il ne parvenait pas à se débarrasser de cet acide, il allait peut-être y passer. La mungola fit tournoyer son hallebarde, et manqua une fois le gobelin, mais l’atteint au second coup. Le cornugon en profita alors pour se ruer vers Drark, puis le frappa avec une violence inouïe. Le sang gicla et l’alchimiste se mit à paniquer. Il n’allait clairement pas gagner ce duel. Il tenta de s’éloigner mais il fut frappé une seconde fois, en essayant de s’enfuir.

Maï Xin, quant à lui, était toujours aux prises avec Dal’ris. Il remarqua alors que l’énergie de Baltazar s’amenuisait. Ce n’était pas si visible, mais il pouvait lire dans les yeux de son nouvel ami la fatigue, l’absence de force d’une personne dont la vie s’échappait. Il cria alors :

« Baltazar a besoin d’aide ! Vite ! »

Mais Marduk s’était déjà jeté à la rescousse de Drark, qui risquait fort de perdre connaissance. Maï Xin redoubla alors d’efforts, et se rua vers l’avant, empreint de la magie élémentaire de la foudre. Il se rua et frappa l’archiprêtre de ses mains électrifiées.

Vidar lança alors une incantation ancienne, afin d’appeler à lui les forces élémentaires de ses ancêtres. La pierre du sol se mit alors à trembler, et les dalles se brisèrent pour former un agrégat de roc d’abord informe qui se transforma en un golem de pierre. L’élémentaire lança alors des rochers sur les diables et leur maître, écrasant les membres et fracassant les os. Puis il se dissipa, créant un nuage poussière empli de rocailles qui vinrent griffer ses victimes.

Le champion de Sarenrae fit alors appel à sa déesse pour aider les siens, pour sauver ses amis. Ses mains s’illuminèrent et une intense chaleur vint réchauffer l’âme du gobelin, refermant ses blessures, stoppant les hémorragies. Marduk redirigea son attention vers Baltazar, qui essayait en vain de se défaire des tentacules de la diablesse. Les yeux de l’iruxi dégageaient une détresse intense, et il était trop concentré à essayer de s’échapper que pour vraiment appeler ses compagnons. Le cœur du champion se serra en voyant à quel point il était affaibli, à quel point il était éteint.

C’est à ce moment-là que Dal’ris lança alors une autre incantation. La pièce s’assombrit et Vidar, bien que toujours de l’autre côté de la pièce, sentit qu’il faisait appel aux esprits. Un bref instant, les couleurs s’effacèrent pour faire place à un clair-obscur dans lequel les visages sont déformés et on peut voir briller l’esprit qui les anime. Puis une forme vaporeuse jaillit du sol, et ces millions de petits points d’un vert spectral se concentrèrent pour créer une sorte d’avatar spirituel. Il s’agissait d’un gestalt, un puissant esprit qui se nourrit des âmes des autres pour grandir et devenir et dévorer de plus en plus. Sa forme n’était pas encore définie, mais elle avait en tout cas l’apparence d’un prédateur, comme une sorte de grand loup ou de grand lynx. Elle se jeta sur Maï Xin, le plus proche, qui sentit son esprit se faire attaquer tandis que la créature mordait son bras. Puis ce fut au tour Drark, qui cria de douleur quand les griffes l’atteignirent. Marduk serra les dents quand l’esprit traversa son armure pour s’en prendre directement à son essence spirituelle. Puis elle sortit du champion, et sa tête se tourna vers l’iruxi. Pendant un bref instant, le temps s’arrêta. Leurs regards se croisèrent. Elle avait vu en lui ce qu’elle cherchait : un esprit affaibli par les blessures, une âme marquée par les épreuves, un corps meurtri par les coups. Lui, il ne voyait rien d’autre qu’un esprit sans volonté autre que celle de dévorer, de s’abreuver des autres. Baltazar était soudainement fatigué. Fatigué de se battre sans cesse, de défendre son destin, sa vie et celle de ceux qu’il aimait. Longtemps, il avait débattu avec Marduk sur le Bien et le Mal, le sens que les gens leur donnait. Il avait toujours eu des difficultés à pouvoir définir ce qui pouvait être « bien » ou « mal ». À cet instant, il n’en savait pas plus. Mais il savait que ce qu’il ne pourrait jamais qualifier de « bien » ce qui allait se passer.

L’esprit se jeta sur lui et ce fut un massacre. La créature déchira son esprit en lambeau, et on pouvait voir les traînées bleutée de son esprit qui était découpé, répandu au sol comme du sang qui se dissipait dans l’air. Coup après coup, Baltazar chancelait, titubait, frappé encore en encore. Cela ne dura que quelques secondes, mais cela parut durer une éternité. Puis son corps, comme une coquille vide, tomba au sol avec un bruit sourd.

Les larmes montèrent aux yeux des aventuriers, et ils redoublèrent d’efforts. Cela ne pouvait finir comme cela. Drark lança une dernière bombe putréfiante, distrayant Dal’ris essayant d’esquiver, ce qui laissa une ouverture pour Marduk qui dégaina Lueur, et frappa son oncle au cou, enfonçant profondément son cimeterre jusqu’à la garde.

Le prêtre tomba alors à genou tandis s’étouffant avec son sang alors qu’il essayait de prononcer ses derniers mots. Puis il s’effondra sur les dalles froides.

Les diables chargés de la protection de l’archiprêtre prirent la poudre d’escampette. Il n’avaient plus de raison de se battre et de risquer leur vie car la raison de leur présence venait de disparaître. Ils usèrent de sortilège de translocation et la pièce redevint silencieuse.

Tout s’était passé si rapidement, ils n’avaient pas eu le temps de réfléchir. Ils avaient focalisé leur attention sur Dal’ris et essayé de le mettre hors d’état de nuire le plus rapidement possible, sans vraiment envisager la possibilité, pour eux aussi, de mourir. Et pourtant. Baltazar n’était plus. Son corps sans vie gisait, son esprit se dirigeant soit vers les Enfers, soit vers la Rivière des Âmes. Ils ne savaient pas quelle partie de son contrat allait se réaliser avant : avait-il réussi, ou échoué ? Quelle importance ? Il était mort.

Marduk s’agenouilla près de son ami, et prit Baltazar par les épaules pour l’enlacer. Il serrait les dents, et des gouttes coulèrent le long de ses joues pour s’éteindre sur le torse de son ami tandis que Vidar, Drark et Maï Xin regardaient la scène, impuissants, le coeur brisé. Il restait encore peut-être une chance, mais cela dépendrait pas uniquement de lui, mais bien des dieux...

Date du Rapport
06 Jun 2025

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