Session LIV : Pile ou face ?

General Summary

Alors que les aventuriers se restauraient en compagnie de Dame Aloryck, Vidar se réveilla en clignant des yeux. Il avait du mal à se faire à la luminosité ambiante de ce début d’après-midi.

« Ma tête… Aïe ! » dit-il en se frottant les tympans. Puis il posa ses mains sur ses yeux quelques secondes, le temps de reprendre une certaine contenance.

« Vous allez bien ? » demanda Dame Aloryck, légèrement inquiète.

« Oui oui, il faut juste que je reprenne mes esprits. » affirma le nain. Puis il prit une grande inspiration et ajouta, avec un ton doux :

« Je me présente, Vidar du Clan Odeson, pour vous servir. »

« Kryssa, ou comme vos compagnons me connaissent sous mon nom d’elfe, Dame Aloryck. » répliqua-t-elle avec courtoisie.

« Enchanté de faire votre connaissance. Vous dites votre nom d’elfe ? Kryssa est donc votre nom de… ? » ajouta l’oracle avec un air empreint de curiosité.

« Dragonne. » dit-elle d’un ton calme.

[Vidar écarquilla les yeux en jetant un regard à ses compagnons qui se trouvaient derrière l’elfe aux longs cheveux sombres. Ils lui répondirent avec un petit sourire et un haussement d’épaule pour lui signifier qu’elle ne mentait pas.

Le crépusculaire et la dragonne échangèrent quelques mots pour se tenir au courant de ce qui avait été dit aux autres membres du groupe. Puis Vidar ayant complètement encaissé l’information, il dirigea la conversation vers ses préoccupations.

« Vous savez, ma famille a un certain passé avec les dragons. Mon ancêtre Fafnira connaissait très bien votre race, et c’est grâce à elle que je connais votre langue. » Il passait quelques détails : il ne l’avait pas apprise, mais sa connexion avec son arrière-arrière-arrière-arrière grand-mère lui permettait de comprendre et parler parfaitement la langue comme elle l’avait parlé de son vivant.

« Mon père, Brokk l’Éclairé, a également pu rencontrer votre ami Klangaréa. Étant artiste avec de multiples facettes, il a réalisé une mosaïque dans laquelle il a pu insérer une écaille que la dragonne d’or lui avait donnée en signe d’amitié. » dit-il en insistant bien sur le mot « donnée » afin qu’elle ne se méprenne pas sur la nature de l’acquisition de cette écaille.

« C’est qu’il devait s’agir d’un nain d’une grande valeur à ses yeux. Donner une écaille n’est pas un geste anodin. »

« Il l’a utilisée pour réaliser une représentation de ce qu’on appelle chez nous les nains, La Quête du Ciel. »

« N’est-ce pas le grand voyage que les nains ont entrepris pour rejoindre la surface suite au grand cataclysme de la Pierre-Étoile ? »

« Exactement. La mosaïque représente l’arrivée à l’air libre, dans un paysage de montagne, avec le soleil qui perce entre les nuages. L’écaille de Klangaréa était la pièce centrale de cet œuvre, représentant le soleil brillant avec une intensité magistrale. Elle rayonnait d’une lumière magique qui illuminait les montagnes de nos ancêtres. »

« Illuminait ? » reprit-elle.

« En effet, l’écaille a été malheureusement volée, et nous ne savons pas exactement par qui. J’aimerais savoir si par hasard vous sauriez qui pourrait être le voleur de cette écaille, ou bien si vous pourriez me dire où je pourrais trouver Klangaréa ? » demanda-t-il avec une certaine prudence.

Dame Aloryck plongea ses yeux tristes dans les yeux de Vidar.

« Malheureusement, Klangaréa, ainsi que Celyra, sa dragonnière, ont été tuées durant la Trahison d’Elswyn. Nous ne savons pas exactement s’il s’agit des gens de Glenwyrm ou si ce sont les dragons de Krakraolis qui les ont achevées, mais nous n’avons plus entendu parler d’elles depuis. »

« Et n’avait-elle pas une repaire, un lieu secret dans lequel elles auraient pu s’enfuir, ou même se réfugier ou pour quitter ce monde paisiblement ? » demanda le nain avec espoir.

« Si cet endroit existe, alors son secret est resté caché. Je n’ai pas l’impression qu’elle avait un refuge personnel, mais je peux me tromper. » ajouta-t-elle, dépitée.

« Merci pour ces informations, je chercherai néanmoins les signes. » dit-il en essayant de masquer sa déception. Il réfléchit quelques secondes, puis décida de poser une dernière question :

« Et si par hasard... » commença-t-il, mais il n’eut pas le temps de finir qu’Aloryck répondit :

« Je pourrais potentiellement donner l’une de mes écailles, bien que le rendu ne seraient pas le même, les miennes sont en argent tandis que l’originale était couleur or. Cependant, j’aimerais éviter cela, car en réalité, donner une de mes écailles exposerait un point faible par lequel on pourrait m’atteindre. Si par la suite la situation se calme, ou qu’il s’agit d’une extrême nécessité, alors peut-être que j’envisagerai la question... » dit-elle d’un ton calme. Un frisson passa dans l’échine de Vidar. Il n’aimait pas cette idée, mais elle lui avait traversé l’esprit et il était content qu’elle lui ait répondu.

Alors que la conversation touchait à sa fin, il put remarquer que Fafnira était présente dans la pièce. Elle observait avec attention les bannières et les tapisseries aux murs, elle examinait l’architecture et les décorations. Vidar sourit un instant, en se disant que cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas été au contact de ces majestueux reptiles et que cela devait lui rappeler de nombreux souvenirs. Puis il y eut une sorte de clignotement, et Fafnira se figea. Vidar s’éloigna de Kryssa pour aller voir son ancêtre ensorceleuse allait bien, vu qu’il était le seul à la voir personne d’autre ne pouvait s’en occuper, puis un autre clignotement fit irruption et elle se remit à bouger. L’oracle eut un air perplexe, puis balaya la pièce du regard à la recherche de quelque chose, d’un intrus ou d’un signe. Il vit la tête de ses compagnons qui, clairement, se demandaient se qu’il était occupé à faire. Puis un autre clignotement les fit se taire et s’immobiliser comme s’ils étaient pris dans la glace, et le nain entendit des claquements de doigts dans son dos.

« Mais merde enfin ! Ah voilà, enfin ça fonctionne. » dit une voix avec un ton rabougri.

« Mais… Grand-oncle Nordrem ? » s’étonna Vidar.

Il ne l’avait plus vu depuis des décennies. Chaque fois qu’il avait fait l’appel à ses ancêtres, il semblait absent, ou peut-être caché dans les ombres, et le crépusculaire savait pourquoi : Nordrem était le marginal de la famille, celui qui est différent des autres, celui qui cause plus de problèmes qu’il n’en résout, celui dont on se méfie car… il voyageait dans le temps ! Nordrem était en effet un oracle du temps, et ses pouvoirs lui permettaient d’altérer la trame temporelle, le long flux tranquille de l’espace-temps. Et des pouvoirs tels étaient vus dans la famille un peu comme un sacrilège, un privilège non mérité, une puissance qui devrait être plutôt réservé à une entité sage ou divine plutôt qu’on nain qui rencontre souvent des problèmes de confiance, de consommation de substances psychotropes, avec un caractère grincheux et lunatique, peu compréhensible par le commun des mortels.

Lorsque Vidar était petit et qu’il avait montré ses premières aptitudes extraordinaires, Nordrem était venu le voir et lui avait tendu une pièce et avait murmuré au jeune nain quelques mots qui restèrent gravés dans sa mémoire, bien qu’il n’était toujours pas sûr d’en avoir compris le sens :

« Garde bien cette pièce, fiston, garde-là précieusement comme si ta vie en dépendait. Cette pièce est le secret comme le secret de la vie : pile, le temps existe, face, il n’existe pas. Pile, tu es mort et face tu es vivant. Pile, tu pars dans une direction, face tu prends l’autre direction. Quelles que soient les probabilités, il n’y a que deux issues possibles : soit tu le fais, soit tu ne le fais pas. Tout le monde dit que tu es un petit prodige, et moi je dis : pile, tu l’es, face tu ne l’es pas. »

Puis il fit sauter la pièce, aussi haut qu’il put. Elle tournoya dans les airs, brillante de cet or qui semblait être le plus pur, puis elle retomba et Nordrem l’attrapa en vol et la présenta à Vidar, main fermée, en ajoutant :

« Certaines choses valent la peine d’être sues, d’autres non. Certaines choses sont dans ton champ de contrôle, d’autres non. À toi de choisir lesquelles. »

Puis il glissa la pièce dans la poche de Vidar en ajoutant :

« Garde bien cette pièce, fiston, garde-là précieusement comme si ta vie en dépendait... »

Mais l’avait-il gardée ?

Nordrem posa son index sur ses lèvres en signe de silence, puis désigna Fafnira, immobile quelques mètres plus loin, occupée à contempler une tapisserie qui racontait l’affrontement entre le dragon Hagrod et les géants des montagnes.

« Les autres ne savent pas que je suis là donc je compte sur ton silence, fiston. » dit le nain avec un clin d’œil pour la progéniture de son frère.

« Je suis content de te voir, grand-oncle ! Dit Vidar. Cela faisait depuis sa mort et son passage devant la Dame en Noir, qu’il ne l’avait pas vu. Il avait assisté au jugement du descendant Odeson en silence, légèrement à l’écart, pendant que Tuisto, Fafnira, Brokk et tous les autres s’époumonaient à essayer de défendre le cas de Vidar face au jugement dernier. Il n’avait rien perdu de la scène, il était concentré, mais son attitude était, comme d’habitude, aux antipodes des autres membres de la famille. Mais que fais-tu ici ? » finit par dire Vidar.

« J’ai entendu parler de votre problème de temps. Il semblerait que vous soyez en train de jouer contre la montre et que les jours de ton ami lézard soient comptés. Après tout ce temps dans le silence, je me suis dit qu’il était temps que je te donne un coup de main. Tu as bien gardé la pièce que je t’avais donné ? » dit Nordrem avec un côté mystérieux, un peu précipité. Vidar hocha de la tête.

« Cette objet que j’ai toujours présenté comme étant une babiole à tes parents est en réalité un puissant artefact. C’est un sceau de l’ancien temps, une relique qui te permet d’explorer les différentes voies du multivers. » ajouta le nain avec une emphase empreinte de mysticisme.

« Pardon ? » répliqua Vidar, visiblement interloqué.

 

« Les pouvoirs de cet artefacts sont immense. Ils te permettent de vivre une réalité alternative, de tracer un nouveau chemin dans la trame temporelle et qui peut avoir des répercussions dans le temps réel. »

« Je m’excuse grand-oncle, mais je ne comprends rien à ce que tu dis. »

« Lorsque tu réalises un pile ou face avec la pièce, il n’y a que deux issues : pile, tu choisis un moment dans le passé, face, la pièce choisi pour toi. Tu peux explorer une autre version de l’histoire le temps de vingt-quatre heures. »

Vidar commençait à comprendre où Nordrem le menait.

« Cela permet de modifier le passé et de changer les décisions que j’ai prises si je considère que cela était néfaste pour moi ? »

« Pas tout à fait. Le présent est déjà écrit et tu ne peux en théorie plus le changer. Ce qui est fait est fait. Mais lorsque tu remontes dans le passé, tu as la possibilité de passer sur une autre ligne du temps, parallèle au chemin que tu as déjà parcouru et… peut-être rendre tes actions réelles dans la trame temporelle principale. »

« C’est plutôt comme si je dédoublais pour faire deux choses différentes à la fois ? » Demanda-t-il.

« C’est ça. »

« Ne puis-je pas simplement écraser la course des actions que j’ai entreprise dans le passé ? »

« Disons que c’est théoriquement possible, tu pourrais réaliser des actions qui anéantiraient ce que tu as déjà vécu, mais tu devrais alors n’accomplir que cela afin de réécrire l’histoire toute entière avec des faits qui contredisent complètement ce que tu as déjà vécu. Et le problème, c’est que tu n’es jamais certain du résultat final. Lorsque les effets de la pièce se dissiperont, les deux trames, les deux tapisseries temporelles seront liées entres elles, comme tissées afin de ne former qu’une seule histoire. Ajouta l’oracle du temps avec une certaine excitation. Et il est difficile de prédire ce qui sera conservé dans la tapisserie et ce qui sera perdu dans les limbes... »

Pendant quelques secondes, Vidar garda le silence. Il devait digérer ce qui venait d’être dit. Il regarda ses compagnons, encore figés, puis se tourna vers Nordrem avec un air résolu.

« Un dernier conseil ? » demanda finalement Vidar.

« Prends garde aux Veilleurs. Il existe des créatures puissantes, appelées Éons, qui sont en réalité les gardiens de l’équilibre cosmique. Elles n’aiment pas vraiment que l’on aille trifouiller dans ce bazar qu’est la temporalité. Elles pensent que c’est contraire aux lois naturelles de l’univers et lorsque tu utilises cette magie, ils sentent que la toile du temps est distordue, modifiée. Si tu tires trop sur la corde, tu risques de les rencontrer. Pour cela, je te conseille d’utiliser cette magie avec parcimonie, et de ne pas remonter plus loin qu’une semaine avant le temps présent. Pour ton bien, fiston... » conclut le grand oncle de Vidar avec un air grave.

Le nain à la longue barbe plaça alors son index sur sa bouche, puis claqua des doigts avec son autre main et le temps reprit sa course, comme si rien ne s’était jamais passé. Vidar prit quelques minutes pour s’habituer au fait qu’il avait vécu quelques minutes dans un temps gelé, et il se posa la question de s’il continuait de vieillir durant ces périodes ou s’il pouvait, théoriquement rester jeune éternellement dans ces phases d’arrêt temporel. Puis il rassembla ses compagnons. Baltazar ne se sentait pas très bien car le tatouage le brûlait de l’intérieur, mais il écouta d’une oreille distraite. Il raconta avec détails sa rencontre avec son grand-oncle, et il leur suggéra d’utiliser la pièce :

« Il est clair qu’avec les cinq jours qui nous restent, et tous les éléments que nous avons besoin pour empêcher la guerre, ou protéger Glenwyrm, ou nous assurer que si la guerre éclate nous ne soyons pas en plein milieu des tirs, avoir la possibilité de réaliser, pendant vingt-quatre heures d’autres choses et modifier le présent est un atout de choix. Je propose donc qu’on tente le coup. »

Les aventuriers étaient tous d’accord, puis ils discutèrent sur le moment où ils reviendraient s’ils tombaient sur pile. Le choix fut clair dans leur tête : soit ils iraient aux mines de Calambion afin de trouver les pioches d’adamantium et s’assurer un pourparler avec Ira, et enquêter sur la raison de l’abandon de ces lieux. Autre possibilité : Elehanda. Ils avaient l’impression que la course de leurs actions les avait forcer à quitter les lieux précipitamment et qu’ils pourraient en apprendre plus s’ils agissaient plus prudemment. Vidar fit voltiger la pièce dans les airs, puis il la rattrapa avec agilité pour l’aplatir sur le plat de sa main.

« Pile »

Il regarda ses compagnons qui hochèrent la tête en signe de soutien. Il invoqua la magie de la pièce et ils plongèrent dans le passé, comme des nageurs qui s’enfonceraient dans les abysses des fonds marins, complètement en apnée, avec une pression qui s’intensifiait au fur et à mesure qu’ils remontaient la trame du temps.

Ils se retrouvèrent alors au croisement dans les montagnes : à gauche, les mines de Calambion, à droite, le Pic des Azlants. Vidar se tourna vers ses compagnons, afin de voir dans leur yeux s’ils avaient vécu la même expérience que lui, ou s’il était le seul à avoir conscience de l’anomalie dans laquelle il avait plongé. Des regards de connivence lui confirmèrent qu’ils étaient tous, à l’exception de Chevaliers du Pardon et d’Azuk, dans le même bateau.

« Nous allons faire un détour par les mines de Calambion, il y a une affaire dont nous voulons nous occuper avant d’atteindre le Pic des Azlants ! » cria Vidar dans le vent afin que tout le monde l’entende.

Marcus et Azuk furent quelque peu étonnés, mais ils ne contestèrent pas la décision.

Après quelques heures de cheval, ils arrivèrent devant les fameuses mines. Deux entrées leur firent fasse. La route était aménagée et des rails entraient et sortaient à l’intérieur de la montagne. Ils purent en déduire grâce aux runes dans la pierre qu’il devait y avoir, au moment où l’agitation de la mine battait son plein, un sens de circulation : un tunnel pour entrer, l’autre pour sortir, permettant une bonne fluidité malgré l’affluence et le nombre important de travailleurs.

Après une brève discussion avec les autres membres du groupe, pendant laquelle ils se mirent d’accord qu’Azuk et les Chevaliers du Pardon les attendraient dehors, ils pénétrèrent à l’intérieur et se retrouvèrent dans une grande salle qui menait sur un gouffre extrêmement large. Plus d’une dizaine de poulies de toutes tailles, soit encore debout, soit délabrées, étaient un indicateur de la quantité de métal qui était extrait en ces lieu. Ils passèrent par les lieux de vie, où les ouvriers dormaient, mangeaient, se reposaient le soir après le travail, et inspectèrent l’endroit à la recherche d’indices. Des squelettes jonchaient le sol, indiquant que les dernières scènes se déroulant dans les mines ne devaient pas avoir été paisibles. En observant les cadavres, ils purent remarquer qu’il ne s’agissait pas d’aventuriers ou de pillards. Ces évènements devaient dater de la fin de l’exploitation de la mine, et non après son abandon. Quelque chose fit tiquer des aventuriers : les cadavres semblaient séchés, comme s’ils avaient subi une forte chaleur, insuffisante pour les tuer, mais capable de faire évaporer l’eau présente dans leur corps, les figeant comme des statues de papier. De plus, les crânes avaient été tous été meurtris. Souvent, la partie supérieure de la tête avait été arrachée, laissant parfois des mâchoires inférieures comme seul vestige de ce qui avait été un visage nain, humain ou elfe.

Vidar sortit alors son livre « Le Murmure des roseaux », se demandant s’il ne s’agissait pas le fait de créatures liées à l’entité sombre Nhimbaloth, telles que les morts-vivants intangibles, les brumes vampiriques, les feux follets ou créatures similaires. En examinant de plus près les corps, il pu confirmer qu’il ne s’agissait pas de cela. Une odeur nauséabonde était cependant présente.

Ils prirent un remonte-charge et descendirent en actionnant les poulies le retenant. Ils passèrent devant de nombreux tunnels mais continuèrent leur descente jusqu’à arriver à une énorme embouchure. Cela devait probablement mener à un lieu important.

Ils descendirent de la plateforme virent au fond de la caverne une énorme porte dont la surface était recouverte de dorures et de gravures naines. Un énorme tas de pierres, probablement effondrées du plafond, se trouvait devant la porte, ne la bloquant pas tout à fait. Ils gravirent le monticule et purent apercevoir au sommet de celui-ci une des raisons de leur présence ici : les pioches qui avaient servi pour extraire l’adamantium des mines. Il y en avait trois, et elles étaient magnifiques. On pouvait voir la qualité des objets qui eux-mêmes semblaient en adamantium, mais avec un petit quelque chose en plus. En mettant la main sur le manche, ils purent sentir qu’il s’agissait d’une magie enchanteresse qui devait les protéger des chocs. Drark tenta d’en prendre une, et lorsqu’il tira sur le manche, il put constater un évènement étrange. La traction qu’il exerçait ne bougeait pas uniquement la pierre dans laquelle la pioche était plantée et les quelques pierres à côté, mais le mouvement semblait se propager bien au-delà, un peu comme une onde. Il tira de toutes ses forces pour débloquer la pioche et il sentit que les pierres sous ses pieds bougeaient légèrement. Il eut alors comme un sursaut et se tourna vers ses compagnons :

« Je… je crois que ce ne sont pas de simples pierres en-dessous de nous. » dit-il en chuchotant.

Les aventuriers eurent un léger moment de panique devant cet inattendu.

Marduk, cimeterre en main, gratta les pierres et en déplaça quelques unes afin de voir ce qui se trouvait en dessous et tomba sur une sorte de tapis gris sombre, presque noir, sec et ratatiné, extrêmement solide.

« Mes amis, si mon intuition est bonne, nous nous trouvons actuellement sur le cadavre d’un dragon... » ajouta le gobelin.

Vidar eut un moment d’illumination, se rappelant de ses conversation avec Fafnira sur les dragons.

« Alors il s’agit d’un dragon d’adamantium ! Lorsqu’ils grandissent, ils attirent des rocailles, des pierres et autres roches qui forment une sorte de couche protectrice autour d’eux, comme des écailles. Ces éléments peuvent même apparaître spontanément sur leur peau, comme si la magie de leur être les créait. Avec le temps et la puissance, ils finissent par recouvrir leur corps d’adamantium, les rendant presque indestructibles pour le commun des mortels. »

Un court silence suivit les explications de l’oracle. Ils baissèrent tous les yeux et réalisèrent que le dragon avait mené son dernier combat ici, et qu’à sa mort, les gens de Glenwyrm l’avaient « exploité » pour en tirer jusqu’au dernier éclat d’adamantium. L’aspect tragique de la situation fit peser un voile de tristesse dans l’air. Ils prirent alors les trois pioches qui se trouvaient là et se dirigèrent vers la porte sans un mot.

Prudemment, ils observèrent l’entrée et purent remarquer deux éléments : le premier était des traces de pattes qui se trouvaient un peu partout, au sol comme sur les murs, comme sur le plafond. Il s’agissait de traces composées de trois doigts d’environs une quinzaine de centimètres, écartées de manière plus ou moins équidistantes. Le deuxième élément était une odeur particulière. Ils identifièrent qu’il s’agissait d’une odeur similaire à celle qu’ils avaient pu renifler dans les sous-sols du Sanctuaire de Nethys, là où ils avaient fait la connaissance de Néphirion. Selon leurs souvenirs, ce dernier avait réalisé des invocations occultes pour invoquer des créatures venant d’autres plans, communément appelées aberrations. Ils se mirent donc sur leurs gardes et pénétrèrent dans la chambre forte dont la porte était entre-ouverte. Il s’agissait d’une vaste salle aux trésors, et purent directement remarquer que les lieux n’avaient pas été complètement pillés. Des cadavres étaient présents, toujours démunis de leurs crânes, et il semblait que l’endroit avait été visité il y a peu. Ils tirèrent leurs armes et se mirent à fouiller de manière plus attentive. Il y avait de l’or, de l’équipement, mais avant qu’ils n’aient eu l’occasion d’en savoir davantage, ils entendirent du bruit à l’extérieur de la pièce. Ils se préparèrent à l’assaut tandis que les bruits de raclement et crissement s’amplifiaient de seconde en seconde. Marduk s’avança prêt de la porte, suivi de près, mais pas trop près car il avait appris sa leçon suite au combat contre l’élémentaire de glace, Vidar. Drark se posta au fond de la pièce, préparant ses fioles pour le combat, et Maï Xin se plaça à distance respectable, ne sachant pas encore s’il allait devoir entrer dans la mêlée ou s’il valait mieux rester à distance.

Une sorte de gros crabe verdâtre, dont la gueule était formée d’une sorte de gros tube munis de nombreuses dents, avec des yeux placés sur ses grosses pattes chitineuses. Sur la surface de son dos, on pouvait voir des sortes de bulles translucides dans lesquelles des cerveaux se trouvaient. Ils ne reconnurent pas la créature exactement, mais ils surent qu’il s’agissait probablement d’une aberration venu dans autre plan. Ils firent directement le lien entre les dégâts sur les cadavres trouvés et les cerveaux dans les poches visqueuses de la créature.

Dès qu’elle passa la porte, Drark ouvrit le feu en lançant un feu grégeois qui vint s’écraser sur la grosse carapace verdâtre du crabe géant. La créature cria et sa bouche pleine de dents se dirigea vers le gobelin. Marduk se mit alors dans le chemin et leva son bouclier pour encaisser la première frappe qui visait sa tête. Il attira l’attention de la bête pour permettre à Vidar de se placer dans son dos et frapper là où cela faisait mal. Maï Xin usa de sa magie élémentaire pour frapper à distance l’aberration, déchaînant avec violence les vents primordiaux. Le combat s’engageait bien, mais un sentiment de doute s’empara d’eux. Leur affrontement faisait du bruit, et ils avaient eu, avec leur inspection des lieux méticuleuse, que ces mines abandonnées étaient également le repaire d’autres créatures. Un subtil bruit de succion se fit entendre, et ils levèrent les yeux au plafond. Une créature dotée de trois bras, trois jambes, répartis de manière uniforme, sans œil ni nez, sans bouche ni oreille, se trouvait au plafond. La surface grisâtre de sa peau permettait un camouflage particulièrement convainquant sur la pierre avec la lumière faible des lieux. Les aventuriers n’eurent pas le temps de se poser la question de savoir comment cette créature faisait pour manger, pour boire, ou même parler avec sa physionomie qu’elle sautait du plafond pour frapper Marduk, le plus exposé de tous en criant. Marduk encaissa la frappe avec prudence, essayant d’étudier les mouvements du monstre.

Vidar observa la créature, et se rappela qu’il avait déjà entendu parler de ce type de créature. Il s’agissait d’un quelaunt. Il fronça les sourcils quand il se rendit compte qu’il ne se rappelait plus vraiment des particularités de ces monstres, et se dit qu’il aurait dû écouter plus attentivement son tuteur lorsqu’il avait abordé ce sujet, mais il était trop tard pour avoir des remords. Il lança une incantation et le quelaunt se contorsionna sous l’impulsion magique de l’oracle. Un autre cri se fit entendre, à l’extérieur de la chambre forte.

Maï Xin décida alors de prendre l’initiative sur l’autre quelaunt arrivant pour prêter main forte à son compagnon. Il se déplaça vers le centre de la pièce afin d’avoir le crabe et le quelaunt dans l’alignement de l’ouverture de la porte, et il activa ses impulsion élémentaires les plus puissantes. Il courut vers les deux monstres, renforça sa connexion avec la porte de l’Air, présente partout en réalité, et fonça droit devant en se transformant en une lance électrique. Il passa au travers des deux créatures, tuant le crabe sur le coup, pour finir son mouvement à l’extérieur de la pièce, sur le monticule que formait le dragon mort, nez-à-nez avec un second quelaunt.

Drark, de sa position un peu décentrée, avait l’esprit un peu plus clair, ce qui lui permit de remarquer un détail étrange et révélateur : lorsque les quelaunts criaient, le son n’était pas physiquement présent. Le gobelin entendait le hurlement, mais directement dans sa tête. L’absence des organes sensoriels habituels rejoignaient son embryon de théorie : tout se passait sur le plan psychique. Les créatures ne les voyaient pas, ne les sentaient pas, ne les entendaient pas, mais elles sentaient leurs esprits, leurs êtres et leurs consciences. Leurs cris n’étaient que des échos psychiques que le cerveau des aventuriers traduisait comme une onde sonore. Cependant, les pattes et les griffes des quelaunt étaient bien réelles.

Tandis que Vidar s’approchait du quelaunt aux prises avec Marduk pour le frapper, il prit de plein fouet un coup frontal. La créature se débattait et frappait dans tous les sens, telle une tornade de bras et de jambes monstrueuses. Marduk usait de ses pouvoirs pour protéger son compagnon, moins robuste que lui-même. Mais une vague d’énergie commença à déferler, comme un raz-de-marée d’émotions qui envahissait la psyché des aventuriers. Ils sentirent leur cœur se serrer, et une vague de panique les attaqua, faisant faiblir leur volonté et flageoler leurs jambes. Mais ils reprirent leurs esprits, et se rendirent compte que malgré ce que les quelaunt voulaient leur faire croire, ils avaient actuellement le dessus dans l’affrontement.

Marduk répondit avec un coup de cimeterre tandis que Vidar invoqua le destin pour prédire un désastre imminent pour la créature. Ses ancêtres l’assistèrent dans sa démarche et lui fournirent un éclat du futur. L’oracle se concentra sur sa vision, et put voir que la roche du plafond allait finalement craquer. Un rocher tomberait, mais Vidar poussa un juron quand l’image se précisa : les pierres tomberaient juste à côté de l’aberration. Il puisa alors dans son énergie vitale et dans ses pouvoirs d’oracle et présenta à la créature une vision distordue de la réalité, une incohérence inacceptable de destinée, renforcée par le pouvoir qui le liait à ses ancêtres. La créature encaissa le choc, visiblement bouleversée, instable pendant quelques instants, permettant à Drark de l’éclabousser d’une grande gerbe d’acide qui se colla à la peau déjà entamée par les flammes. Pendant ce temps, Maï Xin se battait bec et ongle avec le second quelaunt. Il sentit également la vague de détresse l’envahir, mais il garda une certaine contenance et riposta avec un arc électrique qui vint frapper la créature de plein fouet. Il tenta de fermer son esprit à la seconde vague de décharge émotionnelle mais il sentit ses forces faiblir. Ce combat, il le sentait, était davantage un combat contre lui-même car la menace de ces aberrations venait de l’intérieur. Lui qui avait toujours grandi dans des traditions où le contrôle de soi était primordial, il sentait que sa capacité à gérer ses émotions n’était pas si forte que cela. Il esquiva une attaque de griffe pour se prendre une autre en pleine face, imposant une longue traînée de sang sur son visage. Mais le cinétiste était un elfe robuste, il en avait déjà bien d’autre. Il releva sa garde et se prépara pour la prochaine attaque.

De l’autre côté de la porte, le combat faisait rage. Les trois compagnons avaient réussi à mettre en place une stratégie efficace : Vidar et Marduk tenaient le monstre en place pendant que Drark l’aspergeait de toutes ses concoctions instables qui brûlaient petit à petit l’aberration. Entre le feu, l’acide, le froid, les infections diverses, le quelaunt faiblissait à vue d’œil malgré l’absence de coup décisif. Sentant que la mort arrivait à grand pas, la créature tenta de prendre la fuite. Elle sauta au plafond et essaya de sortir à toute vitesse, mais ses forces la quittaient déjà et elle s’effondra au sol. Voyant cela, la deuxième aberration comprit qu’elle n’était plus le prédateur, et tourna les talons. Vidar tenta, d’en appeler au marteau de Torag pour essayer de la mettre hors d’état de nuire, mais elle esquiva le coup et s’enfonça dans les ténèbres de la mine pour ne plus revenir.

Les aventuriers pansèrent leurs blessures, surtout celles de Maï Xin, qui avait tenu seul contre un quelaunt durant toute la durée du combat. Puis ils fouillèrent l’endroit : ils trouvèrent des pièces d’or, des objets magiques, mais également des lingots d’adamantium qui n’avaient pas été récupérés. Une fois les biens rassemblés, ainsi que les pioches, ils décidèrent d’aller jeter un œil aux parties inexplorées de la mine.

Le reste de la mine semblait plus abandonné encore que ce qu’ils avaient pu voir jusqu’à présent. Cependant, ils purent voir que certaines tunnels leur étaient familiers. En effet, durant leur escapade nocturne à la recherche de leurs chevaux volés, Drark et Marduk avaient pu découvrir certains Sentiers Secrets, et dans ceux-ci, des galeries semblaient avoir été creusées de manière différentes qu’avec des outils de facture humanoïde. Ils avaient la théorie qu’il s’agissait probablement de créatures souterraines, telles des taupes géantes ou quelque autre monstre, mais ils n’avaient pas encore de certitude. Ils s’enfoncèrent alors au plus profond des mines, jusqu’à trouver le fond des cavernes. Là, dans l’obscurité, ils purent voir la raison de ces tunnels : une vingtaine de gros œufs étaient rassemblés dans une crevasse. Ils écoutèrent attentivement, avec beaucoup de prudence, si les parents étaient dans les parages, mais l’absence de bruit leur fit comprendre qu’ils n’étaient pas à proximité. En analysant de plus près ces œufs, ils purent déterminer qu’il s’agissait de la progéniture de vers géants. Ces créatures, pouvant atteindre plus d’une vingtaine de mètres de long, possédait de nombreuses variétés. Certains vivaient dans les cavernes et creusaient des galeries, d’autres vivaient dans les zones aquatiques. Mais un élément inquiétant attira leur regard durant leur observation. Sur de nombreux œufs, on pouvait voir la marque d’un dieu qu’ils ne connaissaient que trop bien : le symbole de Rovagug. Quelqu’un avait dû venir maudire ces œufs et condamner ces bêtes à une existence de férocité et destruction. Il ne restait plus qu’une chose à faire : les détruire.

Drark prépara un amalgame d’explosifs tandis que tous les autres se rendaient sur la plateforme avec laquelle ils étaient tous descendus. Une fois que les feux grégeois, légèrement améliorés pour donner une puissance enrichie, furent bien attachés entre eux, Drark rejoint ses compagnons et leur fit signer de remonter la plateforme.

« Tu es certain que ce sera suffisant ? » finit par demander Marduk, en voyant les œufs devenir de plus en plus petits à mesure qu’ils s’éloignaient du fond de la mine.

Drark se retourna vers lui et lui répondit par un grand sourire carnassier et appuya sur le détonateur. Une énorme gerbe de flammes fit irruption de l’endroit où les œufs se trouvaient, remontant bien plus haut que ce à quoi les aventuriers s’attendaient. Une pensée traversa l’esprit des différents membres du groupe : « Drark a quand même un goût un peu malsain pour la destruction. ». Puis cette pensée s’envola car ils savaient qu’ils étaient du même côté que ce gobelin obsédé par les flammes.

Maï Xin observa attentivement puis ajouta :

« Si ma vue d’elfe ne me trompe pas, tous les œufs semblent détruits. ».

C’était une très bonne chose de faite. Si les disciples de Rovagug, si le Clan des Crocs d’Obsidienne avait eu la possibilité de contrôler toute une portée de ces vers géants, ils auraient pu peut-être creuser des tunnels sous la terre pour envahir les villes et villages par des souterrains. Peut-être même qu’ils auraient pu provoquer des effondrements pour semer le chaos et la destruction dans Glenwyrm ? Les aventuriers ne préféraient pas trop y penser, car les possibilités étaient vraiment terrifiantes.

Les aventuriers décidèrent alors de prendre la tangente, afin d’éviter d’avoir affaire aux géniteurs mécontents des embryons de ver maintenant décédés, et également car ils voulaient profiter des heures qui leurs resteraient pour explorer une autre partie de la trame temporelle. Ils ne prirent pas la peine d’aller avertir Azuk et Marcus, ils seraient de toute façon avec eux dans le Palais de Glace en revenant dans le présent.

Ils activèrent leurs anneaux de téléportation et se retrouvèrent alors au Domaine du Tilleul. Le soleil tapait fort sur les tuiles et il faisait chaud dans la demeure. Le soleil était encore haut dans le ciel en ce milieu d’après-midi. Ils sortirent de la salle où le cercle de téléportation avait été placé et sortir dans la cour pour se rendre à la salle principale. Ils entendirent alors une voix féminine les appeler dans leur dos...

« Bienvenue, chers maîtres ! Nous ne nous attendions pas à votre venue... »

Date du Rapport
22 Feb 2025

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