Le Gigantisme Kiithid

Notre climat n'a jamais pardonné la fragilité. De l'Âge Sombre aux jours présents, nos constructions témoignent de notre résilience.

Mais pourquoi avons-nous toujours bâti grand ? La réponse réside dans une vérité simple et implacable : la taille n'est pas un luxe. C'est une nécessité de survie.

Creuser la Pierre

Dans les premiers âges, nos ancêtres se sont tournés vers ce que Kharak offrait naturellement : la pierre. Les grottes et formations rocheuses naturelles devinrent leurs premiers refuges.

De simples abris au petit douar, jusqu'à des salles géantes creusées dans la roche, des villages souterrains organisés. Certains de ces lieux disposaient de conduits d'air complexes capables de capter la force des vents pour fournir une puissance mécanique aux moulins souterrains.

Le temps et le dévouement nécessaires pour sculpter ces installations témoignent d'une ingéniosité remarquable.


Mais à mesure que les populations grandissaient, les cités de surface émergèrent, fortifiées par des murs épais, partiellement enracinées dans le roc, toujours construites près de sources d'eau. Même cela ne suffisait pas à contenir l'ambition religieuse et politique des grands Kiiths.

À travers notre histoire, notre environnement n'a pas seulement été un obstacle physique. Pour nos ancêtres, et pour beaucoup d'entre nous encore, c'est l'incarnation de Sajuuk. Certains y voient la colère, un défi, un test ou le chaos.

Saju-Ka

C'est ici que Saju-Ka entre en légende. Cité-Temple colossale, capitale spirituelle, et l'ancêtre conceptuel de nos dômes modernes.

Son origine est généralement attribuée aux Gaalsiens, bien que cette opinion soit parfois contestée. Saju-Ka est, à notre connaissance, la première grande cité Kharakid.


La citadelle avais demandé des siècles pour s'ériger. Sans technologie de phase, sans réacteurs, les anciens disposaient seulement de deux ressources abondantes : le temps et une main-d'œuvre dévouée. Des dizaines de milliers d'ouvriers, motivés par la conviction religieuse ou par la servitude, ont uni leurs efforts génération après génération.

Sans aucun doute, beaucoup sont morts durant la construction. Le projet a été maintenu malgré les échecs innombrables, les effondrements de structures et la nécessité de recommencer les travaux.

Ils mobilisaient tout ce que l'ingénierie de l'époque permettait : force brute, leviers, rampes et temps. Les pierres brutes étaient tractées par la force physique et par des troupeaux de Draal.

Les textes anciens parlent de vents traversant les temples. Dans des ruines encore intactes, nous avons trouvé des conduits extrêmement fins produisant des sons lorsque le vent les traversait, avec différentes tonalités.

À l'aide de clapets mécaniques, certains pouvaient être fermés et ouverts, permettant de produire des mélodies religieuses.

Plutôt que de combattre les falaises naturelles, ils les intégraient. Les structures étaient sculptés avec les formation rocheuses.


Les pierres étaient taillées sur place par excavation. Le bois, ressource rare et précieuse pour les échafaudages, était importé par les caravanes des Kiiths nomades.

Cette construction généra une économie fructeuse, fondée sur le tribut des Kiiths vassaux et le commerce à longue distance, renforçant la domination politique de Kiith Gaalsien.

De nombreux autres Kiiths ont rejoint cette cause. Les raisons restent vagues et nous manquons d'archives, beaucoup étant gardées secrètes au sein des clans.

Mais cette coopération fit de Saju-Ka la capitale culturelle de tous les Kiiths et le berceau du premier Daiamid. Si les Guerres d'Hérésie n'avaient pas eu lieu, elle le serait peut-être encore, ce qui rend sa destruction d'autant plus tragique.


C'est Kiith Riif qui s'est perfectionné dans l'art de la construction au fil de sa neutralité. Au début du Temps de la Raison, ils ont mis au point une invention décisive : le Riif-Mor, littéralement "Forme Riif". Il s'agit d'un composé de liaison sec, une poudre qui ne réagit pas à l'eau mais à la pression et aux vibrations. Cette technique a permis d'ériger de grande fondations sans gaspiller nos réserves hydriques, révolutionnant notre capacité à construire.

La Philosophie de l'Éternel

Les anciens construisaient pour l'éternité. Les temples et cités étaient conçus pour survivre au temps, au désert, au chaos climatique. C'était une vision statique : créer un point fixe et immuable dans un monde en perpétuel mouvement. Plus la structure était massive, plus elle paraissait éternelle.

Pour les grands Kiiths religieux - Somtaaw, Gaalsien, Ferriil, Siidim - posséder la plus grande structure, c'était prouver la supériorité de sa foi et de son droit à diriger. La construction à grand échelle n'était pas qu'une question d'ingénierie ; c'était une affirmation politique et spirituelle.


Nous continuons cette tradition, malgré ou plutôt, à cause de l'intensification du climat.Nos cités-dômes modernes en sont la progéniture directe. De Tiir à Albegiido nous nous consolidons sur des points fixes solides pour endurer.

La philosophie ancienne trouva une nouvelle expression avec la motorisation. Par le passé, traverser le désert et les montagnes était un voyage périlleux. Aujourd'hui, dans notre quête de territoires fertiles, de ressources, de zones hospitalières, nos véhicules sont devenus de plus en plus grands.

Les Trois Piliers du Gigantisme Moderne

Face à des vents d'une violence cataclysmique et à des tonnes de sable abrasif en mouvement, une petite structure est simplement balayée ou ensevelie.

Le Chak m'Hot peut couvrir un hémisphère tout entier. Une frêle structure ne survivrait pas une journée. Un petit véhicule n'a pas l'autonomie nécessaire pour transporter assez de carburant, d'eau, de nourriture et de pièces de rechange pour des missions de longue durée.

De la hauteur des dômes urbains à la longueur du mur Stormbreaker, des coques de Baserunner aux Transporteurs Lourds, le gigantisme est devenu la seule doctrine d'ingénierie viable.

La masse est la meilleure armure contre la planète elle-même, et cette masse permet l'autonomie. Le désert est immense, les ressources rares et dispersées.

Cette doctrine n'a pu émerger que grâce à trois avancées technologiques majeures.


  • L'énergie abondante constitue le premier pilier. Nos réacteurs magnetohydrodynamic permettent de construire, déplacer et alimenter des structures et des véhicules de plusieurs centaines de milliers de tonnes. Sans cette source d'énergie, ces nouvelles échelles de grandeur seraient impensables.
  • Les Technologies de Phase forment le deuxième pilier. Elles permettent le moulage de sections monolithiques à grande échelle. Bien que cette technologie rétro-ingéniérée demeure imparfaitement comprise, elle autorise la fusion de coques immenses sans jointures, conférant une résistance structurelle impossible à atteindre par les méthodes conventionnelles.
  • Les nouveaux alliages représentent le troisième pilier. Les études obliviologiques des matériaux des ruines anciennes et des débris précipités dans l'atmosphère ont permis d'identifier de nouvelles compositions. Nos tentatives de reproduction, même imparfaites, ont produit des matériaux significativement plus légers et plus résistants que nos alliages natifs, rendant les structures gigantesques réalisables sans effondrement sous leur propre masse.

Ces avancées s'appuient sur une infrastructure industrielle capable de soutenir une production à échelle colossale. Kiith Somtaaw fournit la majorité des matériaux bruts, et le Projet Stormbreaker a prouvé qu'ils pouvaient augmenter la production pour répondre à des demandes massives.

Notre économie de recyclage complète renforce ce système : rien n'est gaspillé. Les épaves, véhicules obsolètes et ruines sont des mines de matières premières, traitées par les Désassembleurs de Phase des Salvagers. Cette boucle fermée garantit que chaque gramme de matériau précieux reste dans le cycle productif.


Les Cités-Dômes

C'est cet ensemble d'avancées qui a rendu possible l'avènement des Cités-Dômes. Aujourd'hui, nos grandes agglomérations sont des coupoles gigantesques s'élevant au-dessus des quartiers, créant un environnement clos et protégé des tempêtes.

Une cité-dôme typique s'organise autour d'un ou plusieurs dômes principaux. Le plus imposant, souvent appelé le Grand Dôme, abrite généralement la Medina historique et le centre administratif, le cœur battant de la métropole. C'est sous cette voûte titanesque que se concentrent les institutions, les marchés centraux et les quartiers les plus anciens.

Dans les métropoles d'envergure, des dômes secondaires s'adjoignent au noyau principal, chacun couvrant des districts spécialisés : quartiers résidentiels, zones industrielles, complexes agricoles locaux.

Au-delà se trouvent les banlieues extérieures. Des quartiers périphériques, nés de l'expansion démographique, sont raccordés aux dômes par des galeries de liaison mais ne bénéficient pas d'une protection intégrale.

Lors des tempêtes majeures, où la vie sous les dômes se poursuit sans interruption, ces zones se calfeutrent : volets blindés scellés, circulation suspendue, population confinée. Ces structures sont néanmoins robustes, et peuvent résister à des vents violents. Mais l'environnement y demeure plus austère, plus exposé aux rugissements du du vent.


Les dômes eux-mêmes sont des merveilles de complexité. Leurs parois, épaisses de plusieurs mètres, abritent un réseau dense d'infrastructures : conduits de ventilation, canalisations thermiques, galeries de maintenance, et même des habitations intégrées pour les techniciens affectés à la surveillance permanente.

En surface, des milliers d'ouvertures ajustables parsèment la coupole : évents thermiques, panneaux réfléchissants, capteurs atmosphériques. Depuis les postes de contrôle centraux, le Kiith souverain régulent en temps réel les flux de chaleur, d'air et de lumière.

Au-delà de l'habitation, la technologie des dômes s'applique à d'autres domaines stratégiques. Des dômes agricoles abritent des champs entiers, protégeant les cultures des éléments tout en optimisant l'exposition lumineuse.

Des dômes industriels couvrent des complexes de production où la poussière abrasive du désert ne peut compromettre les processus de fabrication délicats. Chaque dôme incarne la fierté d'un Kiith, un symbole tangible de sa richesse, de sa capacité à défier le désert. Le plus imposant de tous demeure le Grand Dôme de Tiir, s'étendant sur quarante-neuf kilomètres — une prouesse qui n'a jamais été égalée.

Et les Profondeurs ?

Face à ces toitures géantes, une question se pose naturellement : pourquoi ne pas simplement creuser en profondeur, à l'abri des tempêtes ? La réponse réside dans des contraintes géologiques et énergétiques qui rendent l'extension urbaine souterraine extrêmement problématique sous les plaines sédimentaires.


La contrainte majeure demeure la nature insidieuse des veines de sable en profondeur. Sous la pression lithostatique, le sable se comporte comme un liquide dense et visqueux. Il s'infiltre dans la porosité des matériaux, écartelant de l'intérieur et rongeant le métal par électro-érosion statique.

Comme le démontrent les rapports d'incidents miniers Somtaaw, un mur souterrain se sature, se fragilise et finit par éclater, provoquant des inondations de silice quasi impossibles à endiguer.


La gestion thermique constitue le second obstacle. L'isolation naturelle de la roche piège la chaleur, transformant toute excavation profonde non ventilée en puits thermique.

Contrairement à nos dômes de surface qui exploitent la convection atmosphérique pour la régulation, une cité souterraine nécessiterait un pompage thermique actif permanent. Le coût énergétique pour maintenir un support-vie viable en profondeur reste, à l'heure actuelle, prohibitif pour une habitation civile standard.


Des solutions émergent néanmoins via la collaboration entre Kiith Riif et divers Kiithid. Leur approche vise à combiner l'application structurelle du Riif-Mor avec le scellement des parois par technologie de phase.

L'objectif est de vitrifier la roche environnante pour créer des enceintes homogène, dépourvues de toute porosité et donc parfaitement étanches à l'infiltration du sable. Si cette technique a prouvé son efficacité pour des installations stratégiques restreintes, comme certains bunkers de commandement, son application à l'échelle urbaine reste pour l'instant limitée par les coûts de mise en œuvre.

Conquérir le Désert

Au-delà des cités, la doctrine du gigantisme trouve son expression la plus spectaculaire dans les véhicules de surface.

Les Baserunners sont devenus le véhicule polyvalent classique du désert : recherche, exploration, prospection. Ils peuvent opérer plusieurs semaines en autonomie pour une petite équipe ou en convoi.

De cette base sont nés les Transporteurs, des cités mobiles titanesques, capables de fonctionner pendant des mois, voire des années, sans ravitaillement extérieur. Capables de déployer des avant-postes et des installations d'extraction sur place, ce sont les constructions terrestres les plus imposantes jamais édifiées.

Ces "arches du désert" incarnent la doctrine ancienne adaptée à l'ère moderne : survivre par la masse et l'autonomie.

Le Défi Aérien

Si la doctrine du gigantisme triomphe au sol, le ciel demeure un territoire hostile où elle atteint ses limites.

Le poids joue énormément contre nous. Pire encore : l'atmosphère est chargée de particules et instable, rendant le vol dangereux. Un petit aéronef léger serait mis en pièces par les turbulences et l'abrasion.

Les seules constructions capables de se déplacer haut dans l'atmosphère sont les Planeurs Lourds (Landers). Des structures volantes d'un kilomètre d'envergure au nombre de quatre actuellement. Des léviathans qui, paradoxalement, ne peuvent transporter que peu de charge comparé à leur coût de déplacement.

C'est un domaine où notre doctrine du gigantisme fonctionne mal. Les Planeurs sont rarement utilisés, réservés aux affaires urgentes d'importance capitale.

Le ciel, contrairement au désert, résiste encore à notre conquête.

Penser petit, c'est mourir.