Nessira's five
Les Rêves d'Autrefois
Dans le petit port de Salins, où les vagues venaient lécher les quais de pierre grise, six enfants avaient grandi ensemble sous le regard bienveillant des mouettes et l'odeur salée de l'océan. Leurs noms résonnaient dans les ruelles pavées comme une comptine familière : Eleandre Nédufeu, Edith Terredue, Fogos Longueterre, Yvana Terredefeu, Petra Viveterre et Quentin Boutondepoche.
Un soir d'été, alors que le soleil couchant embrasait l'horizon d'or et de pourpre, ils s'étaient réunis sur les rochers qui surplombaient la mer. Leurs pieds nus effleuraient les algues encore humides de la marée descendante.
Eleandre pointant vers l'océan infini, avait déclarait :
Ses yeux noisette brillaient d'une fièvre aventureuse qui fit sourire Petra.
Elle fit cette réponse en passant un bras autour des épaules de son amie.
La jeune fille aux cheveux de jais acquiesça avec détermination.
Fogos, se redressa et bomba le torse.
Yvana ne put s'empêcher de se moquer gentiment de lui :
Ses cheveux dansaient dans la brise marine. Elle ferma les yeux, respirant profondément l'air du large.
Quentin, le plus petit mais aussi le plus vif et inventif du groupe, bondit sur un rocher plus élevé.
Ils avaient ri ensemble, insouciants, ignorant que ces rêves d'enfants tisseraient le fil de leurs destinées.
Les Tourments du Cœur
Les années passèrent comme l'eau entre les doigts. Les enfants devinrent adolescents, et avec la mue de leurs voix vinrent les premiers émois du cœur.
Ce fut lors d’une fête comme les autres, alors que des lanternes flottantes illuminaient le port, que tout bascula.
Petra ne quittait plus des yeux Harold Solmor, un jeune homme nouvellement arrivé à Salins. Grand, les traits fins, il possédait cette aisance naturelle qui faisait tourner les têtes.
Petra s'interrompit, les joues rosies, alors qu'elle observait Harold discuter avec des marchands sur le quai.
Edith acheva la phrase de son amie avec un sourire complice avant d'ajouter, taquine :
Petra ne put s'empêcher de protester :
Mais si Petra avait trouvé son tourment, d'autres cœurs battaient dans un même rythme douloureux pour une même personne.
Un soir, près de la vieille tour de guet, Quentin s'était approché d'Yvana. Sa voix tremblait légèrement.
Elle ne le laissa pas continuer, posant une main sur son bras :
Le mot « ami » lui transperça le cœur comme une lame glacée.
Yvana ne comprenait que trop bien. Elle se retourna, le regard fuyant devant la douleur de son ami.
Quentin vit alors Eleandre approcher dans la pénombre, et tout devint clair. Le sourire qu'Yvana lui adressa, la façon dont leurs mains se trouvèrent naturellement, la complicité qui brillait dans leurs regards complices.
Les mots sortirent comme un crachat. Yvana releva les yeux, affrontant son regard sans faiblir.
Eleandre s'avança, mal à l'aise.
La voix de Quentin se fit coupante comme une lame.
Eleandre ne put s'empêcher de s'emporter :
Un silence lourd s'installa, rompu seulement par le clapotis des vagues contre les rochers, avant que Quentin ne déclara d'une voix devenue froide comme la pierre
Le Poids des Années
Le lendemain, la chambre de Quentin était vide. Seul un mot laconique restait sur la table :
<p class="customformat2">Puisqu'il n'y a plus rien pour moi ici.</p>Fogos froissa le papier en soupirant :
Mais les jours devinrent des semaines, les semaines des mois, et bientôt des années.
Le temps, ce voleur silencieux, continua son œuvre implacable.
Eleandre épousa Yvana.
Petra connut aussi le bonheur. Harold Solmor se révéla être l'homme que son cœur avait pressenti : loyal, intelligent, et profondément bon. Leur union fut bénie par un fils, André, qui hérita de l'intelligence de son père et de la détermination de sa mère.
Petra et Edith tinrent leur promesse : Salins devint un port de pêche prospère, leurs flottes sillonnant les eaux poissonneuses.
Fogos, fidèle à ses ambitions, gravit les échelons de l'influence. Conseiller écouté, son nom était respecté.
Mais le temps qui donne prend aussi.
Ce fut lors d'une expédition avec son mari et ses filles que'Yvana périt.
Puis vint la guerre contre les Profonds de Cthulhu.
Salins, port, se retrouva en première ligne. Petra tomba lors d’une bataille fut terrible où les eaux se teintèrent de sang. Petra ne revit jamais le port.
André dut endosser l'héritage de sa mère.
Puis la guerre fut gagnée.
L'Abri des Petits Héros
L'automne était revenu sur Salins, peignant les arbres de teintes rousses et dorées. Dans les rues du port, la vie avait repris son cours, mais une mélancolie flottait dans l'air comme une brume persistante.
Eleandre marchait tranquillement vers l'Abri des Petits Héros. L'orphelinat fondé par la paladine Ammantyl allait bientôt ouvrir.
Fogos, le voyant arriver, lui lança depuis l'entrée de l'orphelinat :
Ses tempes grisonnantes et les rides autour de ses yeux trahissaient le poids des responsabilités portées pendant tant d'années.
Ils pénétrèrent dans la grande salle où les préparatifs de l’inauguration menait bon train.
La voix tonitruante d'Ammantyl résonna dans la salle. La paladine, massive et imposante, s'approcha d'eux de sa démarche assurée. Ses écailles brillaient à la lumière des chandelles.
Eleandre inclina la tête respectueusement.
La paladine posa une main étonnamment douce sur l'épaule du vieil aventurier.
Edith arriva peu après, suivi d’André. Le jeune homme avait les yeux de sa mère, cette même détermination qui ne fléchissait jamais, et le charme de son père. Tout sourire, ce dernier annonça :
Eléandre posa sa main sur l'épaule du garçon, le plus jeune membre du conseil, avant de lui murmurer :
Un voile de tristesse passa sur le visage d'André, mais il hocha la tête.
Le vol
Le lendemain matin, le cri d'Ammantyl déchira l'aube.
Mandés par la paladine Eleandre, Edith, Fogos et André accoururent, inquiets. Ils la trouvèrent devant les portes grandes ouvertes de la réserve où étaient stockés les dons.
À l'intérieur, les étagères étaient vides. Les coffres éventrés. Les sacs éventrés.
La voix puissante d'Ammantyl tremblait d'une rage contenue.
Eléandre contempla le désastre :
André pointait du doigt. Sur la porte intérieure, quelque chose brillait à la lumière du matin.
Une dague. Plantée dans le bois avec force. Et sur sa garde, un parchemin soigneusement plié.
Eleandre s'approcha lentement, une sensation glacée se répandant dans ses veines. Quelque chose dans la forme de cette dague lui était familier. Trop familier.
Ses mains tremblaient alors qu'il retirait le parchemin et le dépliait.
Les mots dansèrent devant ses yeux. L'écriture. Cette écriture qu'il n'avait pas vue depuis des annéess.
Edith lut par-dessus son épaule et porta une main à sa bouche, étouffant un cri. Fogos s'approcha à son tour, et son visage se vida de toutes couleurs.
André, alarmé par leur réaction, s'écria :
Eleandre ne répondit pas. Il ne pouvait pas. Car au bas du parchemin, tracé avec un soin méticuleux, se trouvait un symbole qu'il avait cru oublié. Un symbole de leur enfance.
Et dans la froideur de ce matin brumé, le fantôme de leur passé venait de ressurgir des brumes de l'oubli.
Le parchemin tremblait entre ses doigts, porteur d'un message dont il ne pouvait encore mesurer toute l'ampleur. Mais une chose était certaine : le jeu qu'ils avaient cru terminé il y a des années plus tôt ne faisait que commencer.