Les aventuriers se réveillèrent le lendemain matin, sachant qu’il s’agissait du troisième jour avant la fin du temps imparti pour Baltazar. Vers la fin de matinée, ils avaient rendez-vous avec Dal’ris pour un voyage potentiel dans les Enfers. Autour du petit déjeuner au l’Auberge des Parias, ils discutèrent de la suite des évènements.
« Que fait-on maintenant ? » demanda Baltazar, légèrement tendu par le fait que les protubérances sur son front commençaient à se voir. Il regretta de ne pas avoir de cheveux pour pouvoir les cacher. Il sentait que cela n’augurait rien de bon, mais au moins elles n’étaient pas dans son champ de vision, donc ce n’était que lorsqu’il passait sa main sur son front qu’il ressentait cette gêne, comme si ces éléments pointus ne faisaient pas partie de son corps.
« C’est à toi de nous le dire, répondit Vidar. Il s’agit de ton sort, tu as le droit de choisir. »
« Et toi, tu en penses quoi ? » demanda le voleur à au neveu de Dal’ris.
« Moi je pense qu’il vaut mieux aller dans les Enfers. Je pense vraiment qu’on a peut-être une chance de trouver une solution qui serait profitable à tous. » Marduk fit une petite pause, puis continua :
« Mais je suis d’accord avec Vidar, on respectera ta décision… quelle qu’elle soit. »
Baltazar réfléchit un instant, puis reprit.
« C’est difficile de prendre une décision sans avoir l’avis de tous. Vraiment dommage que Drark et Maï Xin doivent se remettre de leurs blessures d’hier et se reposer, car leur avis me seraient sûrement utiles. »
Il se plongea dans ses pensées, et se mit à penser à voix haute, histoire que ses compagnons soient au courant du flux de ses pensées :
« De prime abord, je suis plutôt de l’avis de nos deux paresseux : je ne fais pas confiance à Dal’ris. Je pense que nous préparer un portail vers les Enfers serait une bonne occasion de nous faire disparaître. Je suis toujours persuadé qu’il va nous trahir un moment ou un autre. »
Il changea légèrement de position sur sa chaise de bois inconfortable, puis continua :
« Mais en même temps, il y a encore des inconnues dans l’équation. Aller dans les Enfers nous permettrait d’en savoir plus sur ce maudit contrat qui me colle à la peau, sur comment s’en sortir sans faire de faux pas. Actuellement, on manque de temps, on manque de réponses à nos questions, que ce soit sur ma marque ou sur le reste. »
Après quelques secondes de réflexion, il finit par dire :
« On va aller voir Dal’ris. Je pense qu’un voyage dans les Enfers n’est pas le pire qui pourrait nous arriver. »
« Et puis si jamais, Vidar serait capable de nous ramener à la maison non ? » demanda Marduk.
« Hum… Oui, enfin, théoriquement oui. Il faudrait évidemment que je m’entraîne un peu, et que mes ancêtres me donnent un coup de pousse. Mais oui, à priori ce n’est pas impossible. Par contre je doute que nos anneaux soient capables de nous ramener au Domaine du Tilleul. Cette magie ne semble pas inter-planaire. » répliqua l’oracle, en parlant dans sa barbe.
« Allez, on y va. Et au pire, si je ne le sens pas, je lui planterai un poignard dans la gorge en arrivant. »
Avant de partir, Marduk emprunta quelques fioles vides à Drark, les remplit d’eau, puis appliqua une bénédiction commune, se disant que cela pourrait toujours être utile. Sur le chemin, ils passèrent quand même aux Épées Taldoriennes afin de remettre un coup de neuf sur leurs armes et armures. Le forgeron nain quand il entendit que Vidar faisait partie du clan des Odeson, fut impressionné, admiratif de voir que parmi ses clients se trouvait la progéniture de Brokk. Ils vendirent un lingot d’adamantium pour payer les runes qu’ils firent placer sur les armes et armures. Avant de partir, le forgeron leur dit de « venir manger à la maison un soir, s’ils en avaient l’occasion », puis il leur souhaita bonne chance.
Ils se dirigèrent alors vers les Portes de Kéloph, et purent constater que dans la grande nef, près de l’autel, un cercle de téléportation avait été tracé. Il était fait de cire rouge et de ocre, et avait la forme d’un grand pentagramme dans un double cercle. Dans l’épaisseur de ce double cercle, des écriteaux diaboliques étaient inscrits. En observant, ils purent remarquer dans le pentagramme des runes, au nombre de huit, luisante de magie infernale.
« Ah, vous voilà ! La préparation est terminée. Je vous ai préparé un portail vers la huitième strate des enfers, mais j’ai une petite surprise pour vous. »
Les aventuriers se crispèrent. Il continua, ignorant ce mouvement presque imperceptible, mais qui devait se voir sur leurs visages qui venaient de se refermer.
« J’ai choisi une destination bien particulière : la Bibliothèque d’Echimvor. Je ne pense honnêtement pas que rencontrer Méphistophélès soit la meilleure des solution, car à moins d’avoir une très bonne raison, pour lui, de vous rencontrer, vous risquez d’attendre longtemps. L’administration des Enfers est déjà un rouage qui vise à vous briser avant même d’avoir pu être entendu, alors je pense qu’il vaut mieux passer par des canaux plus rapides. » dit-il, puis il marqua une petite pause. Les aventuriers s’étaient déjà un peu détendus, mais redoutaient toujours un coup bas. Le grand prêtre continua son explication.
« J’ai déjà eu affaire à Echimvor. Lorsque je suis devenu grand prêtre d’Asmodéus, j’ai eu recours à ses services afin de mieux connaître les savoir-faire de l’Église du Prince Noir. C’est un véritable maître des secrets et il accorde beaucoup de valeur à la connaissance, plutôt qu’à l’or. C’est un être fiable, mais il est fier et n’acceptera aucun manque de respect. Veillez à bien vous soumettre aux règles de son domaine. ».
Les compagnons s’échangèrent des regards, afin de vérifier que tout le monde était toujours sur la même longueur d’onde, tandis que Dal’ris se retournaient vers le centre du cercle pour terminer son incantation. Un regard entendu leur fit comprendre qu’ils étaient d’accord : ils allaient à la rencontre de cet Echimvor. Baltazar posa encore quelques questions sur les détails pratiques : à quoi devaient-ils s’attendre ? La gravité fonctionnait-elle de la même manière que sur Golarion ? Était-il possible de respirer de la même manière, de manger ? Qu’en était-il des flammes ? Le plan n’était-il qu’un énorme brasier ou était-il viable pour un être non diabolique ? Marduk le rassura : la gravité fonctionnait de la même manière, une personne non originaire du plan pouvait respirer normalement, manger ou boire, et les flammes n’étaient pas présentes partout. Certains endroits abritaient des volcans, certains lieux étaient maudits et propices au foyer infernaux, mais ce n’était pas le cas de l’ensemble du plan. Au final, le plan des Enfers était une sorte de miroir des vices et des actions maléfiques des habitants de Golarion, mais en grande partie il s’agissait de plaines ou montagnes sombres, reflets de l’inaction des témoins des méfaits du monde.
Alors qu’ils terminaient leur conversation, un bruit de flamme se fit entendre et le portail s’ouvrit, révélant une terre noire désolée de l’autre côté du cercle de feu.
« Je vous souhaite bonne chance. » ajouta finalement l’oncle de Marduk, avant de s’éloigner.
Baltazar franchit le portail en premier, directement suivi de Vidar et Marduk.
La vision n’était pas trompeuse : là où ils avaient atterri, le sol était recouvert rochers noirs et saillants, sombres comme aux abords d’un volcan ou dans les grottes les plus profondément enfouies de la terre. Mais ils n’étaient pas sur de la terre, ils étaient dans la huitième strate des Enfers. Le ciel était celui d’un crépuscule éternel : sur leur droite, les cieux étaient embrasés, virant de l’orange feu au rouge sanglant, tandis que sur la gauche la nuit était profonde, du bleu abyssal au violet sombre des ecchymoses les plus sévères. De temps à autre, un météore déchirait le ciel, formant un éclat brillant dans le ciel pour s’éteindre ensuite petit à petit, consumé par l’atmosphère malsain du plan diabolique.
Puis le regard des aventuriers fut attiré par le gouffre qu’ils pouvaient deviner au loin, de par la pente qu’ils pouvaient deviner au-delà de l’horizon de leur vue.
« Les Enfers sont constitués de neufs strates, qui sont comme des anneaux superposés. Si l’on tombe sur le bord, c’est la fin assurée… la chute infinie vers l’oubli et le néant. Mais au centre de l’anneau, le gouffre mène aux strates inférieures. Chaque anneau, en partant du haut, la première strate appelée l’Avernus, est alors plus petit que le précédent. Tomber dans le gouffre mène donc à la prochaine strate, jusqu’à arriver au fond des Enfers, le royaume personnel d’Asmodéus. ».
Une pensée leur traversa alors l’esprit : en cas d’extrême nécessité, ils pourraient prendre le chemin impensable du gouffre, et tomber directement dans le plan où ils pourraient peut-être rencontrer le Prince Noir. Mais l’idée ne les enchantait guère. Qui pouvait savoir ce que le seigneur des Enfers feraient à des invités non souhaités ? Les tourments éternels ne semblaient pas une punition inenvisageable. Marduk vérifia qu’il avait bien les fioles d’eau bénite avec, au cas où.
Puis ils virent ce qu’ils cherchaient : à une cinquantaine de mètres, des murs noirs s’élevaient, comme ceux d’un labyrinthe, et une entrée marquée par deux colossaux piliers surmontés d’une arche invitaient les aventuriers à pénétrer dans ce lieu sinistre. Sur le dessus de l’arche, une série de créatures ailées montait la garde, figées mais menaçantes, faites de pierre granuleuse, sauf une. Le diablotin à la peau rougeoyante sauta, battit des ailes pour se maintenir à hauteur de leurs têtes.
« Bienvenue, étrangers. Êtes-vous perdus ? Vos pas vous ont-ils mené ici contre votre gré ou alors vous avez choisi cette destination ? Je me présente, je suis Qimlat. Et si vous le souhaitez, je peux être votre guide dans la demeure de mon maître Echimvor. »
« Je vous salue, Qimlat, je me nomme Marduk. Et voici mes compagnons, Baltazar et Vidar. Votre aide nous serait en effet la bienvenue : nous cherchons Echimvor. Nous venons de la part de mon oncle, Dal’ris Rabadashur, un ami de votre maître. » répondit Marduk, prudent dans le choix de ses mots.
« Je ne suis pas certain que mon maître soit présent actuellement. Pourquoi venez-vous lui rendre visite ? » demanda le diablotin.
« Nous cherchons des réponses sur un sujet bien précis : les contrats infernaux. Mon ami Baltazar ici présent a un souci avec un contrat auquel il se trouve lié, et il aimerait en savoir un peu plus sur les conditions générales des contrats, sur les clauses d’annulation, ce genre de choses... » commença le champion tandis que l’iruxi pesta intérieurement de voir son ami si peu méfiant.
« Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à des questions aussi spécifiques, mais je peux vous conduire dans le rayon qui parle de ces affaires-là. Nous avons des rayons pour pratiquement tout ce qui se trouve dans Golarion, et les secrets les mieux gardés. » dit-il avec un air légèrement sournois. Puis il les avertit :
« Mais attention, la Bibliothèque des Secrets est ouverte à quiconque, mais il faut en payer le prix, dit-il en désignant une sorte de grand coupelle qui se trouvait à côté de l’arche, à l’entrée du labyrinthe. Il faut, en entrant, déposer dans ce récipient quelque chose qui doit valoir ce que vous venez chercher ici. Si vous quittez les lieux sans avoir payé votre dû, alors que les flammes de l’enfer vous emportent... » conclut-il avec un sourire malsain, révélant ses dents pointues.
Marduk et Vidar, prudents, décidèrent de mettre mille pièces d’or à l’intérieur du récipient, tandis que Baltazar, plus réticent à l’idée, fit tomber une pièce dans la coupelle.
Le diablotin ouvrit la marche, sautillant puis planant sur de courtes distances. Ils passèrent devant des rayons mentionnant la magie, mentionnant les dieux, décrivant des régions entières ou dévoilant sûrement de nombreux secrets, mais ils savaient que tout ce qui était consulté devrait être payé… alors il suivirent avec un silence observateur Qimlat jusqu’à ce qu’il les conduise jusqu’au rayon où le savoir sur les contrats étaient traités. Les grandes étagères de pierre noire formaient les murs du labyrinthe, tels de véritables murs qui semblaient indestructibles, haut de plus de trois mètres. Et par dessus ces barrières de marbre, de nombreuses gargouilles figuraient, tels des gardiens silencieux de cet endroit caché, abandonné des autres diables. Une idée traversa l’esprit des aventuriers : est-ce que Qimlat était par hasard de pierre, lui aussi, avant qu’ils ne se présentent aux portes de la bibliothèque ?
Quoi qu’il en fut, il était clair qu’ils préféraient avoir eu ce petit diablotin plutôt que les monstruosités grandissantes qu’ils pouvaient croiser au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient profondément dans le labyrinthe. Certaines créatures étaient tellement grandes qu’ils avaient du mal à imaginer que les murs de la bibliothèque puissent supporter un tel poids. Elles pouvaient ressembler à de grandes chauves-souris, à des loups, des sangliers ou des grands humanoïdes aux membres fins, aux mains griffues et aux visages déformés par les tourments.
Il arrivèrent enfin dans un grand rayon avec des centaines d’ouvrages aux couvertures rouges ou noires, rangés de manière très ordonnée.
« Je vous laisse choisir. »
Les aventuriers se mirent à passer leur mains sur les couvertures des livres, ne sachant vraiment que choisir. Puis Baltazar se tourna vers Qimlat et lui demanda :
« Par hasard, serait-il possible pour toi de me déchiffrer mon tatouage ? J’ai un peu du mal à comprendre exactement ce qu’il signifie ? »
Le diablotin examina rapidement à quoi ressemblait le tatouage, puis il répondit avec un air espiègle :
« Très bien, mais sache qu’ici rien n’est gratuit. Je te propose une explication de ton tatouage contre le droit de vie sur un être que tu vas occire d’ici maximum un an, à dater à partir d’aujourd’hui. »
Baltazar soupira.
« Sache que mon contrat, celui qui est lié à ce tatouage, requiert que je tue une certaine personne. Cela ne peut pas être lui, d’accord ? »
« Je peux faire une exception, oui. Mais donc pour clarifier, cela signifie que je peux te demander d’épargner la vie de quelqu’un alors que tu étais sur le point de le tuer, et cela, pendant un an. Après cette année, le contrat sera expiré, considéré comme nul et non avenu. » répondit le diablotin en râlant.
Puis Baltazar tenta d’imaginer dans quelle situation cela risquait de lui porter préjudice. Mais plus il y réfléchissait, plus il avait l’impression qu’il risquait fortement de regretter cette décision par la suite. Finalement il finit par répondre à Qimlat :
« Oublie ce que je viens de dire, je ne pense pas que cela soit une bonne idée. Ne peux-tu pas aller quérir ton maître plutôt ? Nous retrouver dans tous ces savoirs est impossible, il nous faudra un siècle pour y parvenir. Et me connaissant, je risque de perdre patience bien avant... » dit-il en sous-entendant par sa posture une menace potentielle pour le diablotin. Celui-ci répondit alors :
« Euh… je ne sais pas si il est là, mais je vais aller voir si je peux le trouver. Maître Echimvor est très indépendant, il va, il vient, sans prévenir, et nous n’avons aucun informations concernant ses aller et venues. Je… je vais voir si je peux vous le ramener. »
Le diablotin partit en sautillant, et tandis que les aventuriers commençaient à inspecter les étagères, ils entendirent un petit craquement. Puis un second. Les aventuriers mirent leurs mains au fourreau tandis qu’un rocher non loin, dans lequel il semblait qu’une armure avait été taillée, tomba en morceau tandis que l’armure se défit des pierres qui l’emprisonnaient.
« Bonjour messieurs, je vous souhaite la bienvenue dans ma bibliothèque. »
La voix sortait de l’armure, comme si un corps invisible se trouvait en-dessous. Le torse était une armure complète, finement forgée, alliant légèreté et résistance, descendant jusqu’aux jambes. Elle ne possédait pas de casque, mais la tête était faite d’un masque d’acier représentant le visage d’un humain inexpressif, n’arborant ni sourire ni grimace. Cela faisait penser de loin aux arlequins aux visages fins, mais avec une certaine gravité qui donnait plus l’impression qu’il pouvait sonder l’âme des personne d’un simple regard invisible, car les cavités oculaire étaient comme des réceptacles du néant.
« Vous… vous devez être Echimvor. » finit par dire Baltazar.
« Vous me cherchiez ? Je suis à votre disposition. » répondit le diable, indifférent.
« Nous venons de la part de Dal’ris. Il nous a dit que vous pourriez nous aider. » répondit Marduk.
« Les contrats infernaux ? Sujet intéressant, intarissable. » dit-il laconique.
« Vous voyez, notre ami Baltazar ici présent, dit-il en désignant l’iruxi, a réalisé un contrat infernal avec Asmodéus. Il paraît que les contrats possèdent des clauses cachées, des formulations afin de piéger les mortels, mais aussi parfois de les sauver. Nous aimerions savoir quelles sont les possibilités de son contrat. Est-il possible de trouver un moyen de sauver notre ami ? »
Baltazar n’aimait pas vraiment la manière dont Marduk dévoilait toutes les informations, car cela lui semblait risqué. Il sentait que chaque élément qui pouvait être un levier de pression serait utilisé.
Echimvor ne répondit pas tout de suite, complètement immobile, ne révélant aucune trace de vie hormis le fait que cette armure flottait dans les airs. Puis il dit :
« Pouvez-vous me montrer ce contrat ? » répondit-il avec un air neutre.
« … Baltazar ? ... » fit le champion.
Après une seconde d’hésitation, et un peu à contrecœur, l’iruxi finit par sortir le parchemin usé de son sac, et le tendit au diable. Ce dernier le prit dans ses mains et le consulta attentivement. Un air interrogatif arriva progressivement sur le visage du roublard, un peu nerveux.
« Alors ? » demanda Baltazar, impatient.
« Il existe deux manières d’écrire des contrats : soit tout est écrit de manière explicite, en long et en large, avec des dizaines, voire des centaines de sous-clauses et de détails qui ont pour but de perdre le signataire dans la quantité d’informations afin qu’ils manquent certains détails importants qui serviront à piéger les personnes mal renseignées. ».
Il marqua une pause, puis reprit :
« Mais il est également possible d’utiliser une forme plus condensée, avec comme principe d’utiliser des termes symboliques, qui font référence à éléments connus du langage infernal. Un lecteur non initié pensera alors que le texte est poétique, alors qu’en réalité il existe une traduction littérale bien précise. »
Les aventuriers avaient peur de comprendre.
« Il n’y a pas de notes de bas de page ici. Tout est dit dans le contrat. Il n’y a aucune clause d’annulation. »
« Mais… » commença Marduk.
« Pouvez-vous me lire la traduction des termes symboliques ? Que signifie exactement mon contrat ? » dit alors Baltazar, déterminé à en finir.
Il reprit les différentes parties du document et commenta :
« La première partie est claire, il n’y a aucune ambiguïté là-dessus. La seconde stipule par contre que vous allez « faire pleurer les larmes une nouvelle fois ». Il faut savoir que les Larmes furent créées avec le pouvoir de créer des portails entre les Enfers et le monde de Golarion. Neufs Larmes furent créées, pour atteindre les neufs strates des Enfers. Les termes « faire pleurer les larmes » signifient donc que l’accomplissement de votre contrat rouvrira un ou des portails vers le monde du Prince Noir. « J’ouvrirai les portes du nouvelle ère en exterminant la vermine et la corruption en Redana » signifie que ces portails, qui permettront l’arrivée des diables en Redana, devrait assurer un ordre plus fort, plus contrôlé dans le pays. »
Permettre l’arrivée des diables dans la Redana via des portails directs ? Cela n’enchantait guère les aventuriers. Leurs regards se croisèrent, légèrement inquiet, mais Baltazar restait concentré sur la bouche immobile d’Echimvor, attendant la suite.
« La suite est plutôt claire, mais je préciserai quand même que « le don du Prince Noir » signifie devenir un diable, sous ses ordres. Sur le plan cosmique, cela veut dire que votre âme va directement dans les Enfers, sans passer par la Rivière des Âmes, sans passer par le jugement ultime de Pharasma qui détermine quelle serait votre place dans l’au-delà. »
Le silence se fit, lourd et encombrant.
« Et que se passe-t-il si je meurs avant la réalisation de mon contrat ? » finit par articuler l’iruxi.
« Même sort que si vous n’aviez pas réussi votre contrat. Tous les contrats infernaux d’une certaine puissance rentrent dans cette catégorie. Dans la mort ou dans la vie, le prix est le même à payer. »
Le silence se fit encore plus écrasant. Vidar savait à quel point ne pas avoir la possibilité d'avoir un jugement équitable était horrible. Il était passé devant la Dame en Noir, et même si elle avait quelque chose d'intimidant, il préférait cent fois revivre ce jugement que d'être relégué directement à un des plans des fiélons.
« Je… je n’ai donc pas de porte de sortie. Rien que je puisse faire pour arranger les choses... » souffla Baltazar. Même si au fond de lui, il s’en était peut-être douté, il avait eu néanmoins l’espoir qu’une solution plus simple, au moins sur le plan moral, se présente. Là, il allait de Charybde en Scylla.
« Soit tu tues Dal’ris et tu ouvres les portes de l’Enfer vers la Redana, soit tu deviens toi-même un diable à la solde d’Asmodéus. Il n’y a pas de solution gagnante. » finit par dire Marduk.
Marduk faisait toujours des calculs pour savoir si une solution était moralement plus juste, était plus facile à prendre, mais il ne trouvait pas de réponse.
« Je parierais que c’est de cela qu’il s’agit, les Portes de Kéloph, pas vrai ? En tuant Dal’ris, nous les rouvrirons. »
« Elles furent ouvertes il y a fort longtemps par un Nessari, un diable tyran, qui souhaitait assouvir son autorité sur la région. » compléta Echimvor, se sentant d’humeur généreuse. Toute information donnée sans avoir été demandée était sans coût pour les aventuriers.
« Mais le contrat parle de les rouvrir, elles ont bien dû être refermées à un moment donné. Qui était la personne qui les a refermées la dernière fois ? » demanda Vidar à leur hôte.
« Alséta, la déesse des transitions, physiques comme psychologiques. Elle est considérée comme étant la gardienne des portails, et elle veille sur les portes des cités contre les envahisseurs. Les habitants de Glenwyrm sollicitèrent son aide pour mettre fin à la tyranie des diables sur la région. » répondit Echimvor, toujours de manière aussi neutre.
« Nous n’allons peut-être pas avoir le luxe de demander l’aide d’une déesse, cette fois-ci. En tout cas pas une avec qui nous n’avons aucune connexion. » ajouta Marduk.
Alors qu’ils se concertaient, réfléchissaient et se tordaient les méninges, Qimlat revint de son escapade.
« Ah ! Maître Echmivor ! Votre Altesse Infernale ! Je vous cherchais… mais je vois que je n’ai plus à le faire, vous avez trouvé vos invités et les présentations semblent déjà faites. ».
Le diablotin avait parlé avec une grande révérence, emprunte de crainte et de vénération clairement exagérée, caricaturale. Puis il s’adressa aux aventuriers.
« Vous avez trouvé ce que vous vouliez ? »
« En partie... » répondit Vidar, ressassant sombrement ses pensées.
« Et vous êtes satisfait ? » répondit Qimlat avec un très léger sourire, comme s’il savait déjà la réponse, qui ne vint pas. Echmivor, après quelques secondes, finit par briser le silence.
« J’ai peut-être une solution. »
Les aventuriers s’arrêtèrent une seconde et se tournèrent vers le maître des lieux. Il continua :
« Je pourrais écrire un avenant au contrat, qui modifierait les clauses et pourrait changer l’issue de cette histoire. »
« Qu’est-ce que vous proposez ? » répondit Baltazar sur un ton où la prudence régnait.
« Je vous demande alors simplement de me céder Ce que vous avez de plus précieux, et alors vous n’aurez plus à vendre votre âme au Diable. » dit-il calmement. Mais Baltazar avait senti que la formulation « Ce que vous avez de plus précieux » était importante.
Il réfléchit quelques instants. Il ne possédait pas grand-chose, que ce soit en or ou en équipement. Pour être tout à fait franc, il se considérait comme relativement pauvre, n’ayant pas recherché durant cette aventure la richesse, mais plutôt à retrouver sa mémoire.
« Je pense que ce que j’ai de plus précieux, c’est… cette arme ? » dit-il, en train de penser à haute voix, en sortant sa Lame d’Ombre. Il était un peu perplexe quand même. Ses deux compagnons étaient un peu dubitatifs, en train de froncer les sourcils, se demandant quelle était l’entourloupe derrière tout cela.
« Mais comment puis-je savoir ce que j’ai de plus précieux ? » continua l’iruxi, toujours en plein questionnement. Le diable resta silencieux. Puis Baltazar reprit.
« Cela me paraît être un très bon marché. En réalité, je ne sais pas vraiment ce que j’ai de plus précieux, mais dans le pire des cas, si ce n’est pas mon épée, je risque dans le pire des cas de perdre un autre objet de valeur, remplaçable en réalité. Où puis-je signer cet avenant ? » finit-il par dire, toujours hésitant mais ne voyant pas trop où était le danger.
Le diable inscrivit en lettre de feu les modifications du contrat sur le parchemin, puis le tendit à Baltazar. Ce dernier hésita encore une seconde. Comme si le fait de toucher le contrat allait directement le sceller.
« Attends Baltazar ! » s’écria Marduk. Il réfléchit une seconde puis dit :
« Ferme les yeux. »
L’homme-lézard fronça d'abord les sourcils, puis s’exécuta.
« Quand je te demande : qu’as-tu de plus précieux au monde ? Qu’elle est la première image qui te vient à l’esprit ? » continua le sarenrite. Le silence se fit, puis l’iruxi ouvrit la bouche.
« Jueïa ? … ou peut-être ma famille ? Mes compagnons ? »
« Tu sais donc ce que tu as de plus précieux au monde. »
« Mais je n’ai pas le droit de vendre des personnes que je ne possède pas, si ? »
Le diable était toujours silencieux, aussi inexpressif qu’immobile.
« Je ne prendrais pas le risque, mon ami. C’est trop dangereux. » ajouta Vidar.
Baltazar hésita encore quelques secondes. Il avait cette impression que c’était impossible, qu’il ne pourrait pas condamner quelqu’un d’autre, car il n’en avait pas le droit, et un goût du risque le fit presque prendre le contrat pour apposer sa signature. Mais il devait reconnaître que son ami nain avait raison : c’était inconsidéré de prendre un tel risque. Il s’en voudrait encore plus s’il faisait du mal à l’un de ses proches.
Puis une pensée lui traversa l’esprit : au-delà de leur cérémonie qui les avait liés, il était pratiquement certain que Jueïa serait prête à remettre sa vie entre ses mains, et lui serait prêt à faire de même. Peut-être que ces éléments permettaient de pouvoir jouer avec l’âme de l’autre… mais après tout, il ne savait pas exactement comment le marchandage des âmes fonctionnait.
« Je… j’ai changé d’avis. Je ne vais pas signer cet avenant, je vais conserver mon contrat tel qu’il est… aussi pénible qu’il soit. »
« Très bien, répondit Echimvor, en effaçant d’un geste les rajoutes qu’il avait posées au bas de la page. Puis-je encore vous être utile ? »
« J’aimerais savoir ce que signifie ce tatouage dans mon dos. Je ne sais pas de quelle manière il est lié à ma quête. »
« Je veux bien te le révéler, mais... » commença l’ancien magicien.
« Que vais-je devoir faire cette fois-ci ? » soupira Baltazar.
« Dans la Marche de Pierre se trouve un portail démoniaque. Récemment, un puissant démon appelé Korgalag, c’est un Vrolikaï, un seigneur démon de la mort, est sorti de ce portail. J’aimerais que vous me rameniez ses dagues en trophée. » dit-il calmement.
Baltazar se retourna vers ses compagnons, et se dit que de toute façon les chances qu’ils affrontent ce démon étaient grandes, et qu’il pouvait bien ramener les dagues pour le même prix. Il se retourna vers Echimvor et acquiesça de la tête. Le maître des secrets reprit la parole :
« Il s’agit là d’une représentation physique, un rappel en quelque sorte, de l’avancement de votre contrat. Il sert également d’indication pour retrouver tes victimes. Les écritures forment petit à petit un pentagramme qui se complète avec les personnes que tu assassines. Lorsque tu auras tué toutes les cibles de ce contrat, le tatouage s’illuminera, puis perdra alors de son intensité pour ne laisser qu’un creux dans ta peau, marque qui restera toute ta vie. Tu peux remarquer, si tu observes bien les larmes de très près, qu’elle contiennent d’ailleurs des petites lueurs qui correspondent aux âmes collectées. »
« Mais alors, il n’aurait pas dû avancer pour Xel-Tlac ? Ou je me trompe ? » fit remarquer Vidar.
Baltazar réfléchit une seconde, puis dit :
« Ah, à ce propos. Il faut que vous sachiez que j’ai bien rempli ma part du contrat là-dessus. « Tuer ou provoquer la mort ? », c’était bien ça les termes ? Quoi qu’il en soit, lors de notre départ de Itz-Loc, notre cher ami prédicateur était bel et bien mort. »
« Ah. » dirent alors de concert le champion et l’oracle.
Les aventuriers se concertèrent quelques minutes. Ils auraient encore aimé poser de nombreuses questions, mais ils savaient qu’à chaque nouvelle réponse, ils devraient remplir davantage le réceptacle à l’entrée, ou probablement être maudit.
« Encore une chose, dit alors Echimvor, si jamais vous tuez Dal’ris, et que les portails se rouvrent, il n’est pas impossible que nous nous recroisions. Un marché pour la défense de la cité de Glenwyrm serait alors envisageable. Vous me semblez être des personnes raisonnables, cela me procurerait beaucoup de satisfaction de traiter avec vous. Peut-être pourrions-nous trouver un accord pour s’entraider ? Une légion de diable serait bien utile pour vaincre les démons et les envahisseurs, vous ne trouvez pas ? »
Les trois compagnons enregistrèrent l’information, pensifs, puis finalement Baltazar réagit :
« Mais je ne comprends pas vraiment pourquoi Asmodéus voudrait tuer son propre serviteur. Cela n’a pas de sens, si ? »
« Les dieux ont parfois des logiques qui nous dépassent. Leurs plans, à l’échelle de millénaires, n’ont pas toujours de sens pour les mortels. Et puis… sachez que la compétition entre ses disciples est fortement encouragée. Comment devient-on roi ? En prenant la place de la personne actuellement sur le trône. » répondit-il, énigmatique.
À la sortie de la bibliothèque, Marduk et Vidar déposèrent chacun mille pièces d’or, ne sachant pas exactement quelle serait la valeur qu’Echimvor donnerait aux informations qu’il avait données. Baltazar, quant à lui, décida de payer son tribut d’une autre manière. Il céda tous ses souvenirs de son compagnon Kearn, l’halfelin tué par Morgan au Monastère d’Irori. Il n’avait récupéré que depuis peu sa mémoire le concernant, mais il avait l’impression qu’il s’agissait de quelque chose que le gardien des secrets valoriserait, lui permettant de partir sans risque d’une malédiction pour ne pas avoir payé pour ce qu’il avait appris.
Puis ils se dirigèrent vers le portail pour rentrer chez eux. Il était toujours ouvert, et ils purent faire le voyage dans le sens inverse sans difficulté. À leur retour, deux gardes leur dirent que le Grand Prêtre avait dû aller s’occuper des affaires de la ville et qu’il n’avait pas pu attendre leur retour.
Baltazar, après avoir retrouvé ses esprits suite à cet épisode mouvementé, se dirigea vers l’Auberge des Parias. Il avait une personne à prendre dans ses bras. Dans ce sanctuaire des secrets, il avait découvert une chose qu’il ne pensait pas trouver : il avait découvert ce qui comptait le plus pour lui. Cette pensée lui tournait dans l’esprit et il se rendit compte qu’il était maintenant plus facile d’y voir clair pour la suite. Baltazar avait un nouveau phare à suivre au milieu de cette tempête.
Arrivé à leur repaire, il n’eut pas besoin de mots, il prit simplement son aimée dans ses bras et elle accueillit ce marque d’affection avec joie.
Malgré les nombreuses réponses qu’ils avaient eues lors de leur rencontre avec Echimvor, certains points restaient légèrement en suspens. La tension constante sur le choix des mots et des interrogations car chaque réponse allait leur coûter les avait bridés dans leur recherche de réponses. Ils s’étaient essentiellement concentré sur les contrats infernaux et les possibilités de sauver Baltazar, mais ils avaient l’impression qu’il leur manquait encore beaucoup d’informations pour savoir quel serait leur prochain plan d’action. Marduk proposa alors de réaliser un rituel de communion, afin d’invoquer une présence extraplanaire afin de les guider. De par leur connexion différente au monde, ils avaient parfois la possibilité de voir les évènements sous un angle différent, de comprendre certaines vérités cachées ou même d’avoir accès à plus d’informations.
Ils prirent la direction de petite chapelle dédiée à Sarenrae. Arrivés sur place, Le champion réalisa les préparatifs du rituel, puis il s’agenouilla en silence devant la statuette. Il entama un chant léger, le premier chant sarenrite qu’il avait appris. Il n’était pas certain que le texte était complètement pertinent, mais il savait que le ton et l’intention étaient à propos. Il savait bien que la Fleur de l’Aube ne se souciait pas de détails de ce style. Elle écoutait toute parole qui lui était adressée, même les plus petites. Marduk se revit alors entrer dans le temple non loin de Mirben. Il avait l’odeur de l’encens, la sensation du sable sous ses pieds, la chaleur des rayons du soleil qui traversaient les fenêtres ouvertes sur l’extérieur, la nef aux couleurs or et blanc lui revinrent, il marchait dans cette église qu’il savait être son foyer, un endroit où il appartenait vraiment. Et c’était peut-être la première de toute sa vie. Il avait alors ressenti la présence de sa déesse, pas aussi forte que lorsqu’elle était venu lui sauver la vie dans les charniers de Mirben, mais plutôt comme une flamme qui réchauffe de l’intérieur.
Marduk ouvrit les yeux, et il eut l’impression qu’il était devenu aveugle. De la petite chapelle, une lumière réchauffant son âme émanait, et il sut. Il sut que c’était Sarenrae elle-même qui était venu pour répondre à son appel. Elle était là, sous la forme d’un éclat de soleil. Il s’inclina légèrement, mais pas trop, car il voulait tenter de la distinguer davantage. Une voix résonna dans leurs têtes.
« Tu as sept questions, fils du Soleil. Choisis bien. »
Marduk, après avoir repris ses esprits, demanda :
« A-t-on besoin d’une intervention Alséta pour refermer les portes de Kéloph ? »
« Pas nécessairement. » Voilà une bonne nouvelle, pensèrent les aventuriers. Marduk enchaîna :
« Avons-nous besoin de l’aide des diables pour repousser les attaques des démons ? »
« Probablement, mais cela peut dépendre. »
Ils auraient donc sûrement besoin d’aide, et les diables pouvaient être cette aide, mais cela ne les enchantait guère. Peut-être trouveraient-ils le moyen d’éviter de pactiser avec les diables, mais cela restait à déterminer. Marduk rassembla ses esprits car la prochaine question comptait à ses yeux.
« Est-il possible de sauver Baltazar, Jueïa, Dal’ris et Glenwyrm ? »
« Non. »
Le champion soupira alors. Cela aurait été trop beau pour être vrai. Il s’était évertué à tenter de faire en sorte que tout le monde puisse vivre pleinement, et là il avait la confirmation que cela ne serait pas possible. Peut-être aurait-il dû agir différemment ? Anticiper davantage ce qui allait arriver ? Mais comment ? Il était trop tard maintenant. Il continua avec une autre question.
« Est-ce que le Croc Noir est le meneur des armées orcs dans les montagnes ? »
« Non ».
Bien. Enfin, encore à déterminer.
« Est-ce que le Croc Noir possède l’écaille manquante de la mosaïque de la Quête du Ciel ? »
« Non. »
Cette écaille était-elle vraiment perdue ? Ou extrêmement bien cachée ?
« Est-ce que l’elfe que nous avons vu à Elehanda était le Croc Noir sous forme humaine ? »
« Non. »
Ce dragon maléfique ne s’était pas encore révélé. Il devait sûrement attendre le moment opportun pour faire son apparition et apporter la désolation sur le monde des humanoïdes
.
« Est-ce que la mort de Dal’ris signifierait, compte tenu de toute ce qui s’est passé, un échec dans la quête de Marduk ? »
« Non. »
Et ce fut la dernière réponse. La présence se dissipa peu à peu, et la lumière disparut petit à petit. Marduk était d’une part soulagé de la réponse, mais également déçu. Il avait, l’impression qu’il avait malgré tout échoué. Il était certain, au fond de son cœur, qu’il aurait pu sauver son oncle, qu’il aurait pu le ramener sur le droit chemin. Puis il se rassura avec ces quelques paroles murmurées à lui-même :
« Si elle prononce une réponse aussi catégorique, peut-être a-t-elle des éléments que nous ne sommes pas en mesure de connaître ? »
Puis ils méditèrent sur la suite des évènements, sur ce qui allait se produire dans les jours qui viennent, en attendant le pèlerin mystérieux qui souhaitait rencontrer Marduk.
Ils attendirent le coucher du soleil, quand le ciel se teinta de couleurs rosées et orangées. Et ils attendirent. Vidar et Baltazar, bien que pas totalement concernés par cette histoire, étaient cependant curieux de voir ce qui allait se passer et quel allait être l’aboutissement de cette interaction. Curieusement, ils semblaient plus impatients que le disciple de Sarenrae. Ce dernier attendait patiemment, tandis qu’un curieux pressentiment commençait à monter en lui. Quelque chose lui donnait l’impression que cela n’allait pas être un fidèle anodin, et cela commença a le titiller. Alors qu’ils reposait sereinement, assis, il décida de se lever pour se dégourdir les jambes. Et c’est à ce moment que l’autrice du mot apparut. Il s’agissait d’un femme encapuchonnée sous une grande cape de voyage en velours brodé. Des motifs et coutures verts et rouges venaient décorer les bords de sa cape. Elle était accompagnée d’un elfe en tenue de voyage bleu ciel et la silhouette fine de la femme laissait supposer qu’elle était également une elfe. Elle rabattit sa capuche et Marduk la reconnut instantanément.
« Je vous salue, Marduk, fils du Qadira. » dit-elle.
« Ira ! Quelle belle surprise ! Je ne m’attendais pas à vous voir, que faites-vous ici ? » répondit Marduk, après une seconde à rassembler ses pensées.
« Je vous ai cherchés. Vous êtes en grand danger. » dit-elle d’un ton grave. Un seconde de silence se fit, puis Baltazar finit par le briser avec un ton légèrement amer.
« Il semblerait que les persécutés soient finalement transformés persécuteurs. »
« Je vais commencer par le commencement, car il y a de nombreuses choses que vous ignorez. J’ai oeuvré pour essayer d’éviter cette guerre, mais il semblerait que tout ce qui est en mon pouvoir ne soit pas suffisant pour arrêter la roue de la guerre. » répliqua-t-elle, sans prendre la mouche.
« Avant le départ des elfes, avant l’exil de mon peuple, l’Empire Zithaï était gouverné par la dynastie des Aëthir, une famille de noble respectée et aimée des nôtres. Mais avec le temps, il semblerait que la destiné les ait abandonnés : maladie, folie et décès les frappèrent, affaiblissant leur lignée et le soutien que les elfes leur conféraient. La confiance en leur force, leur capacité à mener l’Empire décrût, et c’est pour cela que les Isteli prirent le commandement. Ils prirent les rennes du pouvoir et furent à l’origine de l’exil de mon peuple. Ils décidèrent qu’il était temps de redorer le blason des elfes de Zithaï et décidèrent de quitter la Redana d’aller récupérer un héritage depuis longtemps perdu. ». Elle marqua une pause. Les aventuriers n’osèrent pas ouvrir la bouche. Ils savaient qu’elle allait leur révéler quelque chose de gros, quelque chose qui allait probablement changer leur vision du conflit.
« Aylidan Isteli , le nouvel empereur, décida qu’il était temps que les elfes chevauchent à nouveau les dragons. »
Les yeux des aventuriers s’écarquillèrent. Ils allaient devoir se battre… contre des dragons ?
« Nous avons traversé les plans pour rejoindre Argholian, le plan d’origine des dragons. Les Isteli ont donc ordonné la soumission et la capture des dragons, ce qui engendra des siècles de conflit, car, comme vous le savez peut-être, les dragons ne sont pas de simples bêtes. Ils possèdent leurs sentiments, leurs personnalités, et la plupart sont plus intelligents que nous. Se faire traiter comme de simples bêtes de somme ou de combat, cela ne pouvait que se finir en conflit. Cependant, après des années d’acharnement, nous parvînmes à récupérer des œufs, en quantité suffisante que pour pouvoir engendrer une lignée complète sans problème de consanguinité. C’est alors que nous sommes revenus. Les humains avaient pris la place que nous avions laissé libre pendant si longtemps. Cela déplût fortement aux Isteli, et nous fîmes la guerre au Royaume d’Onclair, mais affaiblis par le conflit avec les dragons, nous n’avons pu reprendre ce qui était nôtre. Depuis que la trêve a débuté, les meilleurs dresseurs de l’empire entraînent les dragons encore jeunes et capricieux pour pouvoir les utiliser pour remporter la guerre. Ils arrivent maintenant à maturité et c’est pour cela que l’Empire Zithaï se met en marche. ». Elle marqua une pause. Elle racontait son récit avec un sentiment de nostalgie et de regret. On pouvait constater qu’elle n’avait pas vraiment de sympathie pour la politique de la dynastie régnante, et qu’elle regrettait les temps de paix, avant que les Isteli ne prennent le pouvoir.
« Les armées elfiques vont donc bientôt nous tomber dessus, avec l’aide de dragons ? » demanda Vidar, qui souhaitait être davantage fixé sur leur sort.
« Ils ne sont pas en première ligne, car encore difficile à complètement soumettre et peu habitués aux combats réels. Mais oui, ils feront partie de l’invasion, mais en seconde ligne. »
« Nous nous sommes déjà battu contre la première : des orcs… des Crocs d’Obsidienne ! » répliqua-t-il avec une rancoeur dans la voix.
« En effet, les Isteli utilisent ce clan de fanatiques comme chair à canon pour affaiblir la Marche de Pierre. Ils ont même recruté Mûldir, le fils aîné des Aëthir, qui devait normalement succéder sur le trône à la suite de sa mère Naerdan… mais cela fait longtemps qu’il a complètement perdu la raison. Cela a commencé à changer vers la fin de son adolescence, et malgré toutes les aides, tous les efforts de la famille, il a petit à petit sombré dans la folie. Maintenant, il est suffisamment conscient que pour pouvoir diriger la horde des orcs, mais il trop perturbé pour qu’un elfe ne soit volontaire pour être sous ses ordres. Il semble parfois possédé par un esprit malveillant, il passe du calme à la fureur, rigole à des moments inopportuns, avec un ton qui glace le sang... On nous a déjà rapporté qu’il avait déjà exécuté tout son état-major parce qu’ils contestaient ses décisions. Cela fait déjà longtemps que ses frères et sœurs ne veulent plus l’approcher, et à raison, si vous voulez mon avis. »
C’était donc lui, l’elfe aux longs cheveux blonds que Baltazar avait aperçu lors de leur escapade à Elehanda. Savoir qu’il s’agissait en fait d’une personne déchirée par la folie, rendue psychopathe pour quelque raison, leur faisait un peu froid dans le dos.
« Nous allons renvoyez ces Crocs d’Obsidienne dans leurs trous, leur faire manger la terre et puis les décapiter. Ils n’auront que ce qu’ils méritent. » finit par dire le nain, dont le sang commençait à chauffer à l’idée d’un affrontement imminent.
« Vous aurez bientôt également des elfes à affronter. La Marche du Vent est déjà envahie et pratiquement complètement sous le joug de l’Empire. » répliqua l’ancienne gouverneure de Taek.
Les aventuriers bondirent presque. Ils avaient jusqu’ici senti que l’étau se resserrait, mais ils ne se doutaient pas qu’il était déjà à ce point-là refermé. Devant le silence du groupe, Ira ajouta :
« Il ne reste plus que la cité-nomade orque de Gor-Kalahan, qui actuellement a évité les conflits directs, et les Chevaucheurs du Vent passent entre les mailles du filet. »
« Le conflit va donc bientôt complètement se retrouver ici, probablement une fois que les orcs auront complètement épuisé nos forces... » dit Marduk, en se grattant la barbe d’un air pensif, les yeux dans le vague.
« Et les autres personnes de la Dynastie Aëthir, quel est leur rôle dans tout cela ? Ne peuvent-ils pas reprendre le pouvoir ? » reprit Baltazar.
« Ramener les Aëthir à la tête de l’Empire serait en effet peut-être la solution, mais actuellement aucun candidat n’est prédisposé pour reprendre la tête de la nation : depuis la mort de son épouse, Anwon est d’un tempérament calme et introverti, il a fui la politique toute sa vie et réside actuellement dans sa demeure, isolé des tracas du peuple et de la guerre. Riolsind, qui est la plus impétueuse et celle qui aurait le caractère nécessaire pour reprendre la main sur l’Empire malgré son jeune âge, est actuellement en otage dans la famille des Isteli. L’arbre généalogique des Aëthir a perdu de nombreuses branches durant les siècles passés... » répondit-elle.
« Et quelle serait votre plan ? » demanda Vidar, impatient de voir où elle voulait en venir.
« Je pense… qu’il serait possible d’infiltrer le Palais des Piliers, la demeure des Isteli, et libérer Riolsind. »
Elle marqua une pause, puis reprit.
« Et tuer Aylidan. »
Le silence se fit.
« Vous voulez que nous tuions votre empereur ? » demanda alors Marduk. Elle inspira, puis expliqua :
« Je pense que pour le bien de notre peuple, mais également de la Redana, Aylidan ne doit plus être empereur, et je doute qu’il ne cède les rennes du pouvoirs. Il possède des ambitions démesurées, et ne considère pas la paix comme un synonyme de prospérité. Ses projets d’expansion ne risquent pas de s’arrêter là, et bien que faire la guerre au royaume d’Onclair me semble juste, cela ne sera qu’un tremplin pour la suite de ses conquêtes. »
« Et comment pourrait-on se rendre dans le Palais des Piliers ? » répondit Baltazar. Elle le regarda droit dans les yeux, puis répondit :
« J’ai un plan... »
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