Session LXI : Retour d'entre les morts
General Summary
Le silence régnait dans la pièce, uniquement interrompu par les sanglots irréguliers de Marduk. Les chandeliers brûlaient, comme pour commémorer la perte d’un être cher, pour lui adresser une prière… à lui… ou à un potentiel sauveur ? Les flammes se mirent à brûler avec une vive intensité, et une mélodie lancinante parvint aux oreilles des aventuriers.
Une flaque de sang était occupée à se répandre au sol, sous Baltazar, et la surface était étrangement opaque malgré la petite épaisseur de la couche. Et pourtant, elle se répandait. Il fut bientôt évident que ce sang ne pouvait pas être celui de Baltazar, pas uniquement. Du liquide sortait de ses plaies, mais les attaques avaient principalement été magiques, et ses blessures ne saignaient pas tant que cela.
Alors, les aventuriers les virent. Les deux petites perles qui étaient au cou de Baltazar.
Les deux larmes reluisaient d’une étincelle magique, de l’étincelle des vies qu’elles avaient prises. Des gouttes s’écoulaient des Larmes d’Asmodeus et recouvraient le sol petit à petit. Les flammes des cierges furent comme soufflés vers le fond de la pièce, mais elles ne s’éteignirent pas. Elles ne faisaient que montrer le chemin. Un premier craquement se fit entendre, et les aventuriers se redressèrent, armes au poing, l’arme à la main, prêts à toute éventualité. Les deux morceaux de murs de marbre noir, déjà entrouverts, furent repoussés sur le côté, révélant le corps d’un humanoïde de plus de cinq mètre, dont les yeux écarlates et les cornes effrayantes sur le front ne pouvaient laisser de doute : il s’agissait bien d’un diable majeur, un nessari. Il s’éveillait petit à petit, sortant de sa torpeur ancestrale. Puis d’un coup de poignet violent, il libéra son bras droit de la chaîne qui le maintenait emprisonné, et il fit de même avec le gauche. Ensuite il retira les pieux plantés dans ses ailes, qui le conservaient tel un crucifié.
Lentement, il fit les gestes qu’il n’avait pu faire depuis des siècles. Il roula des épaules, tendit les bras vers le haut, le bas, dans toutes les directions, fit jouer ses ailes et les déploya, ce qui couvrit l’entièreté de la largeur de la pièce.
« Enfin libre ! » rugit-il, presque de manière férale, empli d’une joie non dissimulée. Puis il reprit :
« Je vous remercie, intrépides inconnus. Mais il me semble que le principal concerné n’est plus là pour récolter les lauriers… Mais qu’importe, je suis enfin à nouveau diaboliquement moi-même ! Je me nomme Arghon, mais je suppose que la plupart des mortels doivent avoir oublié mon nom. En récompense de vos efforts, je vous autorise à me prêter allégeance, si vous le souhaitez. Sachez que je récompense grassement les valeureux », dit-il avec un sourire entendu. Il avait tendu sa main griffue vers eux en signe d’accueil.
Les aventuriers échangèrent un regard. Cela s’était finalement passé. Les portes de Kéloph devaient être ouverte, car le nessari était maintenant libre. Ils entendaient le sol trembler, car les légions infernales devaient se déverser dans la cathédrale tel un flot putride dans les vertes plaines. Et devant eux, l’archidiable leur proposait une alliance. Ils hésitèrent. Marduk, ayant repris ses esprits, mais toujours les yeux humides, prit la parole.
« Nous sommes honorés de votre proposition, mais nous ne savons pas encore si nos chemins sont faits pour être si étroitement liés. Si vous nous permettez, nous préférerions garder notre libre arbitre. »
Les aventuriers haussèrent les sourcils à la réponse de Marduk. Ils ne s’étaient pas attendu à une réponse aussi diplomatique, adressée à un diable. Ce dernier ria, puis répondit :
« Le libre arbitre n’est qu’une illusion, jeune mortel. Mais qu’il en soit ainsi. Je vois que votre ami l’homme-lézard a succombé à ses blessures. Dommage, je l’aurais bien couvert d’or pour m’avoir libéré. Mais qui sait, peut-être aurais-je l’occasion de le récompenser une fois qu’il passera les Portes de Kéloph sous forme diabolique ? » continua Arghon alors que son regard se perdait dans le vide, profondément investi dans ses réflexions. Puis, après une petite pause et une grande inspiration, il reprit.
« Quoi qu’il en soit, je vais devoir faire de l’ordre dans cette cité. Je sens qu’elle a été laissée à l’abandon, aux mains de faibles qui ne savent pas ce qu’il est nécessaire de faire pour faire évoluer de manière claire la civilisation vers la prospérité. Pour cela, mes serviteurs vont réaliser quelques enquêtes, quelques remises au pas. Pendant que cela se produira, vous aurez la possibilité de vous déplacer à votre guise. »
L’archidiable traça une rune dans les airs, qui se matérialisa en lettre de feu, puis se dissipa comme des cendres dans le vent.
« Cette marque vous permettra de voyager librement le temps des enquêtes. Une fois ces formalités terminées, il faudra demander des laisser-passer à mes serviteurs, au bureau des étrangers. Vous avez quelques jours devant vous… deux au minimum, peut-être trois. »
Marduk s’inclina et répondit :
« Merci, votre grandeur. Nous ferons bon usage de cette faveur, et à bientôt. Nous nous reverrons bien assez tôt. »
Puis ils prirent le corps sans vie de Baltazar et sortirent de la pièce.
« Nous n’avons pas les ressources pour le défaire maintenant, et il n’est pas impossible qu’il nous faille traiter avec lui pour remporter la guerre en Redana, alors mieux vaut ne pas le froisser trop vite. » ajouta-t-il à l’attention de ses compagnons afin d’expliquer son attitude face au diable.
Puis ils firent le point sur leur plan : ils allaient tenter de ramener Baltazar d’entre les morts. Les chances étaient faibles, mais jamais ils ne pouvaient l’abandonner à son sort incertain sans rien faire. Marduk, plus encore que les autres, sentait le poids de la responsabilités lui peser sur les épaules. Non seulement, son histoire était liée à celle de Baltazar, car il s’agissait de son oncle qui avait mis fin aux jours de l’iruxi, mais surtout, il était le seul dans le groupe avec la capacité à faire revenir quelqu’un d’entre les morts. La dernière fois qu’il avait tenté le coup, cela s’était mal terminé, mais cette fois-ci il ne pouvait pas échouer, se dit-il.
Ils se rendirent à l’Auberge des Parias et discutèrent de la démarche à suivre : ils allaient contacter toutes les personnes susceptibles de pouvoir les aider dans le rituel de résurrection. Maï Xin envoya un message à Dame Aloryck, tandis que les autres allèrent chercher Tim, Jueïa, qui portait son chagrin dans le fond de ses yeux, mais également Aru et Udeo, car ils pourraient peut-être assister dans la préparation.
Puis ils se mirent au travail. Dans l’Auberge de Xalistar, ils tracèrent les marques sacrées de Sarenrae, représentant le cycle de la vie et du soleil, les marques du feu sacré présent en chacun des êtres vivants, présents dans le cœur de Baltazar. Paradoxalement, le feu de Sarenrae pouvait aussi bien être interprété comme étant le feu d’Asmodéus, et on pouvait dire que cette dualité était bien présente chez le ruffian : marqué par les flammes des enfers, soutenu par celles de la rédemption. Puis ils dirent un cercle de bougie dans l’obscurité, traçant des trajectoires ovoïdes, telles des étoiles tournants autour du centre flamboyant, représentant les destinées qu’il avait touchées, d’une manière ou d’une autre : ses amis, ses ennemis, et puis tous les autres. Des encensoirs furent suspendus et allumés, plongeant tout les participants dans une ambiance cérémonielle, consacrée et inviolable.
Finalement, les participants entrèrent dans cet espace saint : Dame Aloryck, Tim, Jueïa, Drark et finalement, Marduk. Choisis pour leurs compétences dans et leur lien avec Baltazar, ils se mirent à entonner une complainte des sables perdus. Celle-ci racontait la perte d’un grain de sable dans le désert de Kalmut, le plus grand désert du Qadira, priant les dieux de retrouver ce grain dans l’immensité dorée. Ici, il fallait retrouver l’âme de Baltazar dans la Rivière des Âmes, avant qu’il ne passe devant la Dame en Noir et qu’il ne soit envoyé dans l’Au-Delà.
Mais surtout, ils priaient également pour qu’Asmodéus considère le contrat comme rempli dans les temps, et que son âme n’avait pas été réclamée par le Prince des Enfers durant le court délais où leur ami était mort, alors que Dal’ris vivait toujours. Si cela était le cas, tous les rituels du monde ne serviraient à rien, car son âme aurait déjà été scellée dans la neuvième strate du monde diabolique, et Baltazar deviendrait le serviteur, esclave de la volonté d’Asmodéus.
Sur ordre de Marduk, les incantateurs secondaires se mirent alors en branle d’un seul mouvement, d’abord les bras, dansant comme flottant dans un vent doux et ondulatoire, maintenant leur corps bien droit, comme des piliers sur lesquels le champion pouvait s’appuyer. Puis alors que le chant commençait à diverger, Dame Aloryck et Jueïa allant chercher des notes hautes tandis que le nain et le gobelin descendaient dans les graves, avec Marduk qui gardait un équilibre dans les médiums, unissant le chant polyphonique.
Les mouvements des participants du rituel commençaient à laisser des traces, des traînées dorées dans les airs, et des formes de dessinèrent dans la pièce, dorées comme les encensoirs servant à plonger les participants en transe. Les corps des incantateurs se mirent alors à se mouvoir complètement, apportant comme un effet de spirale, comme si le vent qu’ils créaient se passait de l’un à l’autre, traversant Drark pour parvenir à Jueïa, puis allant vers pour atteindre Dame Aloryck, marquant les airs de ce passage d’énergie divine. Marduk, au centre tel un chef d’orchestre, veillait à ce que les forces de chacun et chacune se complétaient, se compensaient l’une et l’autre pour créer cette porte vers le chemin de psychopompes, les bergers des âmes.
Au final, il s’agissait presque d’un attrape-rêve, tracé dans les cœurs de chacun, avec pour but ultime d’attraper, de rattraper Baltazar, tels des chasseurs de papillons ou des pêcheurs à l’affût, prêt à frapper afin de permettre à leur ami d’échapper à la cascade mortelle au bout du chemin. Et Marduk était à l’affût.
Il écoutait, cherchait dans le fouillis des pèlerins décédés, dans ce chaos des âmes s’entremêlant pour rencontrer Celle qui Juge, la garante de l’ordre cosmique. Il veillait, presque, patiemment.
Puis il entrevit une lueur familière. Il ne reconnut pas Baltazar, mais il eut comme un déjà-vu, comme le salut du soleil de chaque matin, le sourire d’un visage familier ou le sentiment d’une situation déjà vécue des centaines de fois. Il plongea alors son esprit dans le maelstrom, sachant qu’il n’aurait pas droit à une seconde chance. Le champion se sentit happé par le tourbillon des voyageurs, par le flux incessants des âmes se dirigeant vers l’extrême aval : le Cimetière, la résidence éternelle de Pharasma. Rapidement, il commença à avoir cette impression de se noyer. Il savait cependant qu’il n’avalait pas d’eau, que tout cela se passait dans son esprit. Cependant, il avait la respiration coupée et ne parvenait pas à respirer. Comme si l’air déjà présent dans ses poumon refusait de sortir pour laisser la place à un nouvelle bouffée. Et cela consumait sa lucidité. Marduk savait qu’il avait plongé pour retrouver Baltazar, mais il tout esprit était occupé à s’étioler à cause de cette panique incontrôlable. Alors qu’il sentait qu’il perdait pied, qu’il était occupé à perdre la partie, il sentit alors comme des mains le prendre par les épaules. Une présence venait l’aider dans sa tâche. Il put sortir la tête hors de l’eau, hors de ce puits sans fond qu’était la Rivière des Âmes pour pouvoir observer. Il savait qu’il ne pourrait affronter le regard de cette personne, de cette entité, car elle était présente dans son cœur et non sur le plan physique.
C’est alors qu’il vit Baltazar : errant, le regard dans le vide, filant comme une étoile vers une nuit sans lune. Le champion s’élança, ou du moins il eut cette impression, et il sentit l’espace de distordre alors qu’il s’approchait de l’âme de son ami, sous les regards désapprobateurs des psychopompes, cachés derrières leurs masques au visage de corbeau, tels des gardiens infatigables du Jugement Dernier.
Dans l’obscurité vaporeuse de la Rivière des Âmes, Marduk attrapa alors son compagnon et le tira du flux des morts, et ils se sentirent alors tomber, comme si le sol inexistant sous leurs pieds avait alors disparu.
Ils se réveillèrent alors, comme suite à la fin d’un rêve se terminant par une chute infinie, entourés de Dame Aloryck, Tim, Drark et Jueïa, les larmes coulant sur ses joues, un sourire de soulagement sur le visage.
« Tu nous a bien fait peur, mon ami, dit alors Drark. J’ai crû un moment que tu avais définitivement passé les portes du Cimetière. »
L’iruxi clignait des yeux, ébloui par le réveil de ses yeux qui ne fonctionnaient pas encore bien. Mais lorsqu’il aperçut la silhouette de Jueïa, il la prit dans ses bras. Elle fut surprise, mais répondit à son embrassade en le serrant d’autant plus fort dans ses bras.
« J’ai crû que j’étais perdu également. Mais je suis de retour. »
Ce fut un moment de réjouissances, il y eut acclamations, poignées de mains, rires et bière versées pour fêter ce qui s’était produit. Marduk prit son ami dans ses bras, et tandis qu’il tenait le corps massif plein de vitalité de son compagnon, il remercia Sarenrae de lui avoir donné la force de pouvoir maintenir sa famille d’aventure en vie.
Le lendemain matin, une fois les festivités terminées, les aventuriers remercièrent ceux qui avaient répondu à l’appel pour les aider, et se souhaitèrent de se revoir bientôt, sous de meilleures augures.
Ils ne devaient pas trop traîner, car la cité de Glenwyrm commençait à devenir un lieu scellé, placés sous verrous, et le gardien des clés n’était autre qu’un archidiable. Ils conseillèrent donc à Tim et Jueïa de se dépêcher d’aller chercher des laisser-passer afin qu’ils puissent se déplacer librement dans la cité, avec les instructions claires qu’ils faisaient partie du même groupe que les aventuriers, espérant un traitement de faveur. Ils avaient entendu dire que les diables commenceraient par faire le recensement, mais qu’ils ne s’arrêteraient pas là. Ils pourraient procéder à des descentes dans les demeures afin de vérifier les avoirs, les habitants, et autres informations qui semblaient utiles pour le nouveau gouvernement.
Ils décidèrent alors d’investiguer sur le sujet des sphères de téléportations. Il devait bien en avoir une dans la ville, cachée ou non. Ils allèrent jeter un œil dans les ruines de la Citadelles de la Gardienne, mais ne virent rien sous les décombres. Puis il se dirent que le meilleur endroit pour cacher ce genre d’élément, était dans les coffres-forts de la banque-cathédrale d’Abadar.
Lorsqu’ils arrivèrent sur les lieux, le nettoyage était déjà en cours : tous les postes importants avaient soit été donnés aux diables, soit supervisés par un diable. Ils ne traînèrent pas et prirent la direction des sous-sols. Ils purent constater que les premiers niveaux étaient déjà en pleine évaluation. Les diables inspectaient les coffres, vérifiaient le contenu et comparait avec ce qui était sur les listes de la banque, mettant la main sur les objets ou richesses en trop. Mais après quelques niveaux, ils purent constater que les coffres étaient encore intouchés, et qu’il n’y avait que quelques chevaliers infernaux qui montaient la garde en attendant la vérification.
Après une longue descente, ils mirent enfin les pieds au dernier sous-sol. Deux soldats étaient de garde dans cette énorme pièce aux énormes portes.
Marduk s’approcha et leur dit :
« Vous pouvez nous laisser la salle quelques instants, nous avons besoin de vérifier quelque chose. Cela fait déjà un petit temps que vous veillez, donc profitez-en pour apprécier une pause bien méritée, camarades. »
Le sergent haussa alors un sourcil, et répondit d’un air mauvais.
« Je ne sais pas qui vous êtes, mais vous feriez bien de quitter les lieux. Nous sommes responsables de la pièce et il est de notre devoir de la surveiller. »
« Vous n’avez pas l’air de comprendre qui nous sommes, mon garçon. Voyez-vous cette marque ? Demanda-t-il en faisant luire le signe diabolique qu’Arghon leur avait adressé. Il s’agit de la preuve que nous sommes nous la bénédiction du seigneur Arghon en personne. J’espère que vous n’insinuez pas que nous ne sommes pas des personnes de confiance. Je détesterais devoir faire un rapport à la hiérarchie pour les avertir qu’un insignifiant sergent a entravé la route des agents de sa Majesté Infernale. »
Les soldats eurent un mouvement de retrait, puis quittèrent la pièce. Baltazar et Drark ne dirent pas un mot, mais il était clair qu’ils étaient surpris de voir leur ami parler sur ce ton. Le gobelin jeta alors un œil à la porte.
« Le mécanisme est trop complexe pour que je puisse le crocheter. Je vais faire quelques analyses et tenter de faire des prototypes de clés. Je n’aurai pas le temps de les faire maintenant, ni d’ouvrir la porte, mais je vais du moins prendre toutes les notes nécessaires et j’espère que cela sera suffisant… »
Les aventuriers ne savait pas où cela les mènerait, mais c’était néanmoins une piste...
Date du Rapport
20 Jun 2025

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