Le retour de l'élu
Cela faisait longtemps que tu n'y avais pas pensé, beaucoup trop longtemps. Tu avais tout doucement réorganisé ta vie pour ne plus avoir ces souvenirs en tête, mais la nuit dernière avait été rude. Tu t'étais endormi trop ivre que pour avec l'occasion de rêver. Cependant, au milieu des ténèbres de la nuit, tu t'étais réveillé avec la gorge déssechée et l'impression que toute humidité avait quitté ton corps. Après avoir bu un littre d'eau, tu étais retourné sur ta paillasse en espérant finir tranquillement ta nuit. C'est à ce moment que tu revis tout ce qui avais fait partir ta vie en vrille.
Tu te revis occupé à jouer aux dés avec tes compagnons de la garde rapprochée. Ce soir-là, l'ambiance était à la rigolade. Mircal avait toujours été un nain particulièrement drôle, parfois volontairement, parfois à ses dépends. La blague récurrente actuellement était la taille de son ventre. Il avait de plus de mal à se sentir bien dans sa cotte de maille et le voir desserrer sa ceinture après chaque repas avait le don de vous rendre hilares. L'amosphère avait toujours été excellente dans la garde du seigneur. Vous aviez l'habitude de vous charrier et chacun en avait pour son grade à un moment où un autre. C'était un peu comme une grande famille. Vous aviez monté le camp dans une caverne, à l'abris des regards et attaques surprises, pour permettre aux seigneurs des Montagnes d'Argent, Agald Brumacier et Hog Brisepieds de s'entretenir au sujet de leur relation commerciale. Des éclaireurs avaient été postés dans les environs afin de pouvoir mettre le camp en alerte en cas d'approche d'intrus. Il n'y avait aucune raison de s'inquiéter, et la bière coulait à flot et la moitié des gardes riaient à gorges déployées, observant Mircal qui était à deux doigts de vomir après l'entraînement physique quotidien tout en soutenant qu'il n'avait pas pris de poids. C'est alors que le liquide prit la mauvaise direction. Au lieu de se diriger vers l'estomac, il prit la direction des poumons. Tu te sentis devenir tout chaud, et tu te rappelles tousser comme pas possible, en riant toujours comme tu ne l'avais jamais fait. Malgré tes efforts, tu ne parvins pas à recracher la bière, qui enflamma tes poumons. Tu la sentais brûler en toi, comme si la forge de Torag elle-même était dans tes entrailles. Tu te repensas à tout le chemin parcouru pour en arriver là, et une pensée te traversa l'esprit : "C'est quand même bête que tout se finisse là, maintenant, alors que j'avais une destinée qui m'était tracée... Par de la bière en plus, ironique pour nain."
Et puis plus rien.
En effet, depuis ta naissance, ta vie avait été entourée de présages, de visions et d'autres prophéties. Cela avait commencé quand ta grande tante Ildra avait vu en songe la venue d'un élu dans la famille qui apporterait gloire et honneur sur sa lignée et ses ancêtres. Tout le monde, à l'époque, la prenait pour une folle et elle fut la blague de la famille durant de nombreuses années, jusqu'à ce qu'un jour, un enfant naisse dans le Grand Temple de Torag, sur l'autel sacré de ce dernier, lors d'une nuit bénie par les astres. Dès ce jour-là, ta vie avait été tracée telle une voie dorée. Tu avais grandi sous les yeux admiratifs de tes parents aux anges. Tu avais intégré l'Académie militaire avait tous les autres, car tes progrès et tes compétences surpassaient celles de tes camarades de classe. Ensuite, tu avais finalement rejoint la garde personnelle du seigneur Brumacier, à la plus grande joie de tes parents. Un Odeson allait s'occuper personnellement d'un des seigneurs des Cinq Montagnes. Tu survolais ta propre vie sur un nuage, jusqu'à ce jour où la chance ne te sourit plus.
Sans te souvenir de ce que tu faisais l'instant d'après, tu te retrouves en train de marcher paisiblement, les pieds dans une rivière au milieu d'une grande plaine vide. Tu suis un homme habillé d'une grande toge blanche, surmonté d'une cape brune. Tu te sens bien, et lèves les yeux aux ciels pour contempler la nuit profonde, remplie d'étoiles scintillantes, éclairant l'obscurité de la nuit. Tu te perds quelques secondes dans le cosmos, comprenant que l'univers s'étend devant tes yeux. Alors l'homme se retourne et te sourit. Il porte un masque de bois mais te sourit calmement alors que ses petits yeux brillent dans les ténèbres. Sans avoir besoin de parler, tu comprends et continue ton chemin dans cette rivière qui, tu t'en rends finalement compte, n'est pas vraiment matérielle sous tes pieds. Des formes ectoplasmiques glissent entre tes jambes sans que tu parviennes à distinguer de quoi il s'agit exactement. Vous avancez en silence vers une tour titanesque, montant jusqu'aux étoiles. Alors que vous vous rapprochez, tes yeux de nains remarquent la perfection de la pierre sombre qui constitue la muraille entourant l'édifice. Celle-ci est constituée de blocs de taille cyclopéenne et semble indestructible. Vous passez alors les énormes portes d'ébène et vous arrivez dans une cour dans laquelle se trouve un grand trône de pierre. Sur celui-ci, une grande dame aux cheveux de cendre, à la peau anthracite et drappée dans une tenue noire vous attend. Elle semble impatiente et te fixe de ses yeux parfaitement blanc. Alors que tu observes autour de toi, tu remarques que sur sa gauche, des visages familiers te regardent, inquiets. Tu peux voir une multitude d'émotions traverser leurs esprits : tristesse, déception, colère, embarras. Tu peux reconnaître Brior, ton arrière-grand-père, que tu as déjà vu sur une tapisserie familiale dans le salon, puis Bald et Ina, ta tante et ton oncle qui sont morts de la peste bubonique il y a de cela quelques années, et ton cousin, tué lors de la dernière guerre contre les morts-vivants d'Ustalav, et encore bien d'autres que tu ne reconnais pas mais dont les traits du visage ne trompent pas. Le psychopompe, guide et gardien des âmes qui te montrait le chemin jusque là s'adresse alors à la Dame en Noir. Tu es absorbé par la vue étrange qui s'offre à toi alors que ton jugement se déroule. Tu vois les bouches s'animer, les yeux s'éclairer, mais tu n'écoutes pas. Tu regardes autour de toi. Tu peux voir que cette cour possède des grandes arches, menant vraissemblablement à d'autres lieux, car les paysages contrastent drastiquement avec l'endroit dans lequel tu es. Tu peux lire au-dessus de ces arches de pierre les noms suivants : Enfers, Abysses, Abaddon, Paradis, Élysée, Nirvana, Axis et Maelstrom. Tu peux en effet apercevoir les vallées de cendres des Enfers et les jardins magnifiques du Paradis, mais tu peux voir que ton jugement prend plus de temps que ce que tu ne l'avais imaginé. À force de plaintes, pleurnicheries, requêtes, arguments soutenus de gestes, tes ancêtres se démènent pour... tu ne sais même pas et tu n'en a cure. Le psychopompe écoute attentivement et ajoute de temps en temps des commentaires. Mais d'un coup, la Dame des Tombes, d'un geste du poignet, fait taire ta famille défunte. Elle ouvre alors la bouche et parle. Tu n'entends aucun son, mais tu sais qu'elle parle. Sa voix est profonde et bien que tes tympans ne vibrent pas, tu sens ton âme remuer comme si une onde vieille comme le monde venait de surgir de ton coeur. Personne ne semble inquiété, mais pourtant ta vision se trouble et s'assombrit. Tu te sens aspirer vers l'intérieur de ton corps alors que tu ne parviens pas à quitter la Dame des yeux. Elle a l'air terrifiante de par son autorité et son intransigeance.
Tu sens que tes souvenirs s'embrouillent alors que tu somnoles. Bien que tu n'aies pas envie de revivre tous ces évènements, tu ressens le besoin d'aller au bout, comme si tu le devais pour le sortir de ta tête. Tu te replonges dans ta mémoire confuse...
Tu te réveilles finalement au camp. Il fait sombre, mais tes yeux voient comme dans le jour, en noir et blanc. Tu es sous une couche de poussière, affalé au sol. Tu tousses car tu as la gorge asséchée. Tu te rends compte que ce n'est plus un campement, mais bien des ruines d'un campement. Alors que tu titubes à la recherche d'eau, tu tombes sur le corps de Srarg, ton coéquipier. Tu peux voir qu'il est mort depuis longtemps : des jours peut-être ? Des mois ? Tu sens que tes muscles sont atrophiés et faibles. Tu trouves une torche que tu allumes et tu peux enfin voir en couleur autour de toi. Sur tes mains, la lumière révèle ta peau grise. Tu trouves finalement une gourde dans laquelle il reste un peu d'eau. Tu reprends tes esprits et comprends que les dieux ton laissé une seconde chance. Après quelques minutes d'inspection, tu te rends compte que tout le monde a été tué, de manière brutale. Mais ton coeur se brise en deux lorsque tu vois la tête d'Agald sur une pique, son corps à ses pieds, ostensiblement mangé à moitié. En inspectant les corps, tu te rends compte qu'il n'est pas le seul à avoir été dévoré, bien que les traces indiquent des marques de combats armés. Tu reconnais la marque d'un clan honni : les Crocs d'Obsidienne. Ce clan ennemi orc, constitué de brutes épaisses et vénérant la destruction vous en veulent toujours pour vos affrontements lors de la Quête du Ciel. Cela faisait des années que vous n'aviez plus eu affaire à eux, mais ils étaient toujours en recherche de vengeance. Ta vie venait de s'effondrer, et tante Idra n'avait pas prédit cela du tout. Tu te sentis alors perdu, dépossédé de ton identité et de ta destinée. Mais il te restait une chose : la rancoeur. Une rancune venait d'être inscrite dans ton livre personnel, et elle ne pourrait pas être effacée avant d'avoir mis la tête du chef de ce clan sur une pique.
Pendant de longs mois, tu vagabondas sur les routes sur la piste du clan des Crocs d'Obsidienne, errant sur les routes en essayant de retrouver les coupables de l'ignominie. Il n'était pas question que tu retournes à la maison bredouille, ruinant l'honneur de la famille et du clan. Tu quittas finalement les montagnes, le chemin te menant plus au sud. Tu parvins à questionner les voyageurs, les caravanes et finalement tu tombas sur un orc qui te renseigna plus précisément. Tu avais enfin une piste tangible. Après des semaines ta piste s'arrêta à la ville de Vinacle, dans une région appelée la Redana. Tu ne connaissais pas vraiment cet endroit. Tu te rappelais avoir entendu à tes cours de cartographie qu'il s'agissait d'une région occupée par des humains, et qu'une guerre avait éclaté entre ce royaume et un empire elfe qui réclamait ces terres sur base d'une légitimité ancienne : il s'agissait de leur pays qu'ils avaient quitté il y a fort longtemps et désiraient le récupérer. Quoi qu'il en était, la région n'était plus le théâtre de cette guerre qui avait pris fin il y avait de ça une quarantaine d'années, et cela tombait bien, parce qu'après des mois sur les routes, se rendre à cette ville réputée comme "La capitale des vins" serait comme une récompense.
Cela faisait presque trop longtemps que tu n'avais pas bu. Par peur ? Par honte ? Difficile à dire. Ceci étant dit, tu étais sobre depuis bien trop longtemps, et lorsque tu commenças à piétiner, retournant chaque pierre de la ville et qu'aucun indice ne te parvint, tu commenças à affronter tes démons dans la boissons. Au début, tes nuits étaient agitées par ton attente, ton anxiété, ton espoir. Puis tu commenças à perdre cet espoir, et tu noyas petit à petit ta déception dans l'alcool. Il faut dire que s'il y avait bien quelque chose d'intéressant à Vinacle, c'était bien le vin. Pendant plus d'un an tu bu ton chagrin et ta boussole interne dévia de sa trajectoire. Mais tu étais arrivé à cette nuit sans lune, propice aux rêves maussade et à l'amertume. Sur les rives du subconscient, des formes se déplaçaient et s'extirpaient petit à petit de l'écume provoquée par des vagues violentes : un visage, puis un autre, puis encore un autre, jusqu'à ce qu'une multitude de masques éthérés t'apparaissent. Avec leurs faciès émus, comme une famille aux émotions ambigües, ils te parlèrent, d'abord doucement, puis de plus en plus fort. Les voix résonnaient dans ta tête et ce qui n'était alors qu'un murmure devint petit à petit vacarme. Comme un grondement de colère qui résonne dans la vallée de tes aïeux, ce tonerre monta en puissance pour arriver assourdissant à tes tympans, s'imposant dans ton esprit comme une révélation prophétique. Tu te réveillas en sursaut et tu te rappelas alors l'origine de ces visages : la cour de Pharasma, la Dame des Tombes. Il s'agissait de tes ancêtres dont les émotions ne pouvaient plus être contenues. Leur descendant devait leur faire honneur et ne pas jeter ainsi la famille dans l'opprobe. Un Odeson ne pouvait pas baisser les bras face aux difficultés et s'il avait besoin d'un coup de pouce, ils seraient là pour le relever après une défaite, pour panser ses blessures après un combat ou pour le réconforter après un échec.
Une image te vint alors à l'esprit, plus nette que jamais malgré le temps passé : dans le camp en ruine où tu t'étais réveillé, un détail que tu avais manqué te revint. En cherchant de l'eau pour épancher ta soif, tu étais tombé sur une bouteille de vin, rien d'anormal à priori, mais en revisualisant le blason sur l'étiquette, tu sus que ce n'était pas une bouteille qui était sur le camp avant ton décès. La bouteille arborait une chimère peinte en bleu, qui fut alors comme ton nouveau fanal.
Le lendemain, tu te rendais au Domaine de la Chimère Bleue, un vignoble réputé. Avec un peu de verve, tu parvins à obtenir le nom d'une personne ayant acheté des vins ici, et qui ne semblait pas appartenir au paysage classique. Son sceau de signature te glaça le sang : un croc marqué dans une cire noire. Tu appris alors qu'il s'agissait d'un hobgobelin du nom de Hjarnak Selion. Il avait migré vers Orville il y avait de cela un certain temps. D'après les racontars que tu pus rassembler, il semblait violent et sadique. La traque reprenait.
Tu arrivas à Orville quelques jours avant la Grande Fête de l'Équinoxe et commença tes investigations. Tu appris te fit quelques contacts avec la Confrérie du Marteau, une communauté de forgerons qui était là de passage pour la démonstration de leurs talents et la vente profitable de leur labeur. Tu passais tes journées à observer et écouter. Tu appris durant ces heures de recherches que la ville était dirigée par Le Conseil des Sept, mais que de nombreuses organisations étaient à l'oeuvre et que le vrai pouvoir n'était pas que dans les mains de ces sept gens. De nombreux gangs réalisaient leurs affaires impunément : les Chiens de Guerre (un gang d'halfelins, peu de chance qu'il soit là), les Ombres (cultistes assassins, pourquoi pas), la Guilde des Mariliths (un groupe anarchiste, cela pouvait également tenir la route), mais ceux qui avaient retenu ton attention étaient les Corbeaux du Crépuscule. Ils semblaient sournois et manipulateurs. De ce que tu avais compris, Hjarnak pouvait très bien se trouver dans cette organisation. Après quelques jours d'enquête, tu appris qu'ils avaient l'habitude de se retrouver à la Dernière Goutte, une auberge qui tournait aussi bien le jour que la nuit, principalement peuplée de poivrots et soiffards en tous genres. Tu décidas d'en faire ton repère le temps d'en savoir un peu plus, afin d'observer ce qui se tramait. Tu avais en effet remarqué que plusieurs personnes venaient se retrouver ici, mais pas d'hobgobelin. Il s'agissait toujours d'une jeune femme, d'une vieille femme, d'un halfelin et d'une quatrième personne. Cette dernière n'était jamais la même. Tantôt un homme élégant, puis un orc (un ORC !), puis un gobelin, puis une fillette, cela ne semblait jamais être constant. Ils semblaient faire partie des Corbeaux, et tu sentais que le moment approchais. Tu savais que ta patience serait récompensée, alors tu pris une bière ou deux en attendant, jusqu'à ce que ...
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