Boldur
*Plic*
*Plic*
*Plic*
Goutte après goutte, le liquide noir venait remplir petit à petit le marmiton qui accueillait froidement l’épaisse substance. Au bout d’une corde, une petite créature pendait, et tournait lentement au bout de ce qui l’empêchait de tomber dans la mixture opaque juste en-dessous d’elle. Il s’agissait d’un rat, mais un œil avisé remarquerait rapidement qu’il ne s’agissait pas d’un rat normal. Ses orbites, au lieu d’habiter les petits yeux rouges que l’on voyait habituellement chez ces mustélidés, étaient vides, laissant une marque complètement noire comme de l’encre, prendre place là où devaient se trouver ses globes oculaires. Les veines menant aux yeux étaient d’ailleurs boursoufflées, et on pouvait voir que ces canaux alimentaient la tache, comme les artères avec le cœur. Le rat n’avait d’ailleurs pas l’air d’être mort. Il semblait juste dans un état de paralysie totale. Il tournait, figé comme une bête empaillée pendue par la queue, attendant de se vider de son sang.
Du sang. Voilà qui t’aurait mis en appétit, mais tu savais que trop bien ce que tu avais mis dans la gueule du rat pour arriver à ce résultat-là. Ingérer une seule goutte de cette substance tuerait n’importe qui, même un être déjà mort comme toi. Dans ton reliquaire, tu attendais patiemment que la créature rejette complètement le poison, qui serait alors utilisé par tes agents assassins. Norgorber aimait les choses bien faites. La mort était importante, mais la manière de mourir l’était encore plus. Tu ne savais pas encore qui allait goûter au baiser de la faucheuse, mais cela importait peu. Tu t’imaginais déjà la personne convulser, se crevant les yeux car la douleur absurde provoquée par le poison le pousserait à tenter de l’arrêter à la source. Mais ce n’était que les premiers effets du poison, et à partir de là, la descente aux enfers commençait seulement. Bien que tu te délectais de cette vision, l’idée de gâcher du sang sain te contrariait toujours. C’était comme répandre de la boue sur un mets délicieux. Cela te révulsait, mais c’était des sacrifices que tu étais prêt à prendre pour le Dieu du Meurtre. Tu commençais à avoir faim d’ailleurs.
Tu entendis alors, malgré la pluie qui battait dehors, un léger bruit de pas. Ton ouïe surnaturelle te permettais de te rendre compte qu’il s’agissait d’une personne particulièrement discrète, un professionnel. Tu vérifias dans ta poche afin de vérifier que la clé de ton sanctuaire, là où ton cercueil était en sécurité, était toujours dans ta poche, puis avec une rapidité et une discrétion qui avait quelque chose de terrifiant, tu te ruas vers la porte. Tu allais cueillir cet imprudent avec la délicatesse qu’il méritait.
Tu arrivas par le fond de la nef, par le chœur et jetas un œil à la cathédrale silencieuse. Dans les nuits de cérémonie, des spectres chantaient des mélodies harmonieuses, et pourtant étrangement dissonantes. Aujourd’hui, les murs étaient muets, et les gargouilles étaient aveugles, car la magie impie protectrice des lieux était endormie. Tu devrais se battre seul.
Un léger frisson parcourut ton échine et tu ressentis des petits picotements dans les doigts.
L’adrénaline qui montait en toi fut soudainement vive. Il arrivait, tu le sentais. Et il y allait avoir un mort. Serait-ce toi, ou lui ? Dans les deux cas, Norgorber serait satisfait. De ton vivant, tu n’aurais pas aimé cette excitation morbide, mais cela faisait maintenant longtemps que tu vivais ton existence de vampire, et ces longues années de réclusion, de solitude ponctuée par des missions envoyées par les mystérieuses sentinelles du Dieu du Meurtre t’avaient appris à apprécier cette possibilité de la mort. Cela apportait du piquant dans ta vie un peu trop calme. Plus le danger était grand, plus l’excitation était importante. Et cette nuit, tu n’avais aucune idée de la force de la créature qui s’avançait dans la nef, prudemment. Serait-ce lui, ou toi, qui allait y passer ? Avec un sourire, tu t’avança en longeant les murs, tel une ombre parmi les ténèbres, un souffle dans le vent, une goutte parmi la tempête.
Il s’agissait d’un humanoïde, de grande taille et de forte stature. Malgré l’absence de lumière il semblait émaner une légère lueur brillante de lui, comme s’il portait en lui un soleil qui le réconfortait dans cette ambiance morose. Il était revêtu d’une armure d’acier chatoyant, dont les dorures dessinaient des symboles sacrés que tu pensais pouvoir déchiffrer. Il était armé d’une lance qu’il maniait d’une main, tandis qu’un bouclier brandit haut était attaché à son autre bras. Il observait les lieux avec une méfiance et une certaine appréhension. Ses cheveux étaient blonds et lui tombaient sur les épaules. Tu étais suffisamment près maintenant que pour voir ses yeux. Ils étaient lumineux, et tu compris qu’il s’agissait d’un héritier des plans, un néphilem. Il devait venir d’un plan céleste et être béni par les anges ou autres créatures similaires.
Tu t’approchas davantage, si près que tu pouvais entendre sa respiration, en restant dans son angle mort avec une facilité déconcertante malgré ses tentatives de balayages du regard des lieux. Finalement, quand l’attente fut suffisamment longue pour que le plaisir et le suspense ne commencent à disparaître, dans le silence le plus total, tu bondis sur lui. Le guerrier doré dût malgré tout sentir quelque chose, parce la milliseconde qui suivit, ce ne fut pas sa gorge que tu mordais, mais l’épaule de son armure. D’un rapide mouvement il avait dévié ton attaque et il ripostait déjà en te repoussant de son grand bouclier.
Tu esquivas avec l’agilité d’un félin, mais son mouvement n’était qu’une diversion pour cacher, derrière son bouclier, le mouvement de sa lance qui t’écorcha le flanc. Tu profitas de son mouvement pour te rapprocher de lui et lui griffer le visage, projetant de nombreuses gouttes sur les bancs de prière juste derrière lui. S’ensuivirent encore quelques passes, ripostes et parades dans un combat violent et d’une vivacité hors du commun. Le paladin commençait à reprendre le dessus, et tu sentais que la tournure des évènements ne promettait rien de bon pour toi. Alors que tu étais légèrement distrait par ton flux de pensée, à chercher un moyen de terrasser ton adversaire, tu sentis soudainement une douleur au ventre. La lance de ton adversaire venait de perforer ton abdomen, et un tache de sang commençait à venir mouiller ta robe déjà bien sombre. Tu en avais assez vu. Tu posas tes mains sur l’arme encore dans ton thorax, et l’utilisa comme conduit pour l’atteindre avec ta magie. Il commença à être pris de convulsions et une plainte d’agonie sortit de sa bouche. Ses yeux et ses oreilles se mirent à saigner, et il tenta de reprendre sa lance, mais tu la retenais de toutes tes forces.
« Qui, t’as amené ici ? Réponds! »
Il lâcha sa lance, et après avoir repris rapidement ses esprits, il sortit une dague de sa ceinture et frappa dans ta direction. Tu esquivas, et appliqua tes mains sur sa jambe en t’abaissant. Sa jambe se plia en deux. Mais dans le mauvais sens. Il hurla de douleur, et tomba au sol.
« Qui ?! »
Tu sentais que malgré ta voix impérieuse, altérée par des enchantements et tes pouvoirs de vampire, il ne céderait pas. Il devait avoir fait un vœu de silence ou être lié magiquement à un sceau qui l’empêcherait de parler.
Tu le laissas se tortiller de douleur, et les sons des os qui craquaient t’apportèrent une certaine satisfaction. Quelques secondes plus tard, le silence était revenu. Tu lanças alors l’incantation. Une lueur verte vint rallumer les yeux du néphilem. Il ne voulait pas parler de son vivant, il parlerait dans sa mort. Sa bouche s’ouvrit, et il te chuchota tout ce que tu désirais savoir…
Quelques minutes plus tard, Xeltarn, ton acolyte personnel, arriva en courant :
« Maître Boldur, je dois vous prévenir … »
« Je sais ! Prépare mon cheval, on se rend à Sterpyon »
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