Ecremard

L'écremard possède dix pattes, et un exosquelette formant une carapace allongée et tubulaire de couleur vive, divisant son corps entre tête, thorax et abdomen. Ses trois paires de pattes les plus antérieures portent des pinces, mais seules les premières sont réellement développées et massives, dans des proportions très proches de celles d'un homard, un cousin au teint plus terne. Son rostre, une extension de la carapace au devant de la tête, a la forme d'un nasal de casque et protège les parties plus sensibles de son "visage", yeux et bouches, dans les combats des écremards les uns contre les autres. Il possède une paire d'antennes extrêmement longues, bien plus que son corps lorsqu'elles sont entièrement déployées, mais qui s'enroulent comme une trompe, et une paire d'antennules plus petites, sur les côtés de sa bouche, qui lui servent essentiellement de nez. Son orifice d'éjection des détritus se situe sur l'avant de la tête. Sa couleur, naturellement vive (verte, bleue ou rouge), vire au violet ou au pourpre lorsque la température augmente au-delà de 100°C.

La différence des sexes se voit très bien par la taille des pattes arrières, plus épaisses chez les femelles. Un œil plus exercé peut également s'attarder aux cicatrices et marques sur les pinces, qui sont beaucoup plus répandues chez les mâles. Contrairement aux homards, les écremards sont ambidextres.   La chaleur provoque un changement de pigmentation chez les écremards, qui tournent au pourpre ou au violet. Ils ne semblent pas tellement en souffrir, et peuvent même apprécier de se prélasser dans une eau bouillante.

Les écremards deviennent fertiles à l'âge de cinq ans, en atteignant leur maturité. Lorsque la femelle mue, elle produit une phéromone qui est un puissant aphrodisiaque pour les autres écremards et calme leur agressivité. Elle fait alors la visite de plusieurs terriers appartenant aux mâles ayant fait les plus beaux discours (autrement dit, ceux qui ont uriné le plus fort et de la manière la plus odorante), et lorsqu'elle en a trouvé un dont la taille et la disposition lui conviennent, elle s'y installe et accorde à l'heureux élu le droit de pratiquer des gestes de nature fécondante (ils font l'amour, quoi). Le mâle se charge de chasser pour deux jusqu'à ce que la carapace de la femelle ait bien repoussé, puis elle sort de l'eau et se met à la recherche d'une roche bien humide et verticale, voire même tête en bas, pour y déposer ses œufs, qui éclosent rapidement. Elle peut ensuite muer de nouveau. Au total, les œufs restent quatre à six mois accrochés à la carapace de la femelle alors qu'elle repousse progressivement.

Les jeunes écremards qui sortent des œufs ne ressemblent pas du tout à des crustacés. Durant ce stade larvaire, les jeunes ont plutôt l'apparence d'amphibiens visqueux, comme des lézards qui auraient une peau de grenouille. Ils produisent beaucoup de chaleur et se nourrissent des restes de leurs œufs puis des autres œufs qu'ils peuvent trouver et, le cas échéant, d'autres larves d'écremards. Comme une portée peut compter plusieurs douzaines d’œufs, et que leur habitat est très limité et la nourriture rare, c'est une pratique mesure de limitation de la population, et encore parfois insuffisante.   Au bout de quelques mois, le jeune a absorbé assez de minéraux pour former sa première carapace. N'étant plus désormais une larve, il retourne dans l'eau et change son régime alimentaire (quoique le cannibalisme, lorsqu'il peut trouver un écremard plus faible que lui, reste une part non négligeable de son menu). Pendant quatre à cinq ans, il mue plus de cinq fois par an, devenant chaque fois plus grand. Après cette période, ayant atteint sa maturité, il ne mue plus que deux fois par an. Lors de ces mues, il gagne 20% de longueur et jusqu'à 50% de masse.   L'écremard, comme le homard, ne peut pas mourir de vieillesse : ses cellules ne s'usent pas en se divisant et il pourrait théoriquement grandir indéfiniment. L'écremard le fait d'ailleurs beaucoup plus que le homard. Il attrape toutefois lorsqu'il devient trop grand des maladies de sédentaire ou des parasites, ce qui fait qu'il ne devient que rarement un mastodonte de plusieurs mètres de long.

Le complexe de grottes qui abrite les écremards, au sud de Pointesable sur la Côte Oubliée, est un environnement à moitié immergé, sombre, et rendu très chaud par la présence des larves. De nombreux boyaux de sortie existent, mais ils sont étroits et les écremards sont rapidement bloqués à l'intérieur.   Les écremards fouissent la vase pour creuser des terriers. Tandis que les jeunes spécimens se contentent d'espaces étroits, avec une seul chambre et deux sorties, les plus âgés préfèrent des domaines plus vastes, avec plus de marge par rapport à leur propre taille, et plusieurs sorties ; certains, ayant déjà attiré une femelle, ajoutent d'autres chambres dans l'espoir de se constituer un harem. Généralement, la sortie principale est un boyau horizontal ou en pente douce, assez large, où l'écremard se poste pour prendre l'air (hum, l'eau) plutôt que de rester enfermé et d'où il surveille son environnement, tandis que la sortie de secours et un boyau vertical plus étroit. Si étroit, en fait, que certains spécimens, qui n'avaient pas vérifié qu'il était praticable depuis trop longtemps, se sont retrouvés coincés dedans.

Les écremards chassent les poissons, les coquillages et les crustacés, mais sont essentiellement des cannibales. Ils se battent à l'aide de leurs deux grosses pinces et essayent de s'arracher les yeux, heureusement bien protégés. En effet, c'est une glande près des yeux qui régule la mue, et les arracher a l'effet très spectaculaire de provoquer la perte de la carapace, qui se détache du reste du corps. La chasse se fait habituellement lorsque la marée monte et que le courant amène des petites créatures marines dans les grottes, la marée descendante voyant l'activité de terrassier prendre le dessus.

Les écremards se détestent généralement les uns les autres et sont prompts à se jeter les uns sur les autres, même lorsqu'ils n'ont pas faim, pour un oui ou pour un non. Les mues des femelles ont cependant un effet calmant radical, et la densité de leur population s'explique sans doute par l'alternance des mues des unes et des autres tout au long de l'année, qui fait qu'il y en a toujours une dans le secteur en train d'embaumer l'eau de ses phéromones. Bien que les écremards se battent parfois pour courtiser une femelle, une fois qu'elle est installée dans un terrier, ils rechignent à s'agresser, surtout si la dame peut en avoir vent.   Les femelles écremards ne sont d'ailleurs pas nécessairement fidèles d'une mue à l'autre. S'il est courant qu'elles retrouvent le même terrier, ce n'est qu'à condition qu'il soit bien entretenu et qu'aucun meilleur ne lui soit proposé. Elles sont rancunières et tendant à ne pas revenir dans un terrier où elles ont été mal nourries ou où il y a eu des combats en leur présence. Les non-résidents ayant pris part au combat subissent le même opprobre.

L'écremard entre dans plusieurs recettes de la Myxine, mais généralement mort. Jargie Quinn n'a plus la forme pour aller lui-même entrer dans les boyau, mais il a développé des cageots qui permettent de capturer des spécimens de taille assez réduite pour passer dans un sens ou dans l'autre ; il sélectionne particulièrement les larves, qui, bien qu'agressives et dangereuses lorsqu'elles se mettent à cracher du feu, se calment lorsqu'elles sont bien nourries et se laisse amadouer. Il les fait ensuite grandir dans un bassin dont il cache soigneusement la localisation et entretient ainsi un petit élevage. Il a des difficultés à les faire se reproduire (il n'attrape que des mâles, et ils passent leur temps à se battre entre eux lorsqu'ils ne sont pas correctement séparés), mais rien ne l'empêche de continuer sa petite pêche. Le temps nécessaire à la maturation des écremards ne l'a pas fait renoncer, et il paraît qu'il en garde un en particulier qu'il n'a pas l'occasion de tuer à aucun moment et qu'il choye particulièrement, qui atteindrait plus de dix mètres.

La vision de l'écremard n'est pas son sens le plus développé : même si elle est très performante pour voir les mouvements et qu'il distingue les couleurs, il voit flou. En revanche, son sens des vibrations et du toucher est très développé, grâce à ses antennes ainsi qu'à une multitude de poils sur ses pinces et ses pattes. Ce n'est encore rien comparé à son odorat, de très loin le meilleur de ses sens. Essentiellement dépendant de ses antennules, son odorat lui permet ainsi de repérer son environnement, ses proies, de distinguer les différents individus d'une population, mais aussi de communiquer, la pisse étant le principal vecteur social. L'écremard détecte également les maladies, et souvent avant l'apparition des premiers symptômes. Il n'est pas bien sûr qu'il soit bien sensible aux changements de température, malgré son sens du toucher développé, et son sens de la douleur est également inhibé.