Rumeurs

’ai noté ici tout ce que j’ai pu entendre. Ce qu’on m’a raconté, ce que j’ai surpris, ce qui traînait dans un coin de taverne.

Des mots, des bouts d’histoires… vrais ou pas, je sais pas. Mais je les garde.


"Tu veux mon conseil, gamin ? Évite les clairières au cœur de la Forêt des Murmures. J’te jure que j’suis pas fou. L’autre nuit, j’ai campé près d’un vieux chêne noueux… y’avait pas un souffle d’air, pas un hibou.
Mais j’ai entendu des voix. Pas des cris, pas des plaintes… des murmures. Comme si des souvenirs flottaient dans le vent, tu vois ? Et ce qui m’a glacé le sang, c’est quand l’un d’eux a dit mon nom.
Mon vrai nom. Celui que j’ai jamais dit à personne ici."
— Vieil homme
On dit qu’une salle entière des Grandes Archives de Garchezdîn aurait été condamnée il y a plusieurs décennies, sans qu’aucun registre n’en conserve la trace.
Ceux qui s’en approchent parlent d’un silence trop lourd pour être naturel, d’une sensation d’observation entre les rayonnages…
Une phrase revient souvent, griffonnée dans les marges de vieux livres ou sur des bouts de parchemin laissés là :

« Ce qui n’a jamais été dit ne dort pas. »

Certains pensent qu’un ancien esprit du savoir y a élu demeure. D'autres affirment qu'il ne s'est jamais vraiment endormi.
— Érudit de Garchezdîn
« Tous les anciens te le diront : entre les parcelles du vieux Tarmor, à l’est de Cérathéa, y’a un sillon qu’il faut pas toucher. Même si la terre est bonne, noire, grasse… on le replante pas. C’est le Sillon du Veuf.

On dit qu’il y a longtemps, un homme y a enterré sa femme, morte en couches, faute de guérisseuse. Depuis, la terre repousse tout ce qu’on y met. Les semis pourrissent en une nuit. Et si tu insistes… les bêtes refusent d’y passer, les outils cassent, et parfois, tu rêves d’une femme en larmes, pieds nus dans la boue.

Certains jeunes essaient chaque année de braver la rumeur, par défi ou par ignorance. Mais tous reviennent bredouilles. Une année, y’en a même un qui s’est réveillé avec les mains noires, couvertes de terre jusqu’aux coudes, sans savoir pourquoi. »

"Et crois-moi si tu veux, mais chaque fois qu’on le laisse tranquille, ce sillon trace tout seul, comme une ride dans le champ. On dirait qu’il attend."
— Mila, agricultrice de Cérathéa
« Ne vole jamais une pomme au marché, petite… ou bien les Vieilles Racines viendront chercher ta main pendant ton sommeil. Elles poussent sous les étals, vois-tu… Elles sentent le mensonge comme d’autres sentent la pluie. »
— Une mamie à sa petite fille, entendue au marché
Dans la vallée de Mycelthar, tout le monde connaît la Cloche fendue de Lirval. Elle est accrochée dans une vieille chapelle à moitié rongée par les mousses, plus personne n’y prie depuis des générations. Pourtant, certains jurent l’avoir entendue sonner la nuit.

On raconte qu’autrefois, un forgeron a fondu cette cloche en secret, y mêlant des éclats d’os et de minerai interdit. Il voulait qu’elle annonce les naissances et les moissons, mais au premier carillon, trois bêtes de labour sont tombées raides mortes dans les champs. Alors on a suspendu la cloche et scellé la chapelle.

Depuis, elle sonne sans corde, toujours dans les nuits brumeuses. Parfois une seule fois, parfois trois… Jamais plus. Les anciens disent que chaque tintement marque une disparition à venir.

J’ai connu un garçon de la vallée qui jurait qu’il monterait la décrocher. Le lendemain, ses parents ont retrouvé sa maison vide. La porte fermée de l’intérieur. Et au milieu de la pièce, une empreinte noire, ronde, comme le socle d’une cloche.
— Harlon, bûcheron de Mycelthar
De mon père à moi-même:

Tu sais, enfant… la Nuit des Mille Lueurs n’a pas toujours été si tranquille. Oh, ne fais pas ces yeux-là, ce n’était pas dangereux… juste… différent.

J’avais ton âge, peut-être un peu moins, et je me rappelle d’une nuit où les lueurs… comment dire… répondaient.

Pas avec des mots, non. Elles tremblaient. Elles bougeaient un tout petit peu, juste assez pour qu’on comprenne qu’elles reconnaissaient le souvenir qu’on leur avait confié.

Je revois encore la lanterne de ta grand-mère, une lueur jaune… elle a vacillé quand elle l’a accrochée. À l’époque, les anciens disaient que c’était bon signe : une mémoire qui accepte d’être partagée.

On ne voit plus ça, maintenant. Peut-être parce que les gens écrivent moins au dos de leurs lanternes… ou peut-être parce que les souvenirs ne sont plus faits de la même étoffe.

Mais parfois, quand la Nuit des Mille Lueurs approche… je garde ma lanterne un peu plus longtemps dans les mains. Juste au cas où elle aurait encore quelque chose à me dire.
— Guerarht à la jeune moi


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