Rencontre avec le clan Nehorai
Nous avons croisé les premiers éréfins le long de la côte du Califat. Deux éclaireurs nous ont suivi, sur quelques nœuds, avant de se rapprocher et de nous interroger sur notre destination. Ils étaient tels qu’on me les avait décrits : Etrange, sauvage, gracieux dans leurs actes mais brutaux dans leurs manières…
Ce fut bien plus tard, après un naufrage malheureux au large du Despotat, que j’ai véritablement pris contact avec un clan éréfin. Et, pendant les deux mois qu’il a fallut pour qu’une mission de commerce vienne me récupérer, j’ai appris tout ce que je pouvais de ce peuple bien singulier. Voici donc le fruit de mes recherches, illustré par mes croquis d’alors.
C’est leur taille qui peut porter à confusion : Mâle et femelle dépassent rarement le mètre soixante. Ajouté à cela, leurs membres sont légèrement plus longs que ceux des humains, et leur corps s’affine avec l’âge, ce qui leur donne une allure d’enfants décharnés.
Leurs os sont creux, à l’image des oiseaux, et ils sont en conséquence bien plus léger que l’homme – pesant rarement plus de trente kilogrammes. C’est probablement grâce à ce faible poids – et aux ailes qui garnissent leur bras – que les éréfins sont capable de voler.
L’idée même est étonnante, puisque leurs ailes ne sont pas complètes, et leur envergure est inférieure à trois mètres. Pourtant, ils peuvent prendre les airs même sans se lancer des falaises qu’ils affectionnent : D’un saut, leurs ailes se déploient et ils décollent. Immédiatement, ils ouvrent leurs plumes de queue, qui les aident à naviguer et à se maintenir en l’air.
Quelque chose dans leurs larges pupilles leur permet de distinguer les courants qui s’élèvent des flots, qu’ils naviguent ensuite pour gagner en altitude sans effort. Les plus endurants prétendent être capables de voler une journée complète, et jusqu’à quatre cents miles si les vents sont favorables.
Autre surprise : Les éréfins n’ont pas de poil. Leur peau est lisse, à l’exception d’un fin duvet de plume qui leur couvre le torse, les mollets, le dos des mains ainsi que -en tout cas je le présume – l’aine. Une ligne de duvet grimpe aussi le long de l’arcade de leur nez, jusqu’à la frontière de leur front. Leur chevelure, elle, est faite de plumes souples, unies, tachetées voir irisées, qui sont portées attachée, et ne dépassent pas les 50cm.
Les premiers éréfin que j’ai croisé avaient un plumage particulièrement vibrant. J’ai appris plus tard que la présence de couleurs vives, et l’intensité de celles-ci, était le facteur de beauté principal dans les communautés éréfines, qui ne prêtent que peu d’attention aux traits du visage.
Distinguer un éréfin mâle d’une femelle peut se révéler difficile : Leurs visages sont souvent androgynes, leur voix mélodieuse mais neutre, leurs hanches sont fines, et, n’allaitant pas, les femelles n’ont quasiment pas de poitrine. S’il est vrai qu’ils ne portent que peu de vêtement, ils couvrent leurs sexes avec une pudeur quasi absolue une fois atteint l’âge adulte. Finalement, j’ai fini par me fier à la couleur des plumes, toujours plus extravagante chez les mâles.
En plus de l’étrangeté de cette reproduction ovipare, on notera qu’à l’éclosion, l’oisillon ressemble peu ou prou à un enfant humain de trois ans, gras et hyperactif, quoiqu’il soit couvert d’albumine bleue translucide, et particulièrement petit. Cet oisillon est d’ailleurs immédiatement capable de marcher, de babiller, et même, dans certains cas, de battre le duvet dur qui lui tiens d’aile.
Il ne sera pas allaité, mais les adultes alentour le tiennent sous bonne garde. Le couple parental n’est pas seul responsable : Au contraire, c’est tout le clan - parents, adultes célibataires et enfants plus âgés – qui s’est chargé de couver les œufs, et s’occupera par la suite de nourrir et d’élever les oisillons.
En moyenne, un clan éréfin produit entre quatre et douze œufs, un par couple reproducteur, qui écoreront tous à quelques jours d’intervalles pour former une cohorte qui grandira en frères et sœurs.
Un douzième des œufs ne s’ouvriront pas : Ils seront placés dans un écrin d’algues et d’herbes sèches, et, après court rituel funèbre, déposés sur les flots pour être rendu à la mer.
Un an après son éclosion, les oisillons commencent à s’élancer seuls dans les airs. A cet âge, ils ressemblent à des enfants de six ans, quoiqu’un duvet couvre leurs nez, et que de courtes plumes grises tachetées poussent de leurs crânes. Ils apprennent alors, à travers des jeux et menues corvées, à manier le harpon, le filet et le grappin, et commencent leur initiation aux rites.
Six ans après son éclosion, l’oisillon subit sa première mue d’adulte. Ses plumes infantiles tombent, le laissant d’abord nu, puis peu à peu couvert de son duvet adulte. Durant un mois, l’oisillon est incapable de voler : La privation, ajouté aux démangeaisons liées à la pousse des plumes, et à une vaine angoisse quant à la couleur de son futur plumage, le rend particulièrement caractériel.
Quand, enfin, ses plumes atteignent une taille suffisante, le jeune éréfin est considéré comme ayant atteint l’âge adulte. Une cérémonie rituelle l’incorpore formellement au sein du clan, où il devra trouver sa place.
Toutefois, si, deux ans après son intronisation, l’éréfin n’a pas trouvé son rôle, il est encouragé à chercher ailleurs : soit dans un autre clan éréfin, soit, dans de rares cas, auprès d’autres races. L’exil n’est pas formalisé : Le jeune éréfin sera peu à peu exclu de toutes les activités du clan, abandonné à chaque migration, ignoré par ses pairs, traité en tout point comme un fantôme, voir, s’il devient violent, chassé de la colonie. Ce traitement se poursuivra jusqu’au point où le paria n’aura d’autre choix que de quitter les lieux.
Les membres du clan Nehorai m’assurent qu’il est impossible pour un de leur race de survivre seul : D’une part, parce que tout éréfins est sujet, tous les deux ans, à une mue d’un mois qui l’empêche de voler et donc de se nourrir ; Et, d’autre part, parce que leur race est particulièrement sensible à la solitude.
Il faut plusieurs années de danses, de cadeaux et d’escapades aériennes pour qu’un éréfin fasse son choix : Un temps étonnamment long, vu la courte vie échue à leur espèce. On notera par ailleurs que leur union se fait à vie, et il est inconcevable qu’un veuf pense à reprendre épouse.
J’avoue ne pas pouvoir m’avancer avec certitude, n’étant jamais assuré du sexe des individus que j’observais, mais il m’a semblé que certains couples soient formés d’individus de même sexe, malgré l’incapacité de ceux-ci de produire aucun rejeton.
Pour ce qui est de leur mode reproductif, je n’ai que peu de détails, mes hôtes ayant été particulièrement choqué de mes questions sur leurs modes de copulation. Une jeune éréfine m’a bien affirmé qu’ils étaient capables de copuler en plein vol, mais le sourire narquois qu’elle arborait en faisant cette affirmation me laisse sceptique sur la véracité de la chose.
Un élément dont je suis raisonnable assuré est que la reproduction est contrôlée par les chefs de clans. Un couple n’est autorisé à couver un œuf que si les ressources le permettent, et seulement selon un étrange calendrier mêlant marées, auspices et routes de migration. En temps de disettes, de guerre ou de maladie, les chefs de clans éréfins interdisent parfois la reproduction pendant de longues périodes. Cela leur permet de préserver leurs ressources, et de garder une meilleure mobilité, les œufs et les oisillons non mués n’ayant pas à être transporté à chaque migration.
Si les éréfins vivent la moitié d’une vie humaine, cela ne les prive pas d’intelligence et de ressource. Leur mode de vie nomade les garde près des côtés, d’où ils pêchent leur sustenance, mais leur permet aussi d’explorer la quasi totalités des côtes du continent, voire même le nord et ses mystères.
La pêche ne les occupe pas longtemps : habiles tant au harpon qu’au grappin, ils suivent aisément les bancs de poissons, et en tirent l’essentiel de leur alimentation. Les crustacés, coquillages et certaines algues complètent leur diète. On notera qu’ils cuisent généralement le poisson, souvent dans un bouillon d’algues ou d’herbes aromatiques. Il leur arrive aussi de consommer du nectar de fleurs des landes, ainsi que des œufs, racines et fruits qu’ils peuvent dénicher aux alentours de leurs falaises. Leur cuisine est particulièrement salée, mais avec quelques mois pour s’y sensibiliser, elle en devient… supportable.
Le restant de leur temps est dédié à l’éducation des jeunes, à l’artisanat, aux pratiques religieuses, et à la veille nocturne. En effet, une colonie est organisée pour que deux adultes soit éveillés à tout instant, de façon à s’assurer de la sécurité de tous. Ainsi, les éréfins dorment rarement des nuits complète : Ils préfèrent alterner leurs activités par des siestes de quelques heures.
A la place, deux représentants, les Akara, sont choisi parmi le clan pour négocier avec les peuples rencontrés. Etonnamment, le seul critère de sélection considéré semble être leur beauté : C’est pourquoi le poste est généralement occupé par de jeunes mâles, ou en tout cas des individus extrêmement colorés. Ceux-ci sont aussi chargé de porter des messages, et, en cas de dispute, c’est eux qui prendront part aux duels rituels contre des clans rivaux.
Les éréfins du Sud ne sont pas un peuple particulièrement guerrier : Les duels, fût ils d’honneur entre deux membres d’un même clan, ou entre deux Akara de deux clans distincts, se font d’abord sous forme de danses intimidante, d’injures en vers voir de chants menaçant détaillant le traitement réservé au corps de l’adversaire sur des variation d’octaves assourdissantes. Seulement si la rancœur est féroce, le combat finit en combat à main nues, qui s’achève généralement lorsqu’un des guerriers parvient à arracher l’une des plumes directrices de son adversaire. Les morts sont rares, et la victime recevra tous les honneurs lors de son rite funéraire.
D’après les rumeurs au sein du clan Nehorai, tous les clans ne sont pas aussi pacifistes. Dans les contrées du Nord, les plus féroces d’entre eux survivent à la basse saison en pillant les peuples côtiers, tandis que certains éréfins exilés se joignent à des équipages pirates, et y enchainent les prouesses martiales. Les éréfins que j’ai rencontré m’ont assuré ne jamais s’adonner à de telles bassesses… Quoique je doute parfois de leur honnêteté en la matière.
Il leur arrive aussi de peindre ou de sculpter à même leur logement. Ainsi, presque indistinctes parmi les roches à vif des falaises, un initié pourra distinguer les signes sûrs du passage d’un clan éréfin, des étoiles, poissons et cétacés observés par ceux-ci, voir, dans le cas de lieux particulièrement sacrés, de véritables gravures illustrant des actes divins ou héroïques.
Mais, plus que par l’artisanat, les éréfins sont tout particulièrement remarquable pour leur adresse dans les arts. Leurs danses, tout aussi étrange qu’elles soient, sont d’une grâce stupéfiante – surtout dans le cas des parades des jeunes couples, qui explosent de couleurs et de bruissement d’ailes. Même leurs rituels religieux, bien que plus statiques, dénotent d’une grande sensibilité du mouvement, et d’une étude tout particulière des ombres et des lumières aux seins des grottes dans lesquels ils vouent culte.
C’est pourtant par leurs chants qu’ils se démarquent le plus. Leur voix est claire, vive, et couvre un champ particulièrement large : un ambitus plus que parfait, d’un soprano extrêmement haut à un riche ténor, le tout parfaitement maîtrisée. Un expert leur reprochera peut-être de se distancier des formes classiques de la musique, ou de manquer de coffre, mais j’en était tout à fait ravis.
D’autant que ces chants étaient souvent accompagnés de flutes de bois ou d’os de requin, douces et aériennes, voire de tambours en cuir de requin, créés pour l’occasion et martelés de lourde branches de bois flotté.
C’est donc aussi à travers le chant que les éréfins transmettent leurs foi. Un canon de vers, qui, disent-ils, prendrait trois semaines pour être déclamé en son entièreté, détaille notamment l’épopée de Wiha. Cet océan originel, aurait, dans sa solitude, rêvé les étoiles comme autant d’amants à séduire. Le mythe raconte que, pour chacune de ses étoiles, Wiha aurait créé une créature, une île, voir un continent, remplissant ainsi ses entrailles de vie, dédiant à chaque étoile un vent, qui, comme un chant, nait des flots et file vers l’étoile en question. Un extrait souvent cité explique ensuite que les étoiles auraient toutes rejeté les avances de la divinité océanique, jusqu’au tour de la Lune, pénultième création onirique. C’est cet astre qui, dansant avec la mer, aurait donné lieu aux marées.
Le culte éréfin laisse une place ambiguë à la divinité lunaire. C’est une force de séduction, mais aussi de destruction, car c’est sa danse qui impose le cycle de vie et de mort aux créatures terrestres. Une légende raconte d’ailleurs que, lorsqu’un jeune éréfin vola jusqu’à la Lune pour réclamer la fin des marées qui ravageaient les côtes, son peuple fut puni de son arrogance par une vie plus courte que celle de toutes les autres races conscientes.
L’ultime création de Wiha est l’étoile du matin, qu’ils nomment Yemech, le dernier né. Il a un rôle d’intriguant, perpétuellement jaloux de la Lune, et c’est lui qui chaque matin annonce la venue du Soleil et sépare les amants. Il est révéré pour ses stratagèmes, puisque son action retarde l’inévitable plongeon de la Lune dans la mer et la destruction qui suivrait.
Ce fut bien plus tard, après un naufrage malheureux au large du Despotat, que j’ai véritablement pris contact avec un clan éréfin. Et, pendant les deux mois qu’il a fallut pour qu’une mission de commerce vienne me récupérer, j’ai appris tout ce que je pouvais de ce peuple bien singulier. Voici donc le fruit de mes recherches, illustré par mes croquis d’alors.
De la physiologie éréphine
De loin, un éréfin ressemble à un humain élancé, doté de fausse manches pendantes particulièrement colorée. En s’approchant, on distingue un visage acéré, plein d’angles et de creux, et un teint qui varie du brun sombre au bronze cuivré, d’où naissent quantité de plumes colorées.C’est leur taille qui peut porter à confusion : Mâle et femelle dépassent rarement le mètre soixante. Ajouté à cela, leurs membres sont légèrement plus longs que ceux des humains, et leur corps s’affine avec l’âge, ce qui leur donne une allure d’enfants décharnés.
Leurs os sont creux, à l’image des oiseaux, et ils sont en conséquence bien plus léger que l’homme – pesant rarement plus de trente kilogrammes. C’est probablement grâce à ce faible poids – et aux ailes qui garnissent leur bras – que les éréfins sont capable de voler.
L’idée même est étonnante, puisque leurs ailes ne sont pas complètes, et leur envergure est inférieure à trois mètres. Pourtant, ils peuvent prendre les airs même sans se lancer des falaises qu’ils affectionnent : D’un saut, leurs ailes se déploient et ils décollent. Immédiatement, ils ouvrent leurs plumes de queue, qui les aident à naviguer et à se maintenir en l’air.
Quelque chose dans leurs larges pupilles leur permet de distinguer les courants qui s’élèvent des flots, qu’ils naviguent ensuite pour gagner en altitude sans effort. Les plus endurants prétendent être capables de voler une journée complète, et jusqu’à quatre cents miles si les vents sont favorables.
Autre surprise : Les éréfins n’ont pas de poil. Leur peau est lisse, à l’exception d’un fin duvet de plume qui leur couvre le torse, les mollets, le dos des mains ainsi que -en tout cas je le présume – l’aine. Une ligne de duvet grimpe aussi le long de l’arcade de leur nez, jusqu’à la frontière de leur front. Leur chevelure, elle, est faite de plumes souples, unies, tachetées voir irisées, qui sont portées attachée, et ne dépassent pas les 50cm.
Les premiers éréfin que j’ai croisé avaient un plumage particulièrement vibrant. J’ai appris plus tard que la présence de couleurs vives, et l’intensité de celles-ci, était le facteur de beauté principal dans les communautés éréfines, qui ne prêtent que peu d’attention aux traits du visage.
Distinguer un éréfin mâle d’une femelle peut se révéler difficile : Leurs visages sont souvent androgynes, leur voix mélodieuse mais neutre, leurs hanches sont fines, et, n’allaitant pas, les femelles n’ont quasiment pas de poitrine. S’il est vrai qu’ils ne portent que peu de vêtement, ils couvrent leurs sexes avec une pudeur quasi absolue une fois atteint l’âge adulte. Finalement, j’ai fini par me fier à la couleur des plumes, toujours plus extravagante chez les mâles.
De leurs œufs et de l’éclosion de ceux-ci
Un éréfin nait d’un œuf. Un œuf légèrement pointu, pour éviter qu’il ne glisse des falaises où les clans font leurs nids. La coquille de ceux que j’ai pu observer était blanc tacheté, quoique d’autre couleurs soient communes, comme le brun, le gris sombre, et, selon un éréfin particulièrement superstitieux, les marbrures nacrées. L’œuf pèse moins de trois kilogrammes, et doit être couvé pendant quatre mois pour avoir une chance d’éclore.En plus de l’étrangeté de cette reproduction ovipare, on notera qu’à l’éclosion, l’oisillon ressemble peu ou prou à un enfant humain de trois ans, gras et hyperactif, quoiqu’il soit couvert d’albumine bleue translucide, et particulièrement petit. Cet oisillon est d’ailleurs immédiatement capable de marcher, de babiller, et même, dans certains cas, de battre le duvet dur qui lui tiens d’aile.
Il ne sera pas allaité, mais les adultes alentour le tiennent sous bonne garde. Le couple parental n’est pas seul responsable : Au contraire, c’est tout le clan - parents, adultes célibataires et enfants plus âgés – qui s’est chargé de couver les œufs, et s’occupera par la suite de nourrir et d’élever les oisillons.
En moyenne, un clan éréfin produit entre quatre et douze œufs, un par couple reproducteur, qui écoreront tous à quelques jours d’intervalles pour former une cohorte qui grandira en frères et sœurs.
Un douzième des œufs ne s’ouvriront pas : Ils seront placés dans un écrin d’algues et d’herbes sèches, et, après court rituel funèbre, déposés sur les flots pour être rendu à la mer.
De leur croissance fulgurante
Les oisillons survivants sont gavés des mets les plus gras que son clan puisse lui trouver : graisse de phoque, foie de morue, ambre gris, huitres et saumon cru. Leur faim est gargantuesque, et, en six mois, ils doublent de volume, grandissant et s’affinant à une vitesse record. C’est à ce moment que l’enfant mue, et, grâce à ses plumes infantiles, est capable de planer sur de courtes distances.Un an après son éclosion, les oisillons commencent à s’élancer seuls dans les airs. A cet âge, ils ressemblent à des enfants de six ans, quoiqu’un duvet couvre leurs nez, et que de courtes plumes grises tachetées poussent de leurs crânes. Ils apprennent alors, à travers des jeux et menues corvées, à manier le harpon, le filet et le grappin, et commencent leur initiation aux rites.
Six ans après son éclosion, l’oisillon subit sa première mue d’adulte. Ses plumes infantiles tombent, le laissant d’abord nu, puis peu à peu couvert de son duvet adulte. Durant un mois, l’oisillon est incapable de voler : La privation, ajouté aux démangeaisons liées à la pousse des plumes, et à une vaine angoisse quant à la couleur de son futur plumage, le rend particulièrement caractériel.
Quand, enfin, ses plumes atteignent une taille suffisante, le jeune éréfin est considéré comme ayant atteint l’âge adulte. Une cérémonie rituelle l’incorpore formellement au sein du clan, où il devra trouver sa place.
Toutefois, si, deux ans après son intronisation, l’éréfin n’a pas trouvé son rôle, il est encouragé à chercher ailleurs : soit dans un autre clan éréfin, soit, dans de rares cas, auprès d’autres races. L’exil n’est pas formalisé : Le jeune éréfin sera peu à peu exclu de toutes les activités du clan, abandonné à chaque migration, ignoré par ses pairs, traité en tout point comme un fantôme, voir, s’il devient violent, chassé de la colonie. Ce traitement se poursuivra jusqu’au point où le paria n’aura d’autre choix que de quitter les lieux.
Les membres du clan Nehorai m’assurent qu’il est impossible pour un de leur race de survivre seul : D’une part, parce que tout éréfins est sujet, tous les deux ans, à une mue d’un mois qui l’empêche de voler et donc de se nourrir ; Et, d’autre part, parce que leur race est particulièrement sensible à la solitude.
De leurs étranges jeux de séduction
Ainsi, une fois reconnu comme adulte, et s’il est toujours partie d’un clan, un jeune éréfin obtient le droit de participer aux danses nocturnes. Ainsi, les soirs où la lune est pleine, les jeunes se retrouvent sur les falaises pour danser sur les courants ascendants des fortes marées. C’est l’occasion pour eux d’afficher leur plumage, leur grâce, leur adresse, et de trouver un partenaire. Ces danses sont l’un des rares actes sociaux que les éréfins peuvent partager avec les membres d’un autre clan, sûrement de façon à éviter une consanguinité trop forte.Il faut plusieurs années de danses, de cadeaux et d’escapades aériennes pour qu’un éréfin fasse son choix : Un temps étonnamment long, vu la courte vie échue à leur espèce. On notera par ailleurs que leur union se fait à vie, et il est inconcevable qu’un veuf pense à reprendre épouse.
J’avoue ne pas pouvoir m’avancer avec certitude, n’étant jamais assuré du sexe des individus que j’observais, mais il m’a semblé que certains couples soient formés d’individus de même sexe, malgré l’incapacité de ceux-ci de produire aucun rejeton.
Pour ce qui est de leur mode reproductif, je n’ai que peu de détails, mes hôtes ayant été particulièrement choqué de mes questions sur leurs modes de copulation. Une jeune éréfine m’a bien affirmé qu’ils étaient capables de copuler en plein vol, mais le sourire narquois qu’elle arborait en faisant cette affirmation me laisse sceptique sur la véracité de la chose.
Un élément dont je suis raisonnable assuré est que la reproduction est contrôlée par les chefs de clans. Un couple n’est autorisé à couver un œuf que si les ressources le permettent, et seulement selon un étrange calendrier mêlant marées, auspices et routes de migration. En temps de disettes, de guerre ou de maladie, les chefs de clans éréfins interdisent parfois la reproduction pendant de longues périodes. Cela leur permet de préserver leurs ressources, et de garder une meilleure mobilité, les œufs et les oisillons non mués n’ayant pas à être transporté à chaque migration.
De leurs courtes vies perchées sur les falaises
Un éréfin ne vit pas longtemps. Les femelles les plus âgées atteignent parfois l’âge de soixante ans, heure à laquelle elles sont flétries, filiformes, ternes et incapable de pondre, tandis que les mâles dépassent rarement les cinquante années. Une fois trop âgé pour contribuer à la vie du clan, un éréfin préfèrera généralement se perdre dans les flots, plutôt que faire face à son inutilité. Plus cruel encore, les éréfins que j’ai fréquenté admettent sans honte que c’est le clan qui les abandonnera s’ils sont incapables de suivre la migration.Si les éréfins vivent la moitié d’une vie humaine, cela ne les prive pas d’intelligence et de ressource. Leur mode de vie nomade les garde près des côtés, d’où ils pêchent leur sustenance, mais leur permet aussi d’explorer la quasi totalités des côtes du continent, voire même le nord et ses mystères.
La pêche ne les occupe pas longtemps : habiles tant au harpon qu’au grappin, ils suivent aisément les bancs de poissons, et en tirent l’essentiel de leur alimentation. Les crustacés, coquillages et certaines algues complètent leur diète. On notera qu’ils cuisent généralement le poisson, souvent dans un bouillon d’algues ou d’herbes aromatiques. Il leur arrive aussi de consommer du nectar de fleurs des landes, ainsi que des œufs, racines et fruits qu’ils peuvent dénicher aux alentours de leurs falaises. Leur cuisine est particulièrement salée, mais avec quelques mois pour s’y sensibiliser, elle en devient… supportable.
Le restant de leur temps est dédié à l’éducation des jeunes, à l’artisanat, aux pratiques religieuses, et à la veille nocturne. En effet, une colonie est organisée pour que deux adultes soit éveillés à tout instant, de façon à s’assurer de la sécurité de tous. Ainsi, les éréfins dorment rarement des nuits complète : Ils préfèrent alterner leurs activités par des siestes de quelques heures.
De leurs communautés morcelées
La Kenehasi s’assure que la colonie soit gardée en tout circonstance. C’est aussi elle qui décide du départ ou de l’arrêt de la colonie, elle qui repère les sources de nourriture, et elle qui autorise ou non les œufs de ses congénères. Le poste ne semble pas réservé aux femelles, mais nécessite impérativement un éréfin d’expérience, avec suffisamment d’acumen pour prendre les décisions critique à son clan. Ce n’est pourtant pas la Kenehasi qui se préoccupe de diplomatie, et c’est fort heureux car les deux que j’ai pu rencontrer n’ont que du mépris pour les étrangers.A la place, deux représentants, les Akara, sont choisi parmi le clan pour négocier avec les peuples rencontrés. Etonnamment, le seul critère de sélection considéré semble être leur beauté : C’est pourquoi le poste est généralement occupé par de jeunes mâles, ou en tout cas des individus extrêmement colorés. Ceux-ci sont aussi chargé de porter des messages, et, en cas de dispute, c’est eux qui prendront part aux duels rituels contre des clans rivaux.
Les éréfins du Sud ne sont pas un peuple particulièrement guerrier : Les duels, fût ils d’honneur entre deux membres d’un même clan, ou entre deux Akara de deux clans distincts, se font d’abord sous forme de danses intimidante, d’injures en vers voir de chants menaçant détaillant le traitement réservé au corps de l’adversaire sur des variation d’octaves assourdissantes. Seulement si la rancœur est féroce, le combat finit en combat à main nues, qui s’achève généralement lorsqu’un des guerriers parvient à arracher l’une des plumes directrices de son adversaire. Les morts sont rares, et la victime recevra tous les honneurs lors de son rite funéraire.
D’après les rumeurs au sein du clan Nehorai, tous les clans ne sont pas aussi pacifistes. Dans les contrées du Nord, les plus féroces d’entre eux survivent à la basse saison en pillant les peuples côtiers, tandis que certains éréfins exilés se joignent à des équipages pirates, et y enchainent les prouesses martiales. Les éréfins que j’ai rencontré m’ont assuré ne jamais s’adonner à de telles bassesses… Quoique je doute parfois de leur honnêteté en la matière.
De leur adresse remarquable
Si les éréfins n’ont ni métier à tisser, ni four à poterie, j’ai pu observer un grand nombre de leurs créations. Ce sont généralement des objets légers, de petite taille : Des tissus de fibres végétales, grossièrement tissés mais décorés de plume et portés ceint à la taille ; des colliers et bracelets de perles, corail ou coquillages ; des poudres pigmentées, dont ils se peignent le visage lors des danses ; des sculptures de bois ou d’argile, idoles religieuses ou jouets pour enfants… Leurs longs doigts fins sont particulièrement habiles à l’aiguille : En plus de leurs fameux filets de pêche, ils peuvent créer des étoffes à partir d’écaille de poissons ou de tortue, séchée au soleil puis adoucie à l’aide de sable et de pierres polies. Le tissu ne survit pas longtemps à leur mode de vie, mais reste chatoyant pendant plusieurs semaines.Il leur arrive aussi de peindre ou de sculpter à même leur logement. Ainsi, presque indistinctes parmi les roches à vif des falaises, un initié pourra distinguer les signes sûrs du passage d’un clan éréfin, des étoiles, poissons et cétacés observés par ceux-ci, voir, dans le cas de lieux particulièrement sacrés, de véritables gravures illustrant des actes divins ou héroïques.
Mais, plus que par l’artisanat, les éréfins sont tout particulièrement remarquable pour leur adresse dans les arts. Leurs danses, tout aussi étrange qu’elles soient, sont d’une grâce stupéfiante – surtout dans le cas des parades des jeunes couples, qui explosent de couleurs et de bruissement d’ailes. Même leurs rituels religieux, bien que plus statiques, dénotent d’une grande sensibilité du mouvement, et d’une étude tout particulière des ombres et des lumières aux seins des grottes dans lesquels ils vouent culte.
C’est pourtant par leurs chants qu’ils se démarquent le plus. Leur voix est claire, vive, et couvre un champ particulièrement large : un ambitus plus que parfait, d’un soprano extrêmement haut à un riche ténor, le tout parfaitement maîtrisée. Un expert leur reprochera peut-être de se distancier des formes classiques de la musique, ou de manquer de coffre, mais j’en était tout à fait ravis.
D’autant que ces chants étaient souvent accompagnés de flutes de bois ou d’os de requin, douces et aériennes, voire de tambours en cuir de requin, créés pour l’occasion et martelés de lourde branches de bois flotté.
De leurs panthéons stellaires
Le chant est un vecteur de transmission central au sein des éréfin : N’ayant ni cartes, ni livre, c’est à travers leurs chants qu’ils transmettent à leurs descendants les voies maritimes, les vents, et les constellations à suivre pour traverser les mers. En conséquence, un éréfins a une très bonne mémoire pour paroles et mélodies ; Il n’est d’ailleurs pas rare de les voir chanter des chants humains, glanés auprès d’invités où lors de rencontres commerciales.C’est donc aussi à travers le chant que les éréfins transmettent leurs foi. Un canon de vers, qui, disent-ils, prendrait trois semaines pour être déclamé en son entièreté, détaille notamment l’épopée de Wiha. Cet océan originel, aurait, dans sa solitude, rêvé les étoiles comme autant d’amants à séduire. Le mythe raconte que, pour chacune de ses étoiles, Wiha aurait créé une créature, une île, voir un continent, remplissant ainsi ses entrailles de vie, dédiant à chaque étoile un vent, qui, comme un chant, nait des flots et file vers l’étoile en question. Un extrait souvent cité explique ensuite que les étoiles auraient toutes rejeté les avances de la divinité océanique, jusqu’au tour de la Lune, pénultième création onirique. C’est cet astre qui, dansant avec la mer, aurait donné lieu aux marées.
Le culte éréfin laisse une place ambiguë à la divinité lunaire. C’est une force de séduction, mais aussi de destruction, car c’est sa danse qui impose le cycle de vie et de mort aux créatures terrestres. Une légende raconte d’ailleurs que, lorsqu’un jeune éréfin vola jusqu’à la Lune pour réclamer la fin des marées qui ravageaient les côtes, son peuple fut puni de son arrogance par une vie plus courte que celle de toutes les autres races conscientes.
L’ultime création de Wiha est l’étoile du matin, qu’ils nomment Yemech, le dernier né. Il a un rôle d’intriguant, perpétuellement jaloux de la Lune, et c’est lui qui chaque matin annonce la venue du Soleil et sépare les amants. Il est révéré pour ses stratagèmes, puisque son action retarde l’inévitable plongeon de la Lune dans la mer et la destruction qui suivrait.
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