General Summary
Le 26/07/817
Suivent quelques croquis hâtifs, notamment une cloche en bois lestée de métal, partiellement plongée sous la surface de l’eau. À l’intérieur, dans la partie basse, une sorte de corniche parcourt la circonférence de la cloche, sur laquelle sont posées quelques assiettes, préservées de l’eau par l’air emprisonné. Plusieurs sirènes peuvent rentrer dans la cloche pour accéder au contenu des assiettes. À côté, un mot : « Réalisable ? ». D’autres notes hâtives : comment savoir ce qui est toxique pour elles ? Comment réaliser l’échange ?
Sava est parti battre la campagne. Si tu as, Grimald, le même goût pour les choses de lettres que feu mon Maître, tu auras probablement repéré la métonymie : en fait, Sava est parti battre les habitants de la campagne. Officiellement, restaurer l’ordre, c’est-à-dire, dans le jargon de la Sérénissime, distribuer les tartes avec la même libéralité qu’un mécène des arts pâtissiers. Le tout avec un sens de la justice très … idiosyncratique… pour un redresseur de torts… (D’aucuns, sûrement, me trouveraient généreux en encre, d’écrire le mot en toute lettres, sans en abréger le -syncratique.)
Je ne peux pas dire que son absence m’attriste, vraiment. Depuis les événements du Temple, il y a entre moi et Sava une de ces passionnelles amours qui ne se peuvent pleinement épanouir que dans la distance.
Les activités de reconstruction vont bon train. J’ai aidé, comme tout le monde ici. Mais j’ai quand même pu trouver le temps de regarder alentours, notamment en quête de plantes commestibles. La région produit du blé, l’un qu’Abrahamanam avait appelé blé « sorrain » (je ne suis pas certain de l’orthographe – en fait, je ne suis même pas certain que ça s’écrive), l’autre plus semblable à celui que nous connaissons en Sérénissime. Il y a aussi de l’amarante et on m’a parlé d’un fruit jaune, vaguement phallique, qui pousse en grandes grappes et serait véritablement succulent. Il me tarde d’y goûter.
La dernière récolte venait d’être faite lorsque nous avons pris la ville de Nouvelle-Gubio. Pardon, le comptoir d’Ondanera. Il n’était pas question que la ville conservât son nom après la prise. Ondanera se veut hommage au lac avoisinant et à ses eaux couleur de nuit. Feu le baron-podestat peut se réjouir : sa sépulture entière aura donné son nom à la ville qu’il nous a léguée. (Moi aussi, je peux inventer des testaments, hein…) Bref, une partie de la récolte a été perdue lors de la transition de régime, et si on ne trouve pas de quoi nous sustenter d’ici huit mois, ce sont nos estomacs qui vont subir une transition de régime.
La chasse pourrait être une option, mais on m’a dit que la forêt au nord-ouest était assez dangereuse pour que les tentatives aient échoué. Non pas que les chasseurs de Sérénissime soient particulièrement doué, si tu veux mon avis de Cauh’Pan… Quoi qu’il en soit, ça me donne envie d’aller voir ce qui y pousse et rampe.
Il y a eu des élections ici. Nerguï s’est présenté au Baron (et depuis, je trouve que leur relation s’est tendue, c’est à croire que le baron cherche à éviter tout ce qui lui rappelle ses responsabilités, et ce pauvre Nerguï en fait désormais partie).
À mon grand étonnement, Nerguï m’a demandé de l’aide. Je n’en avais aucune de pécunière à lui fournir, mais j’ai accepté de lui donner autant d’information que je pouvais en glâner, à condition qu’il intercède en faveur d’une solution diplomatique et pacifique avec le Ranisat des profondeurs, s’il est élu. Ce qu’il a accepté, à mon soulagement.
C’est surprenant ce que les gens peuvent parler lorsqu’on leur offre des baies. Pendant le labeur de la reconstruction, les musclent se tendent, mais les langues se détendent. J’ai aperçu le Tiefeling de l’autre jour, aussi. Je suis content qu’il ait survécu aux événements tumultueux de ces derniers temps. Je l’aime bien, en dépit de ce que nous ayons tenté de nous tuer l’un l’autre.
J’ai pu abreuver Nerguï d’informations utiles. Utiles pour lui, et pour la communauté : il importe que ceux qui tiennent les rênes du destin commun soient au courant des problèmes rencontrés par leur peuple. Nerguï a pu aussi recevoir une aide pécunière de la part de Roderich (j’ignorais qu’il fût si riche !) et de Saaja, en échange, pour cette dernière, d’une place au Conseil en cas d’élections. Et Ménéo Piccione, a intercédé en faveur de Nerguï auprès de ses hommes, en échange de la promesse d’être – littéralement – arrosé. Il veut qu’on crée une brasserie. Et pouvoir boire à l’œil. Amusant, de voir que même ici où chacun n’avait qu’une pièce à verser au scrutin, une élection reste affaire de liquidités.
Nerguï a été élu, à notre grande joie, et je ne peux pas croire ce qu’il a fait ensuite. Il a proposé de nommer au Conseil Sava, comme magistrat (je suppose que Nerguï ne partage pas mes doutes quant a sa probité), Roderich comme Procurateur (excellent choix, le docte homme fera merveille), Ménéo comme ambassadeur (sans doute pour son sens de la convivialité), Saaja comme Maîtresse des Guildes (évidemment) et… moi comme Consiliator ! Mais je n’avais rien demandé ! Il surestime mes talents, sûrement, et l’architecte sous écrous aurait sûrement fait meilleur ouvrage que je ne pourrais, si l’on était certain de pouvoir s’y fier. Nerguï sait-il que la dernière fois que j’ai été mêlé à de la politique, j’ai fini condamné à mort, avant que ta providentielle intercession ne commue ma peine à l’exil en Terres de feu ?
Bref, les propositions de Nerguï n’ont pas toutes été entendues. Meneo a décliné le poste d’ambassadeur, mais accepté, bon gré mal gré (surtout mal gré) celui de Proveditiore, et Matéo Oliveira, l’adversaire de Nerguï pendant la campagne, est devenu Maître des Guildes. Pas étonnant que l’intriguant ait réussi à se frayer un chemin jusqu’au Conseil, avec son influence. Il était dans l’ancien conseil de Nouvelle-Gubio, et un des premiers à sentir le vent tourner lorsqu’il nous a amené les aéronefs… Et au moment de la prise, je me souviens que le Podestat de Trotolla lui avait fait de si chaleureuses et ostentatoires accolades qu’on eût dit qu’il voulait annoncer devant les bons citoyens de Sérénissime qu’il comptait faire d’Oliveira le sigisbée de sa docile épouse. Et par docile épouse, j’entends le Conseil d’Ondanera, bien sûr.
Oliveira s’est bien vanté, pendant la campagne, de sa connaissance des aspects agricoles de la politique d’Ondanera. Ce serait grâce à lui que les fermes fonctionnent et que nous mangeons. Je l’ai moins entendu dire que ce serait grâce à lui si, dans huit mois, nous mourrons de faim.
Saaja n’a pas fini bredouille. Grâce à Nerguï, elle a été faite citoyenne de Sérénissime, et bombardée ambassadrice d’Ondanera. J’y reviendrai dans un instant.
On m’a convoqué pour assister au premier Conseil d’Ondanera. Je ne pouvais pas croire qu’ils aient accepté la suggestion de Nerguï. Il paraît que « mes talents sont reconnus » en Sérénissime. C’est encore à toi, Grimald, que je dois ce miracle immérité, n’est-ce pas ? J’ai pour toi une dette que je ne finirai jamais de rembourser.
Je me rends compte à présent que, maintenant que je suis au Conseil, j’aurai moins de temps pour explorer les alentours en quête de flore inconnue. J’espère qu’il m’en restera encore un peu.
Mais revenons à la première réunion. J’ai détesté Oliveira presque immédiatement. Il affichait un mépris intolérable pour le peuple du Ranisat, complètement aveugle à ce qu’il pouvait nous apprendre. Sur ce point, il ne vaut pas mieux que le Baron-Podestat (désormais connu comme le Spoliateur) ou le Commodore. Enfin, grâce à l’éloquence de Nerguï, il a accepté de ne pas s’opposer à nos « négociations avec des poissons ». Après que Meneo ait rappelé l’importance d’une brasserie (tiens, je me demande s’il serait possible de faire de la bière d’amarante), Oliveira nous appris qu’il existe une scierie à l’Ouest, dans la forêt, mais qu’elle est inactive depuis qu’elle a été attaquée par un arbre. Un arbre qui se déplace ? Il me tarde de voir ça !
Oliveira nous a aussi recommandé l’architecte sous écrou. Il l’a décrit comme un homme intègre qui prend de mauvaises décisions. Je suis à peu près certain que sur sa langue, « intègre » prenait des accents péjoratifs.
Après le Conseil, nous sommes retournés sur la plage où nous avions rencontré la jeune Halira. Nous y avons trouvé une autre habitante des profondeurs, l’ambassadrice Leili du Ranisat.
Leili chantait. Et quel chant merveilleux ! Il avait la solennité macabre, mélodique et belle des chants sacrificiels de Cauh’Pa. Pendant un instant, un instant bref mais délicieux, j’ai cru me trouver derechef à l’ombre des pyramides.
J’ai pu assister, Grimald, à un des échanges les plus passionnants de ma vie.
L’ambassadrice Leili a mentionné qu’il existe une engeance amphibie sur « Le Pic » (probablement, une île lacustre), dont la survie offense la Rani. La tuer scellerait peut-être notre alliance avec le Ranisat, si tant est que nous veuillons nous risquer à nous impliquer dans un conflit dont nous ignorons tout.
Il semblerait que la société de Ranisat soit divisée en strates, et je subodore que les rôles de chacun dépendent de la profondeur à laquelle ils peuvent plonger. Je trouve cela merveilleux ! Assurément, la société du Ranisat a su maintenir une connexion significative avec la Nature et ses règles. Nul doute que ce peuple a beaucoup à nous apprendre sur l’endroit où nous espérons nous intégrer.
Le peuple du Ranisat semble curieux, au moins du point de vue gastronomique. En échange du droit de pêcher en strate de surface, ils demandent à ce que nous leur fassions découvrir des plats terrestres. Avec nos voisins gourmets, et Ménéo qui ne jure que par les spiritueux, il va falloir penser à ériger un temple à Laria dans Ondanera. J’espère bien que notre gastronomie va se développer et devenir réputée.
Par ailleurs, la curiosité des gens de l’onde me donne espoir. Si elle s’étend au-delà de la seule gastronomie (et il semble que ce soit le cas, vu que Leili semblait favorable à ce que nous leur contions le récit de nos explorations terrestres), on pourrait peut-être, à terme, envisager une collaboration académique ! Roderich a aussi proposé de faire échange d’objets de métal.
Alors que nous revenions vers Ondanera, et que je m’enthousiasmais de la perspective de nos très prochains échanges, Saaja, qui, pour une raison que je ne m’explique pas, tirait la tête depuis le matin, m’a coupé la parole d’un péremptoire « Ta gueule Nico ! ». Mais enfin ! Elle est ambassadrice près le Ranisat ! Comment peut-elle bouder alors qu’elle a une mission aussi intéressante ? Parler avec les gens de l’onde ! Elle est commerçante, non ? N’a-t-elle pas entendu l’ambassadrice parler des richesses du Ranisat ? Quand le commerce avec nos voisins sera florissant, et qu’elle sera fournisseuse exclusive d’ustensiles d’opale polie ou qui sait quels trésors se cachent sous le Lac, elle fera encore grise mine ? Il y a des gens qui ne savent pas apprécier leur chance !
Suivent quelques croquis hâtifs, notamment une cloche en bois lestée de métal, partiellement plongée sous la surface de l’eau. À l’intérieur, dans la partie basse, une sorte de corniche parcourt la circonférence de la cloche, sur laquelle sont posées quelques assiettes, préservées de l’eau par l’air emprisonné. Plusieurs sirènes peuvent rentrer dans la cloche pour accéder au contenu des assiettes. À côté, un mot : « Réalisable ? ». D’autres notes hâtives : comment savoir ce qui est toxique pour elles ? Comment réaliser l’échange ?

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