La pêcherie en folie
General Summary
Ragots des lavandières
Quelque part en aval de l'Ambrea, non loin de la cité d'Ondanera...
“Parce que tu penses qu’il l’a acheté pour lui seul?”
“Enfin, un lit pareil, on y mettrait la moitié des femmes de la cité!”
“Puis pour Rhonda l’en faudrait juste un autre de la même taille!"
"N'empêche, moi je dirai pas non…”
“..." “Quoi, lui au moins il a l’air attentionné !”
“Soun? Le cyclope ? Celui qui fait plus de six coudées ?"
"‘Cui dont l’visage est fait de trois patates empilées?”
“Il a cillé, elle a cru voir un clin d’oeil”
“Un an qu’il vit à côté d’chez Ronda, ma pauvre, t’aura jamais la poigne pour le satisfaire !"
“Puis, fait gaffe, si tu lui tape dans l’oeil tu risqu’rai de l’aveugler...”
“Vous avez pas un peu fini?” L’aînée des lavandières ronchonne, déversant un baquet de linge dans l’eau savonneuse du lavoir. “On a du travail, j’vous rappelle.” Elle a un sourire taquin. “Puis y’a du ragot bien plus intéressant.”
“Quoi ?”
“Enfin, un lit pareil, on y mettrait la moitié des femmes de la cité!”
“Puis pour Rhonda l’en faudrait juste un autre de la même taille!"
"N'empêche, moi je dirai pas non…”
“..." “Quoi, lui au moins il a l’air attentionné !”
“Soun? Le cyclope ? Celui qui fait plus de six coudées ?"
"‘Cui dont l’visage est fait de trois patates empilées?”
“Il a cillé, elle a cru voir un clin d’oeil”
“Un an qu’il vit à côté d’chez Ronda, ma pauvre, t’aura jamais la poigne pour le satisfaire !"
“Puis, fait gaffe, si tu lui tape dans l’oeil tu risqu’rai de l’aveugler...”
“Tu lâches ça et tu nous dis rien ?”
“Vélia, comment oses-tu?"
“Alors qu’on te confie tout!”
La dénommée Vélia ricanne, ravie d’être ainsi au coeur de l’attention. “J’ai un cousins aux pêcheries, voyez.” Son ton se fait conspirateur. “Et j’ai entendu deux trois choses…" “Raconte !” “Heh. Rien que vous trouverez dans les annales de la ville, évidemment… ” Ses mains ridées par le labeur se saisissent d’un drap, qu’elle plonge vigoureusement dans l’eau froide. “Mais il se trouve que les Archontes ont fait étape là bas, avant d’inaugurer les temples de Fontembra.” Le regard de ses collègues scintille. Les rumeurs sur les Archontes, c’est toujours un soupçon plus croustillant… Vélia, sachant son auditoire acquis, commence son récit. “Ils étaient partis en grande pompe, avec les Ambassadeurs, du gratin Sérène, des chevaux brossés de leur crasse annuelle, deux trois carrosses…” “On voit l’genre, t’inquiète.”
“Ouais, pas comme si on lavait leur linge depuis qu’ils sont rentrés.”
Vélia lève un doigt rougit par le savon. “Sauf que, par un hasard de circonstance…” Le sourire de la matrone s’élargit. “Deux jours plus tôt, notre Archonte des Boisseaux s’était pris d’un soudain élan de générosité. Il avait confié une douzaine de tonneaux à Milko, vous savez, le p’tit jeune qui fini toujours torse nu même pour soulever une botte de paille?”
Les lavandières acquiescent en un soupir ému.
“C’est vrai qu’il est pas passé nous voir depuis belle lurette…”
“Depuis qu’il a son poney, il nous délaisse!” Satisfaite, Vélia continue son récit. “Bref, c’ui là est parti pour une mission dantesque : Abreuver les assoiffés des Pêcheries.” “Ha !”
“M’est d’avis qu’il était enthousiaste.”
“Oui, c’est rare dans cette cité de pouvoir boire à l'œil…" La conteuse claque un drap de lin détrempé sur sa tablette. “En une journée, le gamin était arrivé. Il déballe les tonneaux, et évidemment cette bande d'ivrogne l’accueillent en héro…” “Etonnant.”
“Ouais, comme si on savait pas qu’ces décérébrés profitaient d’être loin d’la ville pour pochtronner…” “Notre bon Nico récolte quelques lauriers aussi, bien sûr. “Archonte des Boissons”, qu’ils scandaient, au point qu’Rodrick en eût été jaloux.” "Ça finit vite en embrouille, ce genre de méprise...” “S’en suit la pire beuverie qu’ce lit à limace ait jamais connu. Pendant deux nuits, les gars descendent de la mauvaise vinasse.” Tordant un drap trempé, Velia s’interrompt un instant sous l’effort. “Aux premières heures, ils dansent, ils chantent, ils se tombent dans les bras… Mais après un jour et demi d’excès, ils sont tous plongés dans une semi torpeur. Oh, ça chante encore, ça et là, mais la plupart sont effondrés sous les tables, ou titubent sur la berge, rieur devant leurs propres doigts d’pieds.” Clac ! Le drap frappe le bord du lavoir en un arc de gouttelettes.
“Pendant c’temps, toute une caravane de bien nés s’approche par l’Ouest. Ça fait du bruit, une trentaine de Sérènes qui prennent la campagne… De la fumée, de la musique, des hennissements de mule surchargée et autres girafes de compagnie.” Maintenant occupée à frotter le tissu, brosse à la main, Velia reprend avec hargne. “Mais bien sûr, les deux pochtrons de la Pêcherie ne voient rien venir. Pire, ils se lancent dans une rixe sur l’un des pontons, se balançant successivement à l’eau…”
“C’est vrai qu’il est pas passé nous voir depuis belle lurette…”
“Depuis qu’il a son poney, il nous délaisse!” Satisfaite, Vélia continue son récit. “Bref, c’ui là est parti pour une mission dantesque : Abreuver les assoiffés des Pêcheries.” “Ha !”
“M’est d’avis qu’il était enthousiaste.”
“Oui, c’est rare dans cette cité de pouvoir boire à l'œil…" La conteuse claque un drap de lin détrempé sur sa tablette. “En une journée, le gamin était arrivé. Il déballe les tonneaux, et évidemment cette bande d'ivrogne l’accueillent en héro…” “Etonnant.”
“Ouais, comme si on savait pas qu’ces décérébrés profitaient d’être loin d’la ville pour pochtronner…” “Notre bon Nico récolte quelques lauriers aussi, bien sûr. “Archonte des Boissons”, qu’ils scandaient, au point qu’Rodrick en eût été jaloux.” "Ça finit vite en embrouille, ce genre de méprise...” “S’en suit la pire beuverie qu’ce lit à limace ait jamais connu. Pendant deux nuits, les gars descendent de la mauvaise vinasse.” Tordant un drap trempé, Velia s’interrompt un instant sous l’effort. “Aux premières heures, ils dansent, ils chantent, ils se tombent dans les bras… Mais après un jour et demi d’excès, ils sont tous plongés dans une semi torpeur. Oh, ça chante encore, ça et là, mais la plupart sont effondrés sous les tables, ou titubent sur la berge, rieur devant leurs propres doigts d’pieds.” Clac ! Le drap frappe le bord du lavoir en un arc de gouttelettes.
“Pendant c’temps, toute une caravane de bien nés s’approche par l’Ouest. Ça fait du bruit, une trentaine de Sérènes qui prennent la campagne… De la fumée, de la musique, des hennissements de mule surchargée et autres girafes de compagnie.” Maintenant occupée à frotter le tissu, brosse à la main, Velia reprend avec hargne. “Mais bien sûr, les deux pochtrons de la Pêcherie ne voient rien venir. Pire, ils se lancent dans une rixe sur l’un des pontons, se balançant successivement à l’eau…”
“Choquer ces dames, aussi.”
“Pff, comme si.” “Bref, ni une, ni deux, y’a une boule de plume qui jaillit sur le ponton.” Velia pose sa brosse, satisfaite. “L’Archonte des Cieux s’était pointé en avance, pour vérifier qu’tout était en ordre.” Elle sourit, puis plonge une chemise sous l’eau glaciale du lavoir. “Il a vu l’état du hameau, ça lui a pas plu.” “Pourtant, d’habitude, il moufte pas trop.” “Là, il a foncé sur Milko, qui s’était mis à bazarder des gens dans l’eau, et lui a foutu une claque qu’a résonné dans toute la crique.” La chemise heurte elle aussi le bord du lavoir, pulpe blanche mise à nue. “Naaan !”
“Il l’a pas trop abîmé, dis?”
"Ça a suffit à le dessaouler, tu penses?"
“Milko était déjà torse nu, à ce stade ?” “Derrière lui, l’Archonte des Boisseaux - rappel, celui responsable du merdier - qui avait l’air paniqué. M’est d’avis qu’il a mal calculé la quantité de vin à envoyer… Il se confond en excuse, il essaie de repêcher ses charges avinées, finit par tomber sur Milko ivre et, effectivement, à demi dénudé…” “Injustice !”
“J’vous jure, y’en a que pour les Archontes dans c’monde…” “Tout c’beau monde patauge entre les filets avec toute la grâce que vous pouvez imaginer. Ceux qui sont encore ivres ne trouvent qu’à se marrer - faut croire qu’même les oiseaux avaient bu, mon cousin a distinctement vu un aigle niché non loin qui ricanait. Finalement, tous les ivrognes sont alignés sur la berge, puis frappés de tout un assortiment de sorts et décoctions pour les remettre en état fissa.” Une des nouvelles lavandières, avant-bras encore épargné par les rougeurs de l’eau froide, interrompt d’un ton narquois. “Le gendre d’une amie travaille auprès d’un Sérène. Apparemment, leur convois a fait une très pratique “étape” juste avant d’arriver à la pêcherie. Ménéo a prétexté un spectacle forestier, en pleine nature, “pour profiter du cadre enchanteur de notre belle cité”.” “Subtil.”
“Ouais, enfin, c’est des Sérènes, hein, plus c’est con plus ils payent." Voyant l’attention du lavoir lui échapper, Vélia s’empresse de reprendre la parole. “En tout cas, les deux Archontes dépêchés - heh- sur place ont fini par organiser les troupes pour recevoir leur petite délégation. Et c’est là tout le miracle de leur équipée. C’est que, pour adoucir les Sérènes qui patientaient en ronchonnant dans le bois voisin, les Archontes ont dû chercher de quoi expliquer leur retard. Alors, bon, les Pêcheries, c’t’une flaque de vase où ils ont creusé des trous pour pêcher, chier et dormir, y’a rien…” “Charmant.”
“Honnêtement je ne suis même pas certaine qu’ils aient pris le temps d’creuser des latrines.” “Du coup les Archontes ont décidé de leur préparer un festin. Et j’parle pas d’un festin de p’tit village, nooon, ils voulaient une vraie occasion, un truc grandiose avec trois plumes plantées sur chaque rôti et tutti canti.” Vélia laissa le silence planer un instant. “Mais l’truc.” Énonce-t-elle, lentement. “C’est qu’mon cousin, c’est un cuisinier né.” “On dirait pas, à le voir. Pour dire, on l’surnomme l'Étagère tellement il est cubique - au point qu’il passe pas la moitié des portes du village sans s’mettre de traviole. Mais avec la nourriture, ça il sait y faire. Pas pêcheur pour un sou, mais tu lui donnes trois oignons et une carotte et il te crée un bouillon plus divin que l’porridge d’Hadur lui même.” “Il est marié, ton cousin?”
“Nan, m’semble qu’elle avait dit que celui-ci était veuf.”
“C’est pas celui qui a tué sa femme, justement?” Velia ignora majestueusement ces commérages de bas étage, concentrée sur son récit. “Toujours est-il que Bertrand l'Étagère - mon cousin, donc - était sur place. Sa réputation était faite auprès d’ses compagnons d’beuverie, donc quand les Archontes ont demandé un cuisinier, il se sont retrouvé avec un brave gaillard de bien 2m30 sur les bras.” “L’avantage de sa carrure, c’est qu’ça absorbe bien. Donc, comparativement, il était un peu moins rond que le reste.” Vélia marque une pause. “Puis, avec les sorts de l’Archonte des Boisseaux, ils avait réunis quelques bras à peu près capables. Donc ils ont allumé les fourneaux, tiré les filets, et arrangé le village sans dessus-d’sous. Les plus ivres ont été alignés hors de vue, derrière la colline, pour éplucher les légumes et nettoyer les coquillages.” “Litéralement?”
“Sou à en frotter les palourdes… Dire qu’on se plaint d’nos hommes.” “Tellement sou qu’ils ronflaient. Ménéo devait parler à intervalle, pour cacher le grondement d’vingt hommes qui cuvent de concert !” Secouant la tête, la matrone soupire. “Mais bon, vous savez quoi ?” “Quoi?” “Demain, mon cousin Bertrand arrive à Ondanera.” Face à son auditoire interrogatif, Vélia se regorge. “Eh ouais, recruté. Et pas rien, hein, Chef, direct ! Sur un seul repas, et alors qu’il avait la plus grosse gueule de bois d’son existence.” Fière comme pas deux, la lavandière se redresse. “N’empêche que devant les Archontes et tout leur cour, il a présenté chacun de ses plats - Six en tout! Et ça a eu un succès fou !” “Waou…” Déçue, Vélia renifle, et sort un énième linge. “Bon, les Ambassadeurs ont fait leurs chichi, bien sûr, un qui mange pas d’poisson, l’autre qui prend pas de sauce… Puis, l’étrange mixture de l’Archonte des Flammes a aidé. De la… Mayonnaise, je crois, mais bon, apparemment faut des oeufs et d’l’huile, bref, ça doit coûter trente ondes le kilo...” “C’est pas la nourriture des dieux, ça?”
“Non, tu confonds avec l’ambroisie.”
"Ça m’semble proche, quand même…”
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