General Summary
19/10/818
Nous cheminons en silence dans la luxuriance des contreforts du Pilier.
Depuis que j’ai posé le pied sur l’Île… depuis que j’ai posé le regard sur l’Île, je suis submergé par des émotions que je peine à démêler. Un désir vertigineux de me perdre dans la contemplation de la jungle, de m’y dissoudre même. Mais aussi une profonde mélancolie, un écho interne aux plaintes de fauve blessé que j’ai ouïes dans les rafales tempêtueuses. Les nuages se sont grandement dispersés de dessus l’Île depuis que Tujana et son conseil épuisé ont arrêté d’incanter. En mon cœur, ils tourbillonnent encore, et je sens encore le tonnerre qui roulait il y a peu sur les pentes rocailleuses se réverbérer dans mes côtes à chaque balancement du Médaillon, à chaque impact du jade lourd contre ma poitrine humide. Il y a aussi… de la nostalgie ? Pas pour un passé révolu… plutôt pour un présent qui aurait pu être. Je suis un intrus au paradis qui aimerait pouvoir se convaincre qu’il y a une place. Et par-dessous, de la colère, brûlante, que je perçois dans l’incandescence intermittente de ma foudre intérieure, dans les craquements de mes phalanges quand je me surprends à serrer les poings au point que mes ongles me rentrent dans la chair. Ce qui aurait pu être les retrouvailles heureuses de frères égarés, liés par une sorte de communauté de langage, s’est transformée en guerre fratricide. Du sang, des flammes, de la mort et du deuil, la coupable, Nexé, est au bout du chemin.
Le silence de notre groupe cheminant est un contrepoint étrange au fracas de ma tempête interne. Il est révélateur d’une autre émotion. La peur. J’ai peur. Je ne me suis jamais senti si seul, si nu, si impuissant, si orphelin, si abandonné.
S’excusant d’être faible encore, il nous invite à le suivre vers le fond de la grotte, où se trouve une petite stèle qui me rappelle Cauh’Pa, où sont gravés des symboles honorant quelque divinité inconnue. Les mêmes symboles qui adornent la stèle sont repris sur sa lance. S’asseyant sur la stèle, une aura chaleureuse l’environne et il semble enfin reprendre un peu de contenance. Le Gardien a triomphé de l’homme brisé, il est de retour devant nous. Il nous demande de lui expliquer la situation et nous nous exécutons. Lorsque nous terminons notre récit, le Gardien prend un instant pour pondérer sa réponse. Il reprend la parole pour nous mettre en garde.
Ce qui nous attend sera probablement plus difficile que tout ce que nous avons eu à affronter jusqu’à présent. Il n’y a rien qu’il puisse faire pour nous y préparer, mais il peut au moins nous donner quelques informations.
Lorsque le Rana a ordonné la destruction d’un clan, Nezari a tenté de s’y opposer. Il est allé voir Kohana et Nexé, et c’est à ce moment qu’elle lui a jeté un sort. Il est probable que ce soit par le truchement du Gardien que la sorcière ait étendu son influence au clan Nez tout entier. Nezari en a assez clairement conçu un sentiment de culpabilité.
Nexé reçoit ses visiteurs là où elle siège, dans sa demeure : le temple sous le Pilier, même en l’absence du Rana. Celui-ci n’est pas là en ce moment, d’ailleurs. Nous supposons donc que l’audacieuse diversion tentée par Tujana porte ses fruits.
Nexé est arrivée accompagnée d’hommes-serpents qui forment sa cour privée. (Je me remémore à ces propos notre première discussion avec l’Ambassadrice Leili. Il me semble effectivement qu’elle avait mentionné des serpents.) Plus tard, un autre individu l’a rejointe, qu’elle a nommé son parfumeur. Nezari ne l’a rencontré qu’une fois. Il nous met à nouveau en garde : il pense que ni Nexé ni son parfumeur ne sont ce qu’ils semblent être.
Nous l’interrogeons sur le chemin qui mène au temple. La route, qui démarre plus loin dans la grotte et s’élève dans la montagne, est longue et par moments dangereuse. Elle lui a pris une journée et nous en prendra encore au moins autant.
J’accuse le coup. C’est long. Surtout compte tenu de l’urgence. Au moins, ça nous donnera l’occasion de nous soigner après le combat, mais chaque minute dont est différée la mort de Nexé expose davantage Tujana et son clan à un grand péril.
Me souvenant soudain de la prophétie que m’a adressée Hassessi, et constatant l’emprise qu’à Nexé sur les esprits de ses victimes, je ne peux m’empêcher de demander à Nezari si les légendes ondines mentionnent un crâne qui aurait quelque propriété magique. Cela ne lui évoque rien, mais il m’avoue qu’aucun membre de son clan n’a exploré le temple, que l’on dit habité d’horreurs.
Nezari nous demande de lui exposer les détails de la diversion opérée par Tujana. Après nous avoir écoutés, il conclut en prononçant le vrai nom de ce que nous avons demandé à la Rani : « C’est un suicide, donc. » Et lors même qu’une boule froide et lourde descend dans mon estomac, son regard à lui se fait plus déterminé. Il décide alors que sa place, et celle de son clan, serait aux côtés des Tuj. Peut-être pour expier la faute qu’il semble penser porter ?
Nous demandons s’il peut nous fournir une escorte vers Nexé, mais il refuse : il aura besoin de tous les siens pour affronter Kohana. Comme Tujana, il pense que le Rana est perdu au-delà de tout salut, et ne pourra pas être délivré de l’influence corruptrice de Nexé. Il est comme mort. J’espère qu’ils se trompent.
Je demande à Nezari s’il ne peut pas nous fournir une aide matérielle ; après tout, les Nez sont connus pour être des artisans de grand talent. Une telle aide serait d’autant plus la bienvenue que l’armure de Roderich a été fortement endommagée par un coup du grand singe. Le Gardien consent à fournir des flèches de jade à Parwaaze et à façonner une nouvelle armure pour notre Archonte de la Dîme.
Reconnaissants, nous demandons si nous, nous pouvons l’aider. Il acquiesce et me désigne : « Toi. Tu portes le Médaillon des Gardiens, et par là, une responsabilité que tu ignores. Je vais te demander quelque chose d’important. Tu vas ôter les armures des vaincus, et les jeter dans la cascade. » Soudain, j’ai l’impression que le médaillon est plus lourd, et que tout ce voyage est une sorte d’épreuve mystique.
Nous l’interrogeons sur sa foi, sa compréhension du monde.
Il nous révèle que les Ondins sont venus sur l’Île parce que c’est un paradis béni par KoPa UrTa. Un tel endroit ne peut qu’être protégé et chéri. Les Ondins vénèrent en effet quatre divinités. Parma est l’âme, le jade, le semeur de chaque chose, la force et la résistance, le pouvoir qui est bon. Urma est la montagne, la flore, il siège au plus haut et permet à la terre de se renouveler. Ensemble, ils représentent la résistance, les choses consistantes et dures. Tamaya préside aux courants, dans le ciel et l’eau, qui amènent ce qui doit l’être. Koia est le soleil et la vie, le mouvement, les animaux et plantes qui bougent. Elle protège. Ensemble, elles représentent le soleil, la vie, les courants qui amènent la prospérité. Tous quatre forment KoPa UrTa : le Monde.
Le jade est identifié à l’âme et symbolise la naissance. À sa naissance, chaque personne reçoit un objet de jade qui l’ancre dans ce monde. À sa mort, le jade, arraché à la montagne, doit être retourné à la terre pour que continue le cycle. D’où l’importance de ma mission.
Le médaillon que je porte est lié à Tamaya ; la lance de Nezari, à Parma. Ces objets viennent des profondeurs de l’aube de leur mémoire, ils ont été créés par les Dieux-mêmes pour les aider à protéger le monde.
Après cette discussion, fatigué, Nezari nous invite à prendre congé pour qu’il puisse se reposer et pratiquer son art. Il nous propose de nous reposer à l’aval de la grotte, près de la cascade. Nous nous exécutons, et je vais m’acquitter de mon office. En ôtant les les armures des ondins tombés, en les jetant dans le tumulte bouillonnant de la cascade, et plus tard, en soignant les plaies du civil qui m’avait repéré plus tôt dans cette funeste soirée, je sens grandir en moi une haine brûlante pour Nexé, une vague irrésistible et mortelle, un dégoût sacré pour la profanation et la corruption qu’elle répand, une haine telle que je n’en avais jamais éprouvée pour quelqu’un que je n’ai jamais rencontré. Nexé doit mourir. Pas seulement parce que je la hais, mais aussi parce que de la célérité de son trépas dépendent les vies de deux clans. Et de ce paradis tout entier. Nexé doit mourir, et dussé-je en mourir moi-même, dussions-nous tous en mourir (et soyons lucide, c’est une éventualité probable) mon dernier geste sera, je le jure, de lui ôter le jour. Le temps n’est plus à la prudence. Il est à la fureur.
Nous cheminons en silence dans la luxuriance des contreforts du Pilier.
Depuis que j’ai posé le pied sur l’Île… depuis que j’ai posé le regard sur l’Île, je suis submergé par des émotions que je peine à démêler. Un désir vertigineux de me perdre dans la contemplation de la jungle, de m’y dissoudre même. Mais aussi une profonde mélancolie, un écho interne aux plaintes de fauve blessé que j’ai ouïes dans les rafales tempêtueuses. Les nuages se sont grandement dispersés de dessus l’Île depuis que Tujana et son conseil épuisé ont arrêté d’incanter. En mon cœur, ils tourbillonnent encore, et je sens encore le tonnerre qui roulait il y a peu sur les pentes rocailleuses se réverbérer dans mes côtes à chaque balancement du Médaillon, à chaque impact du jade lourd contre ma poitrine humide. Il y a aussi… de la nostalgie ? Pas pour un passé révolu… plutôt pour un présent qui aurait pu être. Je suis un intrus au paradis qui aimerait pouvoir se convaincre qu’il y a une place. Et par-dessous, de la colère, brûlante, que je perçois dans l’incandescence intermittente de ma foudre intérieure, dans les craquements de mes phalanges quand je me surprends à serrer les poings au point que mes ongles me rentrent dans la chair. Ce qui aurait pu être les retrouvailles heureuses de frères égarés, liés par une sorte de communauté de langage, s’est transformée en guerre fratricide. Du sang, des flammes, de la mort et du deuil, la coupable, Nexé, est au bout du chemin.
Le silence de notre groupe cheminant est un contrepoint étrange au fracas de ma tempête interne. Il est révélateur d’une autre émotion. La peur. J’ai peur. Je ne me suis jamais senti si seul, si nu, si impuissant, si orphelin, si abandonné.
S’excusant d’être faible encore, il nous invite à le suivre vers le fond de la grotte, où se trouve une petite stèle qui me rappelle Cauh’Pa, où sont gravés des symboles honorant quelque divinité inconnue. Les mêmes symboles qui adornent la stèle sont repris sur sa lance. S’asseyant sur la stèle, une aura chaleureuse l’environne et il semble enfin reprendre un peu de contenance. Le Gardien a triomphé de l’homme brisé, il est de retour devant nous. Il nous demande de lui expliquer la situation et nous nous exécutons. Lorsque nous terminons notre récit, le Gardien prend un instant pour pondérer sa réponse. Il reprend la parole pour nous mettre en garde.
Ce qui nous attend sera probablement plus difficile que tout ce que nous avons eu à affronter jusqu’à présent. Il n’y a rien qu’il puisse faire pour nous y préparer, mais il peut au moins nous donner quelques informations.
Lorsque le Rana a ordonné la destruction d’un clan, Nezari a tenté de s’y opposer. Il est allé voir Kohana et Nexé, et c’est à ce moment qu’elle lui a jeté un sort. Il est probable que ce soit par le truchement du Gardien que la sorcière ait étendu son influence au clan Nez tout entier. Nezari en a assez clairement conçu un sentiment de culpabilité.
Nexé reçoit ses visiteurs là où elle siège, dans sa demeure : le temple sous le Pilier, même en l’absence du Rana. Celui-ci n’est pas là en ce moment, d’ailleurs. Nous supposons donc que l’audacieuse diversion tentée par Tujana porte ses fruits.
Nexé est arrivée accompagnée d’hommes-serpents qui forment sa cour privée. (Je me remémore à ces propos notre première discussion avec l’Ambassadrice Leili. Il me semble effectivement qu’elle avait mentionné des serpents.) Plus tard, un autre individu l’a rejointe, qu’elle a nommé son parfumeur. Nezari ne l’a rencontré qu’une fois. Il nous met à nouveau en garde : il pense que ni Nexé ni son parfumeur ne sont ce qu’ils semblent être.
Nous l’interrogeons sur le chemin qui mène au temple. La route, qui démarre plus loin dans la grotte et s’élève dans la montagne, est longue et par moments dangereuse. Elle lui a pris une journée et nous en prendra encore au moins autant.
J’accuse le coup. C’est long. Surtout compte tenu de l’urgence. Au moins, ça nous donnera l’occasion de nous soigner après le combat, mais chaque minute dont est différée la mort de Nexé expose davantage Tujana et son clan à un grand péril.
Me souvenant soudain de la prophétie que m’a adressée Hassessi, et constatant l’emprise qu’à Nexé sur les esprits de ses victimes, je ne peux m’empêcher de demander à Nezari si les légendes ondines mentionnent un crâne qui aurait quelque propriété magique. Cela ne lui évoque rien, mais il m’avoue qu’aucun membre de son clan n’a exploré le temple, que l’on dit habité d’horreurs.
Nezari nous demande de lui exposer les détails de la diversion opérée par Tujana. Après nous avoir écoutés, il conclut en prononçant le vrai nom de ce que nous avons demandé à la Rani : « C’est un suicide, donc. » Et lors même qu’une boule froide et lourde descend dans mon estomac, son regard à lui se fait plus déterminé. Il décide alors que sa place, et celle de son clan, serait aux côtés des Tuj. Peut-être pour expier la faute qu’il semble penser porter ?
Nous demandons s’il peut nous fournir une escorte vers Nexé, mais il refuse : il aura besoin de tous les siens pour affronter Kohana. Comme Tujana, il pense que le Rana est perdu au-delà de tout salut, et ne pourra pas être délivré de l’influence corruptrice de Nexé. Il est comme mort. J’espère qu’ils se trompent.
Je demande à Nezari s’il ne peut pas nous fournir une aide matérielle ; après tout, les Nez sont connus pour être des artisans de grand talent. Une telle aide serait d’autant plus la bienvenue que l’armure de Roderich a été fortement endommagée par un coup du grand singe. Le Gardien consent à fournir des flèches de jade à Parwaaze et à façonner une nouvelle armure pour notre Archonte de la Dîme.
Reconnaissants, nous demandons si nous, nous pouvons l’aider. Il acquiesce et me désigne : « Toi. Tu portes le Médaillon des Gardiens, et par là, une responsabilité que tu ignores. Je vais te demander quelque chose d’important. Tu vas ôter les armures des vaincus, et les jeter dans la cascade. » Soudain, j’ai l’impression que le médaillon est plus lourd, et que tout ce voyage est une sorte d’épreuve mystique.
Nous l’interrogeons sur sa foi, sa compréhension du monde.
Il nous révèle que les Ondins sont venus sur l’Île parce que c’est un paradis béni par KoPa UrTa. Un tel endroit ne peut qu’être protégé et chéri. Les Ondins vénèrent en effet quatre divinités. Parma est l’âme, le jade, le semeur de chaque chose, la force et la résistance, le pouvoir qui est bon. Urma est la montagne, la flore, il siège au plus haut et permet à la terre de se renouveler. Ensemble, ils représentent la résistance, les choses consistantes et dures. Tamaya préside aux courants, dans le ciel et l’eau, qui amènent ce qui doit l’être. Koia est le soleil et la vie, le mouvement, les animaux et plantes qui bougent. Elle protège. Ensemble, elles représentent le soleil, la vie, les courants qui amènent la prospérité. Tous quatre forment KoPa UrTa : le Monde.
Le jade est identifié à l’âme et symbolise la naissance. À sa naissance, chaque personne reçoit un objet de jade qui l’ancre dans ce monde. À sa mort, le jade, arraché à la montagne, doit être retourné à la terre pour que continue le cycle. D’où l’importance de ma mission.
Le médaillon que je porte est lié à Tamaya ; la lance de Nezari, à Parma. Ces objets viennent des profondeurs de l’aube de leur mémoire, ils ont été créés par les Dieux-mêmes pour les aider à protéger le monde.
Après cette discussion, fatigué, Nezari nous invite à prendre congé pour qu’il puisse se reposer et pratiquer son art. Il nous propose de nous reposer à l’aval de la grotte, près de la cascade. Nous nous exécutons, et je vais m’acquitter de mon office. En ôtant les les armures des ondins tombés, en les jetant dans le tumulte bouillonnant de la cascade, et plus tard, en soignant les plaies du civil qui m’avait repéré plus tôt dans cette funeste soirée, je sens grandir en moi une haine brûlante pour Nexé, une vague irrésistible et mortelle, un dégoût sacré pour la profanation et la corruption qu’elle répand, une haine telle que je n’en avais jamais éprouvée pour quelqu’un que je n’ai jamais rencontré. Nexé doit mourir. Pas seulement parce que je la hais, mais aussi parce que de la célérité de son trépas dépendent les vies de deux clans. Et de ce paradis tout entier. Nexé doit mourir, et dussé-je en mourir moi-même, dussions-nous tous en mourir (et soyons lucide, c’est une éventualité probable) mon dernier geste sera, je le jure, de lui ôter le jour. Le temps n’est plus à la prudence. Il est à la fureur.
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