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Des racines et des tentacules

Par Nico

General Summary

Le 11/06/817
Cette faille m’effraie. Quel genre de forces inimaginables a pu ouvrir cette déchirure au milieu de la plaine ? Et puis il y a le vent, qui a failli nous rabattre dans le précipice, ce vent vertical et mugissant, puissant, en accord avec les dimensions des lieux. Ce n’est pas une faille, c’est une gueule. Affamée et feulante. Osez passer la tête dessus ses lèvres, et vous l’entendrez rauquer en rafales avides, et le vertige vous prendra. Vous happera, peut-être. Personne n’entendra votre cri, ni le fracas de votre chute. Y a-t-il seulement un fond pour vous fracasser, au-delà de cette brume scintillante ?
Si l’érudition de Dhareef le Magnifique et la splendeur de sa tour ne suffisaient déjà à lui valoir légitime admiration, sûrement que de vivre au-dessus de cette béance la garantirait.
Elle n’en finit plus de s’étirer !  
Nous avons aperçu de la fumée au Nord, sûrement un village. Ils pourront peut-être nous renseigner sur la longueur de ce gouffre.   Le 12/06/817
Nous avons trouvé les Fermes d’Abrahamanam blessées par une attaque récente de Centaures venus du Nord-Est, encore balafrées par les restes déclinants d’incendies épars. Le hameau ne faisait pas le poids, ses capacités de défenses sont rudimentaires. Un petit pont enjambe un ruisselet qui pourrait aisément être franchi à gué, et l’hôtel de ville, unique bâtiment assez haut pour accueillir guetteurs, est connecté par derrière à une sorte de grotte surélevée dans une saillie rocheuse.   Quand je vois ce qu’une poignée seulement de ces hommes-chevaux a pu infliger à cette petite communauté, je ne peux m’empêcher d’éprouver certaine crainte révérencielle face à eux. Ils sont probablement des forces de la Nature. Terribles et destructeurs, en même temps que grandioses et admirables. Sauvage noblesse.   Cela dit, les fermiers locaux, Humains pour la plupart avec quelques Tiefflings, pour rossés qu’ils furent, seraient fort injustement décrits comme vaincus. Nous fûmes de piètre secours face à leur infortune, mais ce sont des gens pugnaces. Malgré l’épreuve, malgré la privation et ses évidentes conséquences sur leur santé, ils n’attendent nul secours pour se remettre à l’œuvre.   En particulier, j’ai été impressionné par Abrahamanam, la fondatrice de cette communauté agraire. Son charisme éclipse jusqu’à la présence-même de son mari – hideusement balafré. (Je peux parler, de ce côté-là…) Cette femme est un roc. Un jour, sûrement, la morsure du sel, la sape de l’océan, la patience du temps auront raison d’elle, mais en attendant, elle se dresse. Au milieu des pierres qu’elle a dressées, elle se dresse. Et au milieu de cette âpreté, son existence continuée seule est l’énoncé incontestable et quotidiennement renouvelé de ses victoires.   Je ne suis pas d’accord avec elle, lorsqu’elle dit que la quête de la Vérité est un luxe. L’aspiration à la Vérité, je l’ai vue même chez des gens qui ne possédaient rien. Si même le serviteur le plus démuni et corvéable consacre de l’énergie et du temps à son culte, c’est que la nourriture de l’âme tient davantage de la nécessité que du caprice d’oisif, non ?   Elle me rappelle certains esclaves que j’ai rencontrés, dont certains d’ailleurs suivaient A’tunsa. Asservis mais sans abdiquer leur fierté. Face aux brimades, leur survie tenait du triomphe, et leur échine conservait droiture en dépit du martinet. Je ne m’entendrais probablement pas avec la maîtresse des lieux, de même que je ne m’entendais pas souvent avec les esclaves fiers. Ha ! elle détesterait me voir la décrire ainsi ! Elle n’est pas un roc, elle est Abrahamanam, et elle a du travail. Et son temps est plus utilement consacré au soin des légumes et du blé sorain qu’à celui des fleurs de poésie. Et puis elle n’est esclave de personne, et soumise à nul maître, ou exposée seulement à la férule du plus sévère et ultime d’entre eux : la rude et très concrète réalité. (Je me demande d’ailleurs ce qui l’a amenée à vivre ici, et si mon instinct ne me trompe pas, je dirais que son indépendance farouche, et le rejet corrélatif de quelque autorité, y a probablement tenu rôle majeur.)   Mais en dépit de ces divergences, j’éprouve pour elle et pour les siens le respect qui revient naturellement aux opiniâtres gens des labeurs.   Abrahamanam nous a fourni des renseignements utiles. Les cultistes du Sud (les « Gens du Kraken » ?) seraient pacifiques, et la Faille s’étirerait loin encore, jusqu’aux Monts Centraux (nous ne sommes peut-être pas obligés de suivre leurs très prosaïques coutumes en matière de toponymie). La longer par le Nord nous contraindrait à une difficile traversée des montagnes pour atteindre le Temple. Ceux qui s’y hasardent passent en général par les Fermes d’Abrahamanam pour s’y ravitailler avant de poursuivre leur route. Nous préférons rebrousser chemin et longer la Faille par le Sud.   [Une note hâtive dans la marche indique : « Un pont au Sud des Fermes les ferait prospérer et serait un avantage stratégique pour qui le possède ». ]   Le 13/06/817 J’ai commencé à aider Nerguï à tracer une carte de la région. Ma formation au dessin de plans aide, bien sûr, mais la cartographie n’est pas la même chose que la conception de ville ou d’édifice. Je fais de mon mieux, et j’essaie de transmettre les quelques techniques que je connais au cartomancien.   [Suivent des croquis de cartes. Quelques dessins. Notamment, le dessin d’un endroit où un ruisselet se jette dans la faille, vu du versant austral de celle-ci, avec une flèche le liant à une carte très approximative de la région, indiquant que cet endroit est au Sud des « F.A. ». Quelques commentaires, notamment : « Paysage très intéressant. Grandiose, même. Arcs-en-ciel dans les panaches. Cet endroit mérite un nom. L’Envol des Embruns ? La profondeur est telle que le ruisseau n’est probablement plus qu’une brume de crachin au fond du gouffre. En débattre avec les autres. La Faille mérite aussi un meilleur nom. »]   [Suivent encore quelques croquis assez vagues, représentant à cet endroit un pont étroit traversant la Faille à plusieurs mètres sous le bord des falaises. De part et d’autre du pont, deux fortins jumeaux se font face, discrets, creusés dans la paroi-même, munis de guérites à meurtrières. L’architecture évoque l’élégance de certains ouvrages défensifs de la Sérénissime, mais modifiée pour s’adapter aux contraintes des constructions troglodytiques. Des traits rapides indiquent des lignes de tirs, tant vers le haut que vers le bas. Certaines zones au bord de la Faille sont entourées avec en commentaire : « Zone aveugle ? À évaluer. ». À côté du pont, cette question : « Réalisable ? ».]   [Un autre dessin se concentre sur le ruisselet. En commentaire : « Débit suffisant ? Création de brouillard stratégique par magie ? Profitable ? ». ]   Le 16/06/817
Quelle région merveilleuse ! Nous avons découvert une nouvelle plante. Et ses étranges gardiens.   La plante, d’abord. Il s’agit d’une sorte de rose jaune, sans épine, au parfum très agréable mais à la sève empoisonnée. (Si ce poison peut être éliminé, la plante pourrait être utile en parfumerie ? ) Elles recouvrent de vastes étendues, transformant la plaine en Prés d’Or. (Tiens, ça ferait un bon nom pour cet endroit. Penser à le proposer aux autres. ) Certaines fleurs plus matures possèdent un pistil unique. Ce pistil semble être la seule partie de la plante qui ne soit pas vénéneuse. J’y ai goûté. Dieux ! que ça brûle ! Lorsque mes larmes ont finalement reflué et que la brûlure a enfin eu fini de saturer mes sens, j’ai cependant pu discerner un goût intéressant. En petites quantités, très diluées dans un alcool blanc, après quelques mois d’infusion, ce pourrait former une épice intéressante pour relever certaines sauces ? Malgré la très cuisante première expérience, je serais curieux de découvrir ce qu’un chef talentueux pourrait en faire. Après la douleur, la volupté de découvrir l’incandescente (nous trouvions – moi en particulier – le nom très approprié) ainsi domptée n’en serait que plus grande.   Pour ce qui est des toxines dans la sève, à charge de Roderich d’en trouver l’usage. J’en ai badigeonné le fer de ma lance après notre rencontre avec les gardiens du pré. Je ne sais toujours pas si ce sont des insectes qui poussent, ou des plantes qui marchent. On dirait de grosses cosses en écorce solide, pleine d’un fluide acide, et entourées de grandes feuilles ou de grands pétales en chitine (?) souple mais solide. Quelle que soit cette matière, sa souplesse et sa résistance à la percussion et à l’acide me semblent intéressantes.   Les créatures sont agressives et vives. Une gueule disproportionnée, verticale, garnie de multiples rangées de dents, constitue le seul et immonde ornement de leur face aveugle. Leur morsure est douloureuse, de même que leur bile acide. Elles crachent, aussi, et vaporisent leurs fluides. J’en ai fait les frais. Désagréablement. Mais elles semblent s’effondrer dès que leur coque est percée. Sava a été remarquablement efficace durant le combat.   Je me demande comment elles percevaient notre présence. Nerguï pense qu’elles sont liées aux incandescentes. Cela me semble très plausible. Leurs pattes étaient garnies, en leurs extrémités, de filaments racinaires. Les incandescentes elles-mêmes semblaient localement connectées par leurs racines. Peut-être « disent »-elles aux créatures où frapper ?   La domestication des incandescentes me semble être une entreprise hasardeuse. D’abord, parce que ces plantes semblent empêcher toute autre de pousser dans leur voisinage. Nous n’avons pas besoin d’un parasite qui rendrait nos sols impropres aux cultures nourricières. Ensuite, parce que nous ignorons à quel point elles dépendent des Coques-Voraces Feuillues (Nerguï leur a trouvé ce nom). Et ces créatures me semblent plus hasardeuses encore à apprivoiser. Nous devrions peut-être cependant nous y risquer. Dans des conditions drastiques de préservation, cela va de soi, conditions que Roderich est le mieux à même de définir parmi nous. Outre l’épice, qui ferait probablement la richesse de négociants, et les usages alchimiques qui restent à découvrir, je songe à des usages défensifs. Si nous pouvions apprendre à communiquer avec ces plantes… Elles pourraient transmettre des informations pour nous. Nous avertir de la présence d’intrus. Peut-être même ordonner à leurs gardiens de frapper pour nous. Mais ce ne sont la que conjectures, bien sûr.   Ces plantes me fascinent.   Le 17/06/817
Nerguï avait besoin d’un petit rongeur, apparemment pour un sacrifice à ses esprits. Je lui en ai fourni un.   Le 19/06/817
Les Monts Centraux sont impressionnants ! (Et méritent décidément meilleur nom.) Ils dressent, massifs, leur écrasante verticalité vers le ciel ! Nous avons aperçu une caravane qui s’y rendait, et l’avons suivie, espérant qu’elle nous mènerait au temple des cultistes. Des structures sont accrochées au flanc des montagnes, qui nous paraissaient minuscules de loin. Effectivement, nous sommes arrivés au monastère. Une architecture intéressante. La porte du temple, sculptée à l’image d’une bouche dévorante, m’a semblé sinistre. Le contraste avec la courtoisie de notre hôte, Wasu’Saarma, un prêtre du culte du Kraken, était déconcertant.   Un escalier s’élance à l’assaut du ciel sur les pentes vertigineuses. Il longe, sur une partie de son cours babillant, un ruisseau sortant d’une grotte à côté du temple. Il s’agit probablement ici de la source du fleuve qui se jette dans le grand lac à l’emplacement choisi pour notre futur foyer. Ce qui place ce temple en un lieu éminemment stratégique pour nous. Il serait intéressant que nous devinssions alliés.   Le prêtre Wasu’Saarma nous a brièvement instruits sur le culte d’Hassessi, le Kraken. Le dieu serait source de sagesse, et révélerait une fois l’an quelque chose de leur destinée à ses disciples. Nerguï a appelé le Kraken « Seigneur des Profondeurs ». C’est un nom qui m’évoque la terreur davantage que la sagesse, et c’est un mystère que je ne parviens pas encore à élucider, qu’un hôte des abysses soit vénéré sur une montagne si éloignée des mers.   Le Grand Parleur du dieu serait disposé à lire notre avenir moyennant rétribution. J’avoue qu’il m’intéresserait de rencontrer l’homme. Que ses dons soient véritables ou non, je suppose qu’il ne peut être qu’intéressant de rencontrer si éminent personnage. Sans compter qu’il vaut toujours mieux connaître ses voisins. Je ne possède pas grand-chose, et mon médaillon de pierre-soleil m’est beaucoup trop précieux pour que j’en fasse don légèrement, et certainement pas à un autre culte, le Voyageur y pourrait peut-être prendre offense. J’ai proposé ce que je pouvais : des soins aux malades. Je ne pense pas que nous ayons le temps de passer plusieurs jours ici à nettoyer des bassins sacrés. Les autres ont offert un don pécunier. À contre-cœur je crois. Je ne sais pas ce qui a pris Nerguï, il semble avoir été offensé par Wasu’Saarma lorsque celui-ci a suggéré qu’il ait à apprendre du Grand Parleur. Cela me paraît étrange et inapproprié. Je ne conçois pas qu’on puisse dénigrer une occasion d’apprendre dans son art, que l’art fût celui de l’architecte, de l’alchimiste ou, comme Nerguï, l’art du prophète. L’immodestie est aveuglement et entrave.   Nous sommes donc entrés dans le Temple à la suite de Wasu’Saarma. Dans le Vestibule, nous avons rencontrés deux personnages singuliers. J’ai reconnu immédiatement le symbole du Directoire sur leur vêtement. Des érudits ! En ce lieu reculé ! Hassessi a déjà au moins accompli un prodige ! J’éprouve pour les gens du Directoire une sympathie bien naturelle.   Le Professeur Arsène Courbis, docte elfe, était assisté de sa protectrice Merel. Il est venu étudier les civilisations des Terres de Feu. Idiot que je suis, je lui ai laissé une fort mauvaise impression ! Je lui ai dit le peu que nous avions pu apprendre des populations locales dans le but d’accélérer ses recherches, mais mon absence de maîtrise du vocabulaire approprié et probablement d’une quantité de notions dont j’ignore jusqu’à l’existence, lui a laissé une piètre opinion de moi. Nerguï a bien tenté de me défendre, en appelant fort diplomatiquement le Professeur à dépasser les carences de mon langage, mais je doute que cela ait suffi à rattraper mes gaffes.   Merel a semblé compatir à ma maladresse. En fait, avec son stoïcisme dans l’exaspération, elle m’a immédiatement plu. Ce duo est, curieusement, bien assorti, je trouve. Si elle parvient à dégonfler, par la rafraîchissante irrévérence qu’elle se fait grande violence à maintenir discrète, l’infatuation académique que je pense (peut-être à tort) avoir décelée chez son protégé, je pense que celui-ci, plus apte à l’abandon du fardeau des a priori, sera mieux encore à même d’apprendre de ces terres sauvages.   Oh ! mais voilà que je pèche de la même immodestie que je reprochais tout à l’heure à Nerguï ! Qui suis-je donc pour prétendre savoir comment le Professeur Courbis pourrait mieux apprendre dans un domaine dont j’ignore tout ?   Nerguï, justement, m’a foudroyé du regard, alors que j’expliquais à Merel les dangers que peuvent représenter les créatures locales. Le cartomancien finissait à peine d’intercéder en ma faveur auprès du Professeur, que je recommençais probablement à m’enfoncer. J’en ai perdu ma langue, et je l’ai laissé finir. Je ne parviens pas à m’expliquer, cela dit, que Nerguï ne les ait pas mis en garde contre la langue extensible, paralysante et puissante du caméliguane. Ce serait une fort mauvaise surprise pour Merel et le Professeur, s’ils venaient à rencontrer le lézard.   On nous a invités à attendre l’éventuelle rencontre avec le Grand Parleur dans une autre pièce, et la rencontre s’est terminée, mais mon intuition me dit que nous nous reverrons, et j’espère avoir raison, et pouvoir à l’avenir donner meilleure impression aux membres du Directoire. Cette rencontre m’a, je dois dire, enthousiasmé, et j’attends désormais la réponse du Grand Parleur avec une excitation fébrile dont je peine à me départir.

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