Le mangeur de souvenirs
Parmi les quatre-vingt-une erreurs de Dajvari, le mangeur de souvenirs est celle qui souligne le plus l'impuissance du sorcier et la crainte que celle-ci lui inspire.
Dajvari voyage depuis des mois déjà quand il atteint la cité de Lobelta, où il a entendu que vivait le sorcier des glaces Rigevoirde. Il est heureux de pouvoir enfin s'arrêter et paie un enfant pour trouver une grange assez large pour Shiffer, sa fidèle monture. L'enfant présente une auberge luxueuse à Dajvari qui, par ses aventures, a amassé assez de cravrek pour y passer quelque nuits.
NOTE : il est généralement admis par le peuple ariesque que le personnage récurent de Rigevoirde est un polykrio avec le parasite de l'antique immortel.
NOTE : Shiffer est un reptile à quatre pattes apparentés aux dragons domesticables du Sheïmen, mais il s'agit en fait d'une expérience instable faite par un démon. Le mythe de shiffer demande à ne pas faire confiance aux démons.
NOTE : Lobelta est une ville fictive récurente du folklore ariesque, dans le royaume de Tolbator, lui aussi fictif.
L'aubergiste, un homme peu vêtu ayant une bouche très large et des yeux très petit, offre à Dajvari de réparer ses vêtements. Le sorcier, tout heureux, accepte et offre de payer le généreux aubergiste. Celui-ci est impressionné que, après avoir payé sa chambre et l'enfant, le sorcier ait encore les finances de le payer. Il propose alors d'ajouter des bijoux au vêtement pour une paie plus grasse, pour que le monde voit et sache la gloire du sorcier. Les deux hommes négocient et l'aubergiste consent aussi à broder la robe de voyage de
Confiant en l'aubergiste, Dajvari va s'amuser dans la ville en laissant préparer ses vêtements. Il joue et rit tout le jour sans pratiquer son art, faire d'exercice physique ou travailler. Le soir venu, il joue encore jusqu'à ce que la nuit soit assez haute pour que le givre morde les tour jusqu'au bat de leurs pics. Là, il rentre et dors dans un lit moelleux, repu et diverti, ivre de ses quêtes.
Au matin, le sorcier revet sa nouvelle robe sur laquelle l'aubergiste a travaillé toute la nuit. Il est très satisfait du rendu et veut immédiatement la montrer en ville. L'aubergiste lui offre de sortir la montrer devant la fontaine. Une petite femme, assise avec un parchemin enroulé en ces deux côtés, devant le feu, les interpelle avant qu'ils n'atteignent le carré de lumière devant la porte.
"Je suis une savante." Dit alors la femme. "Je te dis que tu ne dois pas voir le jour dans des vêtements outranciers, pour lesquels tu n'as fourni aucun travail. Avant de les faire voir la lumière, offre leur ton attention et brode-y ton emblème, pour que les femmes qui ont donné la vie jusqu'à la femme qui t'a porté te voient et t'accordent protection."
Dajvari était bien agacé que la petite femme se croit assez importante pour le prendre de haut. Il releva le menton et lui répondit, de sa voix la plus rauque : "Je suis un homme grand, un aventurier et un érudit des arcades, savante ! Je sais ce qui est bon pour moi et il ne s'agit pas des arts de patience contenue, mais des vrais accomplissements grandioses !"
Pour chacune des 81 erreurs, le sorcier est d'abord averti par un personnage féminin très sage. Ici, comme à de nombreux autres endroits, Dajvari aurait dû avoir des raisons supplémentaires de croire la femme : elle était la sorcière de glace Rigevoirde qu'il voulait voir ici, pour qu'elle lui enseigne son art.
La femme hausse les épaules, n'insistant pas plus. Dajvari et l'aubergiste avancent encore vers la sortie et, frappé par le jour, Dajvari s'émerveille des reflets que les perles dessinent sur le sol. Il se félicite de ne pas avoir fait les réparations lui-même, car il ne se croyait pas capable d'un résultat aussi satisfaisant.
Alors qu'il regarde les perles, il oublie comment il les a payé et se figure qu'il s'agit là d'un cadeau de l'aubergiste, qu'il remercie avec abondance. L'aubergiste lui offre de sortir plus loin pour aller boire l'eau de la fontaine. Dajvari est très enthousiaste et ignore la femme, qui marmonne que, s'il s'y prend ainsi, il devra baigner ses mains dans le sang des siens avant le crépuscule.
Alors qu'ils se promènent, Dajvari se sent de plus en plus proche de l'aubergiste et ne parvient plus à douter un instant de sa sincérité. Il se perd et oublie sa volonté de poursuivre les arcanes. Il accepte même le conseil de l'aubergiste d'être présentée à la dame de la ville pour devenir le wirathi d'une de ses amies, tel un cadeau de l'aubergiste pour lequel Dajvari ne serait pas compensé.
NOTE : Un wirathi est une personne (généralement un homme) chargé par contrat de répondre aux besoins affectifs d'une autre. S'il s'agit souvent de contrat souples pour assurer une relation officiels entre une dame et ses amants, cela implique toujours une certaine possession de la maîtresse (ou du maître, rarement) envers son ou sa wirathi.
Arrivant devant la fontaine, Dajvari et l'aubergiste sont arrêté par un groupe de voyageur, semblant reconnaître le sorcier et lui sommant de retirer sa veste. Dajvari est véxé et refuse d'écouter. Il est alors rejoint par des amis de l'aubergiste, portant tous de nombreux bijoux sur leurs vêtements et reflétant tant le soleil qu'ils semblent entourer de lumières colorées.
Une jeune femme s'avance parmi les étrangers. Elle a le même menton pointu que Dajvari et le même regard franc. Elle a redressé ses cheveux noirs en noeuds complexes à l'arrière de sa tête, décorés de coquillages et de cordes que Dajvari trouvent fade, à côté de ses fastes. Il se moque d'elle et les yeux de la jeune femme brillent de larmes.
"Ebellen, toi que je connais depuis un temps qui date d'avant que le soleil ne touche ta peau, veux-tu bien m'écouter, moi qui ait veillé à ton sommeil toutes ses années."
Dajvari reconnut en les mots de la femme son deuxième prénom et en fut très surpris, mais décida qu'elle avait dû l'apprendre ailleurs car il ne se souvenait de personne qui puisse le connaître. A dire vrai, il ne se rappellait de personne à part l'aubergiste. Soudain, il réalisa qu'il n'avait plus la mémoire. Il le cria, surpris et terrifié, cherchant dans l'assemblée d'inconnu qui aurait pu le connaître et qui pouvait mentir.
NOTE : Le deuxième prénom a une valeur spéciale pour le peuple ariesque et ne doit être connu que par les proches de la personne qui le prononce.
"Votre amnésie vous reprend, mon ami ?" L'aubergiste le prend par la taille. "Vous aviez aussi la mémoire trouble, quand je vous ai trouvé. Vous m'aviez dit qu'une femme au menton pointu avait pris la vie de votre mère et de votre soeur, puis avait laissé fuir votre père. Je crois que la voir ici vous fait du mal. Nous pouvons la chasser pour vous, restez en dehors et allez vous raffraîchir et vous reposer."
Dajvari ne voulait pas croire que sa famille était morte et qu'il l'ait oublié, mais il alla tout de même boire, souhaitant bénéficier des effets de l'eau. Il se souvint des mots que la petite femme avait marmoné mais se maudit de vouloir croire une inconnue plutôt que son ami, qui lui avait offert son beau manteau.
Plus il buvait, plus il se détendait, moins il pensait à cette femme. Il se sentait mieux, jusqu'à ne plus pouvoir boire tant il avait mal au ventre."Voilà que vous allez mieux, mon ami !" L'aubergiste et le reste des gens attendaient toujours. "Alors, reconnaissez-vous cette femme ?"
Surpris de la haine qui brûlait dans son ventre en cet instant, le sorcier acquiessa. Sans sa mémoire, il était dans le noir et laissé avec le seul souvenir de ce sentiment. Il était impuissant dans cette décision, mais décida de ne pas l'être en bataille. Suivant les instructions de l'aubergiste, il l'aide se débarasser du groupe de voyageur. Le combat durat jusqu'au début du crépuscule, où Dajvari enfonça sa dague dans le ventre de la femme dont les yeux débordaient maintenant de larme.
Les souvenirs fusèrent alors dans l'esprit de Dajvari, qui se souvint que l'homme lui avait embrassé le front et mordu le crâne la nuit, mais surtout, que la femme qu'il venait d'achever était sa grande soeur. Il hurla de douleur et tomba sur le sol, attrapant sa tête dans ses mains alors que l'aubergiste souriait.
Dans sa colère, Dajvari voulut tuer l'aubergiste mais la petite femme arriva et ériga devant lui un mur de glace. Quand Dajvari l'interrogea, elle soupira longuement.
"Seul les étrangers peuvent donner la mort à Lobelta, le cimetière de la mémoire, la ville des perdus du plateau du Sud. Va, toi qui vit depuis ta naissance, porte la mémoire et le corps de ta soeur chez toi, mange de sa chaire chaque jour jusqu'à ton arrivée et donne ses restes à ta mère. Sois banni des tiens et ne reviens pas, car je suis Rigevoirde et que je n'aiderais pas ceux qui m'ont ignorée."
Ivre de rage, Dajvari frappe de sa dague vers la femme, qui disparaît dans une pluie de flocon, laissant face au sorcier sa monture. Ne pouvant arrêter son mouvement, le sorcier blesse shiffer, qui prend peur et s'enfuit.
Le sorcier tremble, darde son regard partout et épuise ses pouvoirs autour de sa soeur, gisant sur le sol. Les pouvoirs utilisés lèvent la nature et redonnent vie au sol, dont la pierre molit jusqu'à devenir meuble et où les plantes poussent jusqu'à enlever le corps de la femme.Finalement, Dajvari ne parvient pas à dégager le corps de sa soeur et s'en va sans elle, pantelant, tremblant, terrifié. A partir de ce jour, jamais plus Dajvari ne pourra faire usage de sa mémoire comme il l'entend et il lui arrivera souvent d'oublier au moment où doit le plus se souvenir.
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