L'arrivée d'Isma

Une séance solitaire à la Grande Académie

« Tu penses t'en sortir ? » Le vieil Ehorath passe sa grande main sur sa barbe.
« Je dois faire ça seule. » Je n'ai pas le choix.

Il soupira, serra les lèvres et s'en alla, laissant le ferme-porte faire son travail pour éliminer le rectangle de lumière sur le sol de la pièce circulaire. Le cliquetis de la serrure envoya des frissons entre mes omoplates.

La salle d'invocation appliquée semblait vide, une fois son maître sorti. L'air frais du soir traversait les deux meurtrières, fermées pourtant. Ils devraient penser à refaire l'isolation.
« Qu'est-ce que tu attends ? »
Je serrais la mâchoire, décidée à ignorer sa voix. Aujourd'hui, il n'était plus question de perdre le contrôle et d'agir par fièvre, guidée par une voix irréelle. Aujourd'hui, je savais quoi faire. Le professeur Ehorath m'avait appris tout ce dont j'avais besoin. Je devais me concentrer là-dessus, sur ce que je pouvais maîtriser.

Le sceau était dessiné, il me fallait encore l'intention, la formule et le sang. Mais avant, il me fallait du souffle. Ma respiration tremblait, mes mains aussi. Je ne pouvais pas échouer, tant que je l'entendais, j'étais dans le bon.
« Je t'ai attendu toute ta vie, Edwardine. »
Pourquoi Maman ne m'avait pas présentée à elle ?

Je prenais une dernière inspiration, donnait le coup sec de la lame rituelle, retenait mon hoquet et répétait l'incantation du livre. Quoi qui se cache derrière ce sceau, derrière ces rêves, je le verrais.
Mes jambes tremblaient, l'air tourbillonait autour de moi et la vaisselle caquetait en gigotant. Tout se passait bien, à part que je me sentais tirée vers le dessin, comme s'il allait me dévorer vivante. Je répétais l'incantation, la gorge serrée, les yeux piquants. La brume montait, grossissait.

Puis tout retomba, laissant une pellicule de poussière se déposer sur tous les meubles alors que le sceau avait disparu dans une flaque d'un vert très pâle, irréel. Mon corps tremblait encore mais je n'arrivais pas à reculer, comme happée par le sceau. Je ne devrais pas être capable de le maîtriser ?

Une figure s'éleva dans la flaque, une forme anculeuse et maigre, comme un enchevêtrement de morceaux, comme un... un squelette sans le reste du corps. Puis son visage s'éleva, tordant ce qui devait être son cou dans un craquement sonore. Le liquide vert s'écoula jusqu'à dévoiler l'os blanc et peint de bleu, sous l'épaisse viscosité du sceau. La créature tourna vers moi ses orbites vides, où brillaient des flammes du même vert radioactif.
J'ai inspiré, sifflante, avant de reculer maladroitement, trébuchant vers la table de rituel pleine du matériel de dessin. Les pinceaux ont roulé sous le cahot de mon poids contre la surface.

« Edwardine Altman. » La mâchoire de la forme avait craqué en grinçant, libérant un nuage de fumée grisâtre.
La créature tendit vers moi sa main squeletique. Ma gorge s'est serrée et mon estomac s'est tendue. Mon coeur battait la chamade, menaçant de transpercer ma cage thoracique. Qu'est-ce que je dois faire ?
« Je suis enchantée, ma maîtresse, fille d'Ophira. »

Je clignais des yeux et tendait ma propre main pour l'attraper, sentant la limite du sceau serrer autour de mon bras comme un élastique. Tout mon corps tremblait.
« Comment... quel est ton nom ? »
« Je suis Isma Altman, celle qui est à vous, dans l'ombre, loin des yeux impies, jusqu'au grand sommeil. »

Isma était plus petite que moi, avec des hanches étroites et arrondies comme un enfant. Une silhouette ratatinée et noire se promenait entre ses os, comme un corps de goudron. Elle avait des cheveux d'un bleu sombres, accrochés à son crâne, dont les racines dépassaient derrière les flammes de ses yeux.

Spooktober !

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