Gûlaar et l'Ombroisie

Aux origines de la décadence, dans les premiers millénaires de l'Age Sombre, régna sur la région la gourmandise de Demonia un seigneur d’une faim incommensurable : Gûlaar l'Asoifeur, premier Roi Démon de la Gourmandise. Doté d’un palais aussi vaste que mille marchés, et d’un ventre éternellement vide, il rêva de créer un breuvage surpassant tous les mets, un nectar qui ne nourrirait pas seulement le corps, mais soumettrait l’âme.   C’est dans les cryptes grasses de son palais, que naquit l’Ombroisie. Ce liquide d’une noirceur miroitante, épais comme du miel et froid comme la tombe, fut le résultat d’une alchimie interdite mêlant magie mentale, essence de péché, et chair sublimée. Son goût était si sublime qu’un seul filet suffisait à anéantir toute autre saveur. Mais derrière cette extase se cachait une servitude absolue : quiconque y goûtait une fois ne pouvait plus manger ni boire autre chose sans en vomir la fadeur. L’Ombroisie devenait alors un besoin, une malédiction, un appétit sans alternative.   Gûlaar distribua l’Ombroisie comme une bénédiction, réservée à ceux qui lui juraient fidélité absolue. Les récompenses de ses soldats, mages et esclaves n’étaient pas l’or ni le pouvoir, mais quelques gouttes de ce vin noir, servies dans des coupes d’os gravées de leurs noms. Plus ils obéissaient, plus ils en recevaient. Moins ils plaisaient, plus la coupe restait vide. Et tous apprirent vite que mourir de faim était préférable à vivre sans Ombroisie.   Pendant des siècles, Gûlaar régna sans contestation, entouré d’une cour d’âmes dévorées par l’envie et l’addiction. L’Ombroisie devint sa couronne invisible, son sceptre silencieux, sa chaîne invincible. Mais comme tout banquet éternel, celui-ci connut une fin. La chute fut aussi obscure que la boisson elle-même.   La disparition de l’Ombroisie reste enveloppée de mystère. Certains racontent que la Source d’Appétence, unique fontaine d’où jaillissait l’ingrédient principal du breuvage, se tarit soudainement, privée de magie ou vidée par excès. Pris de panique, les sujets privés d’Ombroisie sombrèrent dans la folie et la faim, et finirent par se révolter contre leur maître, le réduisant en lambeaux avant de mourir de privation dans les ruelles du palais, leurs ventres criant des supplications muettes.   D’autres parlent d’un complot silencieux, ourdi par un autre Roi Démon, peut-être celui de l’Envie ou de l’Orgueil, qui aurait fait voler la recette originelle pour en garder le monopole. Dans cette version, Gûlaar aurait été piégé, humilié, et banni, et l’Ombroisie existerait toujours… dans une cave scellée, ou peut-être distillée en secret, prête à renaître pour soumettre une nouvelle génération.

Bien que le Roi Démon Gûlaar l'Asoifeur figure dans de nombreux documents historiques des premiers siècles démoniaques, les récits autour de l’Ombroisie sont difficiles à distinguer entre faits et exagérations mythologiques. On trouve quelques mentions de cette boisson dans les Chroniques de Bougeflamme, un recueil ancien rédigé par un Démon scribe de l’époque, où il est fait référence à une "liqueur noire distribuant l’obéissance comme un fouet sucré".   Certaines tablettes de pierre retrouvées dans les ruines de l’ancien domaine de Gûlaar, comportent des rituels liés à un "nectar divin" servant à unir l’âme au péché de Gourmandise, ce qui appuie l’hypothèse d’un usage magique et mental. Cependant, aucune preuve directe de la composition ou de l’usage à grande échelle de l’Ombroisie n’a survécu à l’épreuve du temps — ni aucune trace physique du liquide lui-même, bien que certains chasseurs de reliques affirment en avoir découvert des résidus fossilisés.

Le mythe de l’Ombroisie est particulièrement répandu à Demonia, notamment dans les régions qui étaient autrefois sous le contrôle direct de la lignée de Gûlaar. Il est également connu, bien que souvent déformé, dans les territoires voisins de Korups.